Je viens devant vous pour la seconde fois en cinq semaines comme président du Haut Conseil des finances publiques. À l'occasion de mon audition précédente, j'avais présenté nos observations sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques associées au PLF pour 2021. J'avais partagé avec vous deux messages clef, à savoir d'une part le caractère caduc à notre sens de la loi de programmation des finances publiques adoptée en janvier 2018, bien avant la crise que nous connaissons, et d'autre part l'enjeu décisif de la soutenabilité de la dette publique, qui doit constituer une boussole de la stratégie de finances publiques de notre pays.
Depuis lors, la situation sanitaire s'est rapidement dégradée. Le Gouvernement a donc décidé de nouvelles restrictions à travers un second confinement, certes aménagé. En conséquence, il propose de nettement accroître les crédits destinés à financer les mesures d'urgence et de soutien. Cette évolution emporte des conséquences sur l'activité économique et sur les finances publiques.
Les principaux éléments du PLFR 4 ont été transmis vendredi soir au Haut Conseil, qui a travaillé de nouveau dans des délais extrêmement brefs. Le secrétariat, autour d'Éric Dubois, y a intégralement consacré son week-end. Ceci n'est pas un reproche vis-à-vis du Gouvernement : les décisions du président de la République étaient récentes et il fallait les incorporer dans le PLFR, d'où ces délais. L'exercice reste néanmoins délicat pour le Haut Conseil.
Le PLFR 4 est bien davantage qu'un collectif de fin de gestion. Il intègre les nouvelles mesures décidées pour soutenir financièrement les ménages et les entreprises, pour faire face aux nouvelles restrictions sanitaires nécessaires pour soutenir l'économie. Les messages clef transmis en septembre n'en demeurent pas moins valides, leur acuité étant au contraire renforcée par la crise. Avec la dégradation des prévisions économiques et de finances publiques, la loi de programmation des finances publiques de 2018 devient de plus en plus obsolète et confine au surréalisme. Face à une dette en augmentation, notre préoccupation à l'égard de sa soutenabilité est encore plus essentielle.
S'agissant des prévisions macroéconomiques, le Gouvernement présente son sixième scénario pour 2020, après le PLF pour 2020, les trois collectifs budgétaires et le PLF pour 2021. Cette succession rapide de textes financiers est le reflet de la difficulté de l'exercice de prévisions dans le contexte épidémique lié à la Covid-19.
La situation sanitaire s'était améliorée au cours de l'été. La plupart des mesures de restriction avaient été levées. Le Gouvernement avait alors légèrement révisé à la hausse la prévision de PIB pour 2020. Dans le cadre du PLF pour 2021, elle s'établissait à ‑ 10 % contre ‑ 11 % dans le troisième PLFR, en juin. Le Haut Conseil avait alors considéré ce niveau comme prudent, mais le Gouvernement avait maintenu son évaluation en intégrant la possibilité d'une dégradation de la situation sanitaire. La situation sanitaire conduit aujourd'hui le Gouvernement à réviser à nouveau à la baisse ses prévisions.
La dégradation de la situation sanitaire et le net durcissement des restrictions laissent entrevoir un recul de l'activité au quatrième trimestre nettement plus important que prévu par le PLF pour 2021, alors même que le rebond constaté au troisième trimestre a été un peu supérieur à ce qu'attendaient l'INSEE et la Banque de France. Le reconfinement décidé fin octobre devrait conduire en novembre à un recul très marqué de l'activité, ce qui explique la pertinence de la prudence.
L'estimation de cette baisse d'activité est difficile, car même si le confinement décidé le 30 octobre limite très significativement le fonctionnement de pans importants de l'économie, celui-ci est moins absolu qu'au printemps, du moins à ce stade. L'ouverture des établissements scolaires devrait en particulier faciliter la poursuite de l'activité économique. Par ailleurs, les entreprises devraient être davantage préparées à faire face aux restrictions sanitaires qu'elles ne l'étaient au printemps, ce qui devrait leur permettre d'ajuster leur activité dans des proportions moindres que lors du confinement de mars et d'avril.
Dans ce contexte, le Haut Conseil estime que la prévision d'un recul de 11 % du PIB retenue dans le quatrième PLFR pour 2020 par rapport à 2019 semble cohérente avec les informations disponibles et compte tenu des incertitudes qui entourent les conditions sanitaires. Cela implique une dégradation marquée de l'activité au quatrième trimestre et un maintien des mesures de confinement au-delà du seul mois de novembre.
Dans le prolongement de la dégradation du scénario macroéconomique, les prévisions de finances publiques ont été révisées à la baisse pour tenir compte de l'impact du confinement et des mesures de soutien. La prévision de déficit public est accrue d'un point de PIB par rapport à la prévision sous-jacente du PLF pour 2021, pour s'élever à 11,3 points de PIB. La prévision de dette publique est dégradée de l'ordre de deux points, à 119,8 % du PIB.
L'accroissement du déficit public par rapport aux prévisions ne serait pas dû selon le Gouvernement à la baisse des prélèvements obligatoires : l'impact du reconfinement serait compensé par les meilleurs recouvrements enregistrés à fin septembre par rapport à la prévision sous‑jacente au PLF pour 2021, notamment en matière d'impôt sur les sociétés et de TVA.
Cette dégradation d'un point de déficit serait imputable à la hausse des dépenses publiques. Par rapport à 2019, celles-ci augmenteraient finalement de 7,8 % cette année, contre une prévision de 6,5 % dans le PLF pour 2021. Cette évolution correspond à une enveloppe supplémentaire de 20,1 milliards d'euros de dépenses, qui vient s'ajouter à celles déjà ouvertes dans les précédents PLFR.
