En 2021, la mission Justice bénéficiera d'un peu plus de 12 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 10 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une augmentation, respectivement, de 32 % et de 7 % par rapport à 2020. Cette année, contrairement à la précédente, le projet de loi de finances initiale respecte la trajectoire budgétaire prévue dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Je rappelle que la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de 115 millions d'euros à la trajectoire pourtant définie quelques semaines plus tôt.
En 2021, la mission Justice bénéficiera, hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, de 8,2 milliards d'euros en crédits de paiement. En somme, il s'agit d'un rattrapage qui n'a rien d'exceptionnel ; il y va du respect d'une loi adoptée par le Parlement. En outre, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit un schéma d'emplois de + 1 500 équivalents temps plein (ETP), soit un chiffre légèrement supérieur à celui prévu dans la loi de programmation. Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé la création, à titre exceptionnel, de 950 ETP à compter de la fin de l'exercice 2020.
Dans tous les programmes de la mission, les moyens budgétaires et humains progressent. Toutefois, l'efficacité d'une politique publique ne dépend pas uniquement de l'importance des crédits et des emplois dont elle dispose ; encore faut-il que l'augmentation des moyens s'accompagne d'une amélioration significative des performances du ministère concerné et de la manière dont celui-ci va déployer ces moyens. À ce titre, il me semble nécessaire d'évoquer trois points d'alerte et d'inquiétude, que je considère comme majeurs.
S'agissant de la justice judiciaire, le « bleu budgétaire » confirme l'allongement des délais de jugement des juridictions. Cela n'est pas une surprise et j'alerte sur ce point depuis plusieurs années. S'il est vrai que la crise de la covid-19 a perturbé l'activité des juridictions en 2020, chacun conviendra que ce problème est structurel au sein de la justice ; la situation était déjà critique avant la crise. Plus que jamais, il est indispensable et urgent que le ministère de la justice se saisisse pleinement des moyens supplémentaires qui lui sont octroyés par le projet de loi de finances pour réduire l'engorgement des juridictions de notre pays.
S'agissant de l'administration pénitentiaire, elle bénéficie de moyens considérables : 4,3 milliards d'euros en crédits de paiement et 6,3 milliards en autorisations d'engagement, soit une augmentation de 75 % par rapport à l'année dernière. Il s'agit notamment de poursuivre le plan de création de places en prison. Toutefois, on peut se demander si l'objectif initial de 15 000 places supplémentaires n'a pas été abandonné, puisqu'on nous parle surtout, désormais, d'ouvrir 7 000 d'ici à 2022.
Là encore, tout n'est pas qu'une question de moyens. Les derniers exercices budgétaires ont montré que le ministère de la justice a du mal à consommer l'intégralité des crédits prévus pour ses investissements immobiliers. C'est donc avant tout le pilotage du plan immobilier pénitentiaire qu'il convient d'améliorer. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à émettre des doutes sur ce point : le secrétariat général pour l'investissement, chargé de réaliser des contre-expertises sur les grands projets d'investissement sous l'autorité du Gouvernement, a émis un avis réservé sur la réalisation de ce plan. Tel est le cas de deux projets au sein du « jaune budgétaire » sur l'évaluation des grands projets d'investissements publics, annexé au projet de loi de finances pour 2021 – je vous renvoie à la page 31. Tout cela est inquiétant et témoigne d'un certain recul en matière de lutte contre la surpopulation carcérale. Nous devrons interroger le ministre sur ce point.
Enfin, s'agissant du renforcement de la justice de proximité, le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 200 millions d'euros ainsi que 950 emplois supplémentaires pour lutter contre la délinquance du quotidien et rapprocher la justice des justiciables. Cette mesure est bienvenue ; j'ai d'ailleurs plaidé en faveur de cette ligne lors de l'examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice. Toutefois, ces moyens doivent être mis au service d'une réelle justice de proximité, laquelle suppose l'affectation d'au moins un magistrat supplémentaire et d'un juge d'instruction à temps plein dans chaque tribunal judiciaire, afin de lutter contre la tendance à l'éloignement de la justice dans les territoires ruraux. Or rien de tel n'est garanti. Le Gouvernement devra s'y engager, sous peine de remettre en cause la parole de l'État.
J'arrête là cette intervention liminaire ; nous aurons l'occasion d'approfondir certains points lors de l'examen des amendements. Toutefois, les trois points d'alerte majeurs que j'ai développés justifient que nous n'adoptions pas ce budget.