Intervention de Jean-Luc Tavernier

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'INSEE :

Je ne pense pas que les prévisions que nos institutions viennent effectivement de publier présentent de fortes divergences quant à notre situation au lendemain du deuxième confinement. En revanche, celles pour l'année 2021 peuvent varier un peu selon les hypothèses retenues sur la situation sanitaire. Pour sa part, l'INSEE a arrêté ses prévisions aux premier et deuxième trimestres 2021. C'est la première fois que l'Institut va au delà du présent dans une note de conjoncture.

Celle que nous avons publiée hier soir est la douzième depuis la mi-mars. Notre première rencontre avait suivi la parution, dès le mois d'avril, de la deuxième. De fait, les événements sanitaires ont nécessité une actualisation régulière. Nous avons innové, comme d'autres, et exploité de nouvelles sources, notamment les données à haute fréquence. Il s'agit d'informations rapides, utiles en cas de choc important, par exemple les transactions par carte bancaire et les requêtes sur Google. Notre note s'appuie également sur une enquête ad hoc permettant de recueillir les anticipations des entreprises.

Partout, les données économiques des premier et deuxième trimestres de l'année ont été très négatives. On observe toutefois un rebond au troisième trimestre à l'issue de la première vague de l'épidémie. La comparaison de ce troisième trimestre au niveau d'avant-crise, c'est-à-dire au dernier trimestre de l'année 2019, révèle des situations très disparates. La France se trouve plutôt bien placée, trois ou quatre points en dessous du niveau de 2019, en raison d'un fort rebond au cours de l'été. Elle compte parmi les pays ayant le plus fortement rebondi après la première vague, aux côtés de l'Allemagne et des États-Unis, ce qui n'est pas le cas de l'Espagne et du Royaume-Uni. La France est le pays où la consommation a le plus rebondi, retrouvant pendant l'été un niveau assez proche de celui d'avant-crise.

L'influence de l'évolution de l'épidémie et des restrictions sanitaires demeure cependant.

L'université d'Oxford a établi un indice qui compile différentes mesures de restrictions afin d'aboutir à un indicateur synthétique. Selon cet indice, la France est l'un des pays où les restrictions se sont le plus durcies au mois de mars dernier. Seule l'Italie a adopté des mesures plus strictes plus rapidement. C'est aussi en France que les mesures ont été le plus allégées au cours de l'été en raison de la forte amélioration de la situation sanitaire. En revanche, à partir de mois d'octobre, les mesures ont été bien plus strictes qu'ailleurs. L'impact de ces mesures pourra être observé sur de nombreux indicateurs à haute fréquence.

Le premier est la fréquentation des commerces de détail – hors produits alimentaires – et des lieux récréatifs, mesurée par Google Maps Mobility. Le premier et le second confinement ont été très brutaux ; dans l'intervalle, la sortie du premier confinement a favorisé, pendant l'été, la fréquentation des commerces. Le Royaume-Uni a également pris des mesures de fermeture des commerces très rudes. En revanche, la courbe est beaucoup plus lisse pour un certain nombre de pays comme l'Allemagne jusqu'à une date récente, même si cela risque d'évoluer.

Le deuxième indicateur porte sur le trafic routier. Si l'on considère l'ensemble des véhicules, le second confinement a été moins violent que le premier et la reprise plus rapide. Les poids lourds n'ont accusé quasiment aucune baisse de circulation au mois de novembre, signe de la forte résilience du secteur industriel au cours de ce deuxième confinement.

Le troisième indicateur est le montant des transactions par carte bancaire, d'après les données du groupement d'intérêts économiques (GIE) carte bleue, pour plusieurs types de biens et services. La courbe des transactions alimentaires varie assez peu. En revanche, les autres courbes ont connu de très importantes fluctuations au moment du premier confinement, notamment un premier surajustement en matière d'équipement des foyers au mois de juin, à la sortie du premier confinement. La baisse importante de l'ensemble du commerce hors produits alimentaires a tout de même été moins marquée au cours du second confinement qu'au cours du premier, et les promotions du Black Friday ont permis une reprise. Les ventes physiques ont souffert du confinement au mois de novembre, mais le commerce a malgré tout connu une forte hausse au début de ce mois de décembre en raison des ventes, en ligne et physiques, du Black Friday.

Le dernier indicateur montre une corrélation assez étonnante entre le temps passé chez soi, calculé à partir de l'indicateur Google Mobility Residential, et la perte d'activité globale. Alors qu'il est possible d'être chez soi aussi bien parce qu'on ne travaille pas que parce qu'on est placé en télétravail, la corrélation est très frappante.

Selon ces indicateurs et les enquêtes, l'activité économique est, ces derniers mois, assez proche de son niveau d'avant-crise, avec une baisse de trois points du produit intérieur brut (PIB) et de deux points de la consommation des ménages au mois d'octobre. Au mois de novembre, l'activité économique n'a régressé que de 12 % et la consommation de 15 %. C'est sans rapport avec les baisses enregistrées au mois d'avril dernier : une diminution du PIB de l'ordre de 31 % et une chute de la consommation d'environ 30 %.

Au mois de décembre, la réouverture des commerces et le passage du confinement au couvre-feu permettraient de faire remonter l'activité économique. Le PIB baisserait malgré tout de 8 points et la consommation des ménages de 6 points. Au quatrième trimestre, la baisse de l'activité économique serait de 4 points.