Les mesures d'urgence et de soutien décidées au printemps sont prolongées, voire renforcées. Elles s'élèveraient au total à 85,4 milliards d'euros, soit près de 4 points de PIB. Le fonds de solidarité, en particulier, se voit doté de 10,9 milliards d'euros supplémentaires. Les exonérations de cotisations sociales sont également rehaussées d'environ 3 milliards d'euros, tout comme l'activité partielle. La prévision du Gouvernement intègre enfin une hausse de 2,4 milliards d'euros des dépenses d'assurance maladie, réévaluation déjà présentée sous la forme d'un amendement au cours du débat sur le PLFSS pour 2021.
Le Haut Conseil estime que ces dépenses sont, dans l'ensemble, cohérentes avec l'impact attendu du confinement sur le recours à ces dispositifs. Pour autant, certains d'entre eux pourraient finalement être moins sollicités par les entreprises. D'autres dépenses publiques, notamment de financement courant et d'investissement des collectivités locales et de l'État pourraient en outre se révéler moins élevées que prévu en raison des restrictions sanitaires.
Le Haut Conseil relève que les prévisions en la matière intègrent les conséquences de la chute de l'activité qu'il faut, hélas, attendre au quatrième trimestre 2020 et le rehaussement du coût des mesures de soutien qui en amortiront l'impact négatif pour les ménages et les entreprises. Elles tiennent compte des incertitudes qui pèsent, de manière inhabituelle à ce stade de l'année, sur les finances publiques.
J'en reviens aux deux messages, évoqués en introduction, sur le caractère caduc de la loi de programmation de 2018 et sur l'enjeu central de la soutenabilité de la dette publique. Ces deux messages sont déjà présents dans l'avis du Haut Conseil sur le PLF pour 2021, mais leur portée est renforcée par l'évolution anticipée depuis lors de la trajectoire macroéconomique et de finances publiques de notre pays.
La référence à la LPFP de janvier 2018 est dépassée. Une telle référence est certes conforme à la loi organique du 17 décembre 2012 qui prévoit notamment que le calcul du solde structurel doit reposer sur les estimations de production potentielle de la LPFP en vigueur. Néanmoins, l'estimation du PIB potentiel pour 2020 figurant dans cette loi de programmation est désormais totalement périmée, puisque la crise sanitaire a fortement affecté le potentiel productif de l'économie française. Nous n'avons pas calculé l'ampleur de ce phénomène, mais il est plus que probable. Le Gouvernement a d'ailleurs présenté une estimation de PIB potentiel fortement révisé à la baisse à partir de 2020 dans les documents associés au PLF pour 2021.
Par ailleurs, le calcul du solde structurel est rendu peu significatif par les conventions retenues par le Gouvernement. L'ensemble des mesures prises pour faire face à la crise sanitaire est ainsi enregistré comme des mesures temporaires, ne venant pas dégrader le solde structurel.
En revanche, la résilience des prélèvements obligatoires résultant pour une très large part de l'impact de ces mêmes mesures est considérée comme structurelle. Cette situation conduit à afficher en 2020 une amélioration du solde structurel de 1,6 point de PIB par rapport à 2019. Le Haut Conseil relève donc le caractère non significatif de l'évaluation du déficit structurel, estimé dans ce collectif budgétaire à - 0,6 point de PIB, alors même que la situation des finances publiques est exceptionnellement dégradée cette année.
Enfin, la dégradation du solde public se traduit par une nouvelle révision à la hausse de la dette pour le présent PLFR. Elle passerait ainsi de 98,4 points de PIB en 2019 à 119,8 points de PIB en 2020, en hausse de plus de deux points par rapport au PLF pour 2021 et de plus de vingt points par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.
L'augmentation est massive sur un an. Sa double origine est bien connue : le recul inédit du PIB et la réponse budgétaire apportée. Elle intervient après une décennie quasi ininterrompue de hausse de la dette. Son point de départ n'est donc pas aussi favorable que celui de certains de nos partenaires. Elle intervient également dans un contexte où la croissance potentielle s'est vraisemblablement affaiblie du fait des suites de la crise sanitaire, ce qui risque de rendre plus difficile ou plus longue la réduction du déficit.
Dans ce contexte, la soutenabilité à moyen terme des finances publiques et en particulier celle de la dette publique constitue évidemment un enjeu central de la stratégie financière de la France. Elle appelle de notre part la plus grande vigilance collective.
Voilà les principales observations du Haut Conseil dans cet avis que nous avons souhaité court, compte tenu des incertitudes accrues qu'a entraînées la résurgence de l'épidémie. Il s'agit du sixième avis que nous vous rendons cette année et du troisième que je viens vous présenter depuis ma nomination en juin. Ce ne devrait pas être le dernier. En effet, conformément à la loi organique de 2012, le Gouvernement devrait prochainement saisir le Haut Conseil de la révision, elle aussi nécessaire, des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposait initialement le projet de loi de finances pour 2021. Je formule le vœu que le Gouvernement, effectivement, nous saisisse parallèlement des nouvelles prévisions de finances publiques pour 2021. Je crois savoir que telle est au reste son intention. Cette saisine m'apparaît indispensable au regard de l'ampleur attendue de cette révision, qui ne peut être que d'une importance au moins aussi grande que celle qui porte sur les hypothèses macroéconomiques.
L'Assemblée a voté, sur le rapport de Monsieur Labaronne, une augmentation modérée des moyens du Haut Conseil. Vous le constatez, l'augmentation de son activité ne l'est pas, non plus que celle des demandes qui nous sont adressées. L'Assemblée a donc agi avec sagesse.