Monsieur le président Woerth, si nous évoquons des incertitudes concernant les financements européens, c'est pour deux raisons. D'une part, il demeure des incertitudes politiques, notamment s'agissant d'une éventuelle conditionnalité des versements au respect de l'État de droit, ce qui fait débat ; m'étant rendu la semaine dernière au Parlement européen, je puis vous assurer que cela peut être un facteur de retard. D'autre part, il faudra monter une tuyauterie qui permette de dépenser rapidement ces 17,3 milliards d'euros ; c'est aussi dans l'ingénierie que les choses se joueront. C'est pourquoi la Cour des comptes étudiera l'an prochain l'impact des différentes politiques publiques engagées en réponse à la crise du covid-19.
Le Haut Conseil ne s'est pas exprimé sur le cantonnement de la dette. Cependant, la Cour des comptes l'avait fait en juin, et c'est pourquoi je me permets de répondre sur ce point – je précise que toutes les réponses que je fais s'inscrivent dans le cadre de mon mandat, quelle que soit mon envie de répondre à vos questions, voire de ferrailler, si j'ose dire. L'aspect positif, c'est que la partie de la dette qui serait cantonnée serait reconnue et, pour le coup, remboursée ; on peut de surcroît imaginer qu'une ressource serait définie en regard. Ce qui serait en revanche négatif – je le dis sans faire de procès d'intention –, c'est de considérer qu'à partir du moment où l'on cantonnerait, par exemple, 20 points de dette, on repartirait avec une dette publique de 100 points de PIB : non, le montant total de la dette resterait le même, et il ne faudrait pas que ce soit une incitation à ne pas maîtriser le reste.
S'agissant de la relance par l'activité et de la soutenabilité de la dette publique, j'entends vos questionnements, qui reflètent fort logiquement vos positionnements politiques. La Cour et le Haut Conseil considèrent qu'il s'agit d'une question centrale. Nous ne devons pas caresser l'illusion que la Banque centrale européenne absorbera la totalité de la dette ; ce serait pour le coup imprudent. Si une percée est enregistrée avec le plan européen, qui, pour la première fois, prévoit une mutualisation partielle de la dette, cela ne signifie pas pour autant que cela débouchera un jour sur une mutualisation totale ; les conditions dans lesquelles ce plan a été adopté et les précautions prises par un certain nombre de pays font plutôt penser le contraire. La dette peut-elle être entièrement annulée ? Attention au piège : en définitive, ce seraient les épargnants qui seraient spoliés. La question de la dette doit donc être examinée sur le moyen terme et la relance par l'activité est sans doute un préalable, voire une urgence. Reste à savoir si ce sera suffisant : c'est un débat que nous avons devant nous.
Pourquoi considérer que la prévision d'activité pour 2020 est prudente et celle pour 2021 volontariste ? D'abord, le printemps 2020 fut moins mauvais et le rebond de l'été meilleur qu'attendu ; pour enregistrer une récession de 10 %, il faudrait une rechute assez forte au quatrième trimestre : voilà pourquoi nous considérons que la prévision est prudente – ce n'est pas un jugement de valeur. Pourquoi le Gouvernement l'a-t-il fait ? Ce sera au ministre de vous répondre. Probablement s'agit-il d'un réflexe de prudence intégrant la possibilité d'une dégradation brutale de la situation sanitaire qui impacterait le quatrième trimestre. Quant à 2021, je le répète, tout dépendra de la mise en œuvre du plan de relance, de son impact et de l'évolution de la situation sanitaire.
Pour ce qui concerne la nouvelle loi de programmation des finances publiques, je reprendrai la formule du rapporteur général : il faut qu'elle arrive le plus tôt possible. Cela ne signifie pas qu'il faille attendre que tout soit derrière nous, crise sanitaire et crise économique, mais il faut avoir une visibilité suffisante – concernant, par exemple, un éventuel vaccin et son efficacité. D'un autre côté, il convient aussi de tenir compte du cycle politique : cette loi doit advenir suffisamment tôt pour être crédible, sinon nous risquons de vivre longtemps sans loi de programmation des finances publiques, de nous éloigner des textes que vous avez votés, notamment de la loi organique de 2012, et de ne plus avoir de boussole, ce qui ne me semble pas bon. C'est pourquoi nous nous sommes permis de suggérer le printemps 2021 – si possible plutôt que quoi qu'il en coûte, serais-je tenté d'ajouter. Je pense qu'il est nécessaire que nous fixions un cap et que le Parlement soit attentif à cette question.
