Intervention de Loïc Gautier

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Loïc Gautier, président de la troisième chambre de la Cour des comptes :

Notre mission a été menée à bien grâce à la contribution conjuguée des chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Cela nous a notamment permis de recueillir des éléments intéressants dans la fonction publique hospitalière. La troisième et la quatrième chambre ont tout particulièrement été utiles, la première auprès de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, la seconde auprès de la police nationale, du ministère de l'intérieur et de l'administration pénitentiaire, toutes ces administrations étant fortement consommatrices d'heures supplémentaires.

Aucune enquête n'avait été menée précédemment à une si large échelle. Notre rapport s'intéresse à la fois à la fonction publique d'État, à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière. Nous avons exclu les militaires en raison de leur statut particulier, ainsi que les territoires ultramarins.

Notre mission a d'ailleurs été prolongée d'un commun accord compte tenu de la forte accumulation d'heures supplémentaires dans la fonction publique hospitalière pendant la première vague de l'épidémie de covid-19.

Notre enquête correspondait déjà à plusieurs problématiques, comme l'élargissement des assiettes de cotisations dans le cadre de la réforme des retraites ou la revalorisation des bas salaires liée à la crise des « gilets jaunes ».

Nous disposions de données plus abondantes et intégrées pour la fonction publique d'État. Nous avons rassemblé les statistiques nationales établies par la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et la direction générale des collectivités locales (DGCL), la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Nous les avons complétées en réalisant une enquête : deux cent soixante-dix-huit hôpitaux sur huit cent six interrogés ont répondu à notre questionnaire, ainsi que six cent cinq collectivités territoriales sur deux mille six cents interrogées. Nous disposons ainsi d'un échantillon significatif au sens statistique, ce qui nous permet d'avoir des informations qualitatives, mais nous ne connaissons pas avec exactitude le volume global d'heures supplémentaires.

Les heures supplémentaires, par définition, correspondent aux heures effectuées en dehors du cycle ordinaire de travail, mais la définition de ce dernier est très variable d'une administration à l'autre, si bien que des agents peuvent se voir reconnaître des heures supplémentaires sans avoir atteint les 1 607 heures travaillées dans l'année.

Il existe deux modes de compensation : l'indemnisation – selon un montant qui peut être minoré ou majoré par rapport à une heure travaillée normale – et la récupération – notamment utilisée par les hôpitaux et la police nationale.

Près de 95 % des heures supplémentaires de la fonction publique se concentrent au niveau de l'éducation nationale, de la police, de l'administration pénitentiaire et des hôpitaux.

Les heures supplémentaires sont appréciées par les ordonnanceurs car elles offrent de la souplesse face à des pics d'activité – comme durant la crise sanitaire – et sont relativement peu coûteuses sur le plan budgétaire, voire totalement indolores si elles sont systématiquement récupérées. Cela peut alors induire un contrôle insuffisant lors de leur attribution. Dans l'éducation nationale, chaque enseignant effectue en moyenne 2,1 heures supplémentaires chaque semaine, si bien que les heures supplémentaires sont quasiment considérées comme intégrées à la rémunération ordinaire. Une pratique courante dans la police consiste à épargner les droits à récupération des heures supplémentaires pour les transformer in fine en jours de congé supplémentaires voire en départ anticipé en retraite. Dans ce dernier cas, cela revient à valoriser les heures supplémentaires en fonction de l'indice de l'agent en fin de carrière et cela tend à désorganiser le service puisque l'agent occupe toujours un poste et ne peut donc pas être remplacé.

Le coût des heures supplémentaires s'établit à 1,6 milliard d'euros pour l'État – sur la base de données exhaustives – soit environ 1,2 % de la masse salariale globale – cette dernière avoisine les 140 milliards d'euros. Cependant, pour les services publics et administrations où ces heures se concentrent (ministères de l'éducation nationale, de l'intérieur et de la justice), cette pondération passe à 6 %.