Quant aux estimations de croissance trimestre par trimestre, le troisième trimestre connaît une hausse de 18,7 % par rapport au deuxième trimestre tandis qu'on enregistre une baisse de 4 % pour le quatrième trimestre par rapport au troisième. La perte d'activité en niveau par rapport au quatrième trimestre 2019 était de près de 20 points au deuxième trimestre 2020 et serait de 8 points au troisième trimestre. La moyenne annuelle de l'année 2020 enregistre une baisse de 9 points.

Nous avons essayé de prolonger l'exercice sur les deux premiers trimestres de 2021, en nous fondant sur les hypothèses suivantes : absence de troisième vague et de dégradation des conditions sanitaires, réouverture des bars et restaurants à partir du 20 janvier, levée progressive des mesures sanitaires. Même si des secteurs devraient rester durablement affectés, nous observerions une nouvelle reprise : une hausse 3 points au premier trimestre et une progression de 2 points au deuxième trimestre. À la moitié de l'année 2021, nous aurions ainsi une perte de 3 points d'activité par rapport au niveau d'avant-crise et la moyenne annuelle augmenterait de 6 points par rapport à 2020, soit 3 points en dessous de la situation normale. Ce scénario suppose l'absence de troisième vague.

Les pertes d'activité mensuelles ont été estimées à 31 % pour le mois d'avril, à 3 % pour le mois de juin et à 12 % pour le mois de novembre par rapport au quatrième trimestre de 2019. Elles varient sensiblement selon les secteurs. Le domaine des transports, notamment l'aéronautique, reste durablement affecté tandis que d'autres, telles la construction et l'industrie, sont plus proches de leur taux normal. En matière de services, nous estimons que les services non marchands fonctionneront à nouveau normalement et que la plupart retrouveront des valeurs assez proches des normales, à la différence des services de transport, des services aux ménages et du secteur de l'hébergement et de la restauration, qui resteront affectés durablement au cours du premier semestre 2021 – le temps que les conditions s'améliorent, qu'on atteigne une immunité collective et qu'on puisse progressivement lever les contraintes.

Les chiffres de l'emploi ont également connu les montagnes russes, avec une chute du nombre d'emplois de l'ordre de 700 000 au cours du premier semestre de l'année 2020 : 500 000 emplois entre la fin du mois de janvier et la fin du mois de mars et 200 000 emplois entre la fin du mois de mars et la fin du mois de juin. Nous avons ensuite assisté à une remontée au troisième trimestre et à une nouvelle baisse au quatrième trimestre. Sur l'année 2020, la perte d'emplois salariés est estimée à 600 000, à laquelle s'ajoute une baisse des emplois non salariés.

Toutefois, la répercussion sur le taux de chômage est assez limitée, avec une baisse du chômage en trompe-l'œil. L'INSEE retient la définition du chômage du Bureau international du travail (BIT). Ainsi, pour être considéré comme un chômeur, trois conditions doivent être satisfaites : ne pas travailler, être disponible pour prendre un emploi si un emploi se présente et qu'il convient, être à la recherche active d'un emploi. En période de confinement, il n'est pas toujours possible de remplir cette dernière condition, dans la mesure où certains domaines se prêtent mal à la recherche d'emploi sur internet. Pourtant, si le chômage au sens du BIT diminue de ce fait, le « halo » autour du chômage, formé des personnes souhaitant travailler mais qui ne remplissent pas strictement les trois critères de la définition proposée par le BIT, se renforce.

Une fois le confinement levé, le taux de chômage est remonté naturellement puisqu'il n'y avait plus de raisons de ne pas respecter les critères du chômage au sens du BIT. Néanmoins, avec le second confinement, l'INSEE s'attend à ce que le taux de chômage baisse encore une fois en trompe-l'œil pour atteindre 9 % à la fin de l'année.

Ces derniers mois, l'inflation a été nulle, atteignant un niveau de 0,2 % en novembre. En revanche, nous nous attendons à ce qu'elle remonte progressivement et atteigne 1 % au mois de juin prochain. Ces variations s'expliquent par une forte baisse des prix du pétrole au début de l'année en lien avec la crise. Or la composante énergie devrait augmenter à nouveau et ainsi faire progresser l'inflation autour de 1 %. L'inflation sous-jacente devrait quant à elle rester assez stable.

Nous confirmons ce que nous affirmons déjà depuis assez longtemps : le pouvoir d'achat des ménages devrait régresser de 0,3 % en 2020, sous l'effet très négatif de la variation des revenus d'activité, des impôts et cotisations mais également celui, très positif, des prestations sociales, activité partielle comprise.

Le taux de marge des entreprises serait en baisse de 4 points par rapport à l'année dernière, où il avait profité du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et des baisses de cotisations sociales. Le taux de marge des entreprises serait inférieur de 2 points à ce qu'il était au cours d'une année normale comme 2018.

Si nous n'avons pas de prévision du déficit public à ce stade, les chiffres évoqués confirment malgré tout que la crise est peu payée par les revenus des ménages, qu'elle l'est un peu plus par les entreprises et qu'elle est surtout absorbée par le déficit des administrations publiques.

Le taux d'épargne des ménages fluctue également considérablement : il a atteint 21 % en 2021, alors qu'il n'était que de 15 % au cours de la dernière décennie.

À la fin de l'année 2020, la baisse de 9 points du PIB est la somme des composantes, toutes négatives, exceptés les stocks : la consommation, l'investissement des entreprises – qui, malgré tout, a moins souffert que prévu –, l'investissement des ménages et la contribution du commerce extérieur, ce qui signifie que les exportations auront plus baissé que les importations. Est-ce le signe d'une perte de parts de marché ou celui d'une mauvaise spécialisation ? Ce sont des analyses qu'il faudra faire avec du recul.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.