Pour ce qui est de l'impact de la crise sur le potentiel de croissance, nous pensons que son évaluation est réaliste parce que s'il y a moins d'investissements, il y a moins de capacités de production. La structure productive doit être adaptée : il y a trop de capacités de production dans certains secteurs, pas assez dans d'autres. Cela rejoint ce que vous disiez sur la courbe en K, monsieur le rapporteur général : ne prenons pas les prévisions de croissance comme un bloc ; certains secteurs seront terriblement touchés. Cela signifie que même avec une croissance assez forte, et même si l'on retrouve le niveau d'activité de 2019, on restera loin du niveau d'emploi de la fin 2019 – alors que c'est ce à quoi nos concitoyens sont très attachés. Vous avez donc raison de manifester votre préoccupation pour la jambe descendante du K et pour un certain nombre de secteurs, d'autant qu'il y a aussi une perte de capital humain liée à un chômage élevé. Voilà pourquoi nous pensons que la croissance potentielle peut être atteinte.
Sans doute, monsieur Labaronne, existe-t-il, et depuis fort longtemps, des problèmes structurels, notamment de spécialisation, en matière de commerce extérieur. Cela étant, si l'épargne des ménages s'est fortement accrue – d'aucuns parlent de sur-épargne –, celle des entreprises et des administrations a baissé. Il y a donc une certaine cohérence.
Si nous sommes prudents pour ce qui concerne l'investissement public, madame Louwagie, c'est, d'une part, parce que les délais d'instructions peuvent être longs, d'autre part, parce qu'on risque de buter sur la capacité de certains secteurs, notamment celui du BTP, déjà fortement sollicités à répondre rapidement à un surcroît de demande.
La baisse de 18 milliards d'euros des dépenses de l'État enregistrée entre la troisième loi de finances rectificative pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021 provient notamment d'une baisse de 51 milliards d'euros correspondant au coût du plan d'urgence pour faire face à la crise sanitaire, compensée partiellement par la mise en œuvre du plan de relance, à hauteur de 22 milliards d'euros, et par l'augmentation des crédits des ministères et des dotations à l'Union européenne, à hauteur respectivement de 4 milliards et de 3,5 milliards d'euros.
Pour ce qui est du calcul du solde structurel pour 2020, les mesures qui ont été prises pour faire face à la crise sanitaire ont été enregistrées comme des dépenses temporaires et exceptionnelles, alors qu'elles auraient pu être comptabilisées dans le solde structurel – c'est d'ailleurs le choix qu'avait fait la Commission européenne pour ses prévisions au printemps dernier.
L'amélioration des finances publiques en 2020 résulte de l'amélioration de la conjoncture par rapport aux prévisions, avec une base taxable plus importante, donc plus de recettes que prévu, et moins de dépenses, notamment celles liées au dispositif de l'activité partielle, qui ne peut être maintenu trop longuement à un niveau élevé.
Je serai, sans grande surprise, en désaccord avec vous, monsieur Coquerel, s'agissant du mandat du Haut Conseil des finances publiques – tout comme je l'aurais été s'agissant de celui de la Commission européenne. Il ne s'agit pas d'imposer des lectures qui viendraient d'ailleurs ou d'instruments non démocratiques, il s'agit au contraire d'éclairer vos débats et vos décisions par une approche plus ambitieuse et plus approfondie des déterminants des différentes composantes que j'ai évoquées. Je crois qu'il serait très positif pour le Parlement de disposer d'un outil plus puissant – sans aller pour autant jusqu'à établir les prévisions, même si c'est le cas dans certains pays, comme l'Espagne. Vous disiez, monsieur le président de la commission des finances, qu'il fallait éviter les chevauchements ; soyez assuré que le jour où je viendrai vous rendre visite avec des propositions, je tiendrai compte de mon expérience de la structure de l'État français et de ma connaissance des rôles respectifs des uns et des autres ! Je pense que l'on peut faire des choses plus claires et plus fortes sans pour autant remettre en cause le rôle du ministère des finances. Tout cela doit se passer en bonne intelligence. Il reste que nous ne sommes plus en 2012 : le contexte est aujourd'hui très changeant.
On a beaucoup parlé du solde structurel et de la croissance potentielle ; nombre d'entre vous ont souligné la très grande incertitude qui pesait sur ces données. Cela signifie – disant cela, j'ai bien conscience d'outrepasser ma mission de président du Haut Conseil, et même celle de premier président de la Cour des comptes, et je vous prie de m'en excuser – qu'il ne faut pas s'interdire d'engager une réflexion plus approfondie sur ce que devraient être les règles de finances publiques après la crise. Le pacte de stabilité et de croissance a été, vous le savez, suspendu en 2020, en raison de l'activation de ce que l'on appelle la clause dérogatoire générale. Je me suis rendu à la Commission européenne la semaine dernière : il sera également suspendu en 2021. Néanmoins, on ne peut pas vivre éternellement sans règles ; toutefois, ce ne pourra pas être exactement les mêmes. Il faudrait tenir compte du manque de robustesse de certains concepts : si la croissance potentielle est aussi vulnérable et si le solde structurel, qui est théoriquement indépendant de la croissance, est lui-même très volatil, c'est qu'il y a des choses à repenser – je le disais déjà lorsque j'étais commissaire européen. L'essentiel, c'est la soutenabilité de la dette publique, car nos concitoyens ne sont pas fous : ils savent bien qu'une dette, à un moment donné, ça se rembourse – au moins en partie.