Au 31 décembre 2018, 20 millions d'heures supplémentaires étaient comptabilisées dans la police nationale mais près de 300 000 heures avaient été générées en décembre pendant la crise des « gilets jaunes ». Des variations importantes sont donc susceptibles de se produire.

En 2018, 18 millions d'heures supplémentaires ont été réalisées au sein de la fonction publique hospitalière, principalement par des agents de catégorie A et C. Seulement 30 % de ces heures ont été indemnisées pour ces catégories, pour un coût de 214 millions d'euros. Cela représente 578 euros par agent et par an. Durant la première vague de covid, les heures supplémentaires ont été payées et non pas récupérées – puisque la présence des personnels était nécessaire – et nous pouvons donc nous attendre à ce que le coût des heures supplémentaires atteigne en 2020 plus du double de celui d'une année ordinaire.

En 2018, 39 millions d'heures supplémentaires ont été réalisées dans la fonction publique territoriale. Un peu plus de la moitié a donné lieu à une indemnisation, pour un coût d'environ 540 millions d'euros soit 837 euros par agent et par an. En réalité, ces indemnisations se concentrent sur certaines catégories de personnel au sein de ces administrations.

Le coût de l'indemnisation des heures supplémentaires est variable. Le coût annuel par enseignant est ainsi de l'ordre de 2 600 euros en moyenne mais il est de 16 000 euros chez les enseignants en classes préparatoires. De même, les agents des douanes de catégorie C effectuent un nombre significatif d'heures supplémentaires au point qu'elles représentent parfois plus de 20 % de leur traitement. Qui plus est, des exonérations fiscales sont prévues, voire des exonérations exceptionnelles – le plafond a été remonté de 5 000 à 7 500 euros pour les heures supplémentaires effectuées durant la crise sanitaire.

Les heures supplémentaires sont appréciées tant par les administrations, pour la souplesse d'organisation qu'elles offrent, que par les agents, car elles représentent pour certains un complément de rémunération appréciable – les enseignants des classes préparatoires sont mieux rémunérés grâce aux heures supplémentaires que les maîtres de conférences des universités – ou car elles leur permettent de bénéficier de congés, et donc d'échapper temporairement à l'obligation de sujétion pour les forces de l'ordre par exemple.

Nous constatons de fortes disparités dans le mode de calcul de l'indemnisation des heures supplémentaires. Chez les policiers, une heure supplémentaire est moins bien rémunérée qu'une heure normale, ce qui incite à la récupération. Chez les agents hospitaliers et les enseignants, la majoration des heures supplémentaires et l'exonération fiscale favorisent l'indemnisation. Chez les agents pénitentiaires, les heures supplémentaires sont généralisées compte tenu des difficultés de recrutement.

Nous formulons plusieurs recommandations dans notre rapport. En premier lieu, nous préconisons que le recours aux heures supplémentaires ne soit pas rendu systématique par la rigidité de l'organisation du travail ou le caractère inadapté des cycles de travail. Parfois, même lorsque les agents récupèrent déjà trop d'heures supplémentaires, de nouvelles heures supplémentaires sont générées. Nous suggérons une généralisation des horaires variables, une révision des cycles de travail et surtout l'harmonisation des règles de bonification des heures supplémentaires.

Notre deuxième recommandation vise à réguler le stockage des heures supplémentaires afin de minorer les risques opérationnels et de limiter la charge budgétaire. Pour cela, nous recommandons d'imposer que les heures supplémentaires ne puissent être récupérées que dans l'année ou dans les deux années suivant leur attribution et de privilégier l'indemnisation au delà d'un certain plafond. Nous suggérons également un provisionnement budgétaire des heures supplémentaires accumulées, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Enfin, nous encourageons les différentes administrations à recenser les heures supplémentaires effectuées au niveau national comme au niveau local, afin d'améliorer le pilotage et le contrôle – car en réalité, lorsqu'une heure supplémentaire est attribuée à un agent par son supérieur, l'effectivité de cette heure n'est pas contrôlée par la hiérarchie.

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