Intervention de Olivier Garnier

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l'international de la Banque de France :

La Banque de France a publié au début de la semaine ses projections 2022 et 2023 dans le cadre de l'Eurosystème. Je vous dirai également quelques mots sur la situation financière des ménages et des entreprises.

En ce qui concerne la conjoncture à la fin de l'année 2020, nous sommes tout à fait en ligne avec les constats présentés par M. Jean-Luc Tavernier. Je peux d'ailleurs vous donner la primeur de notre enquête relative aux ventes dans le commerce de détail, qui paraît ce matin. Au cours du mois de novembre, mois de fermeture des commerces non essentiels, la baisse des ventes était de 24,5 % en glissement annuel. Au mois d'avril, elle avait été de 39 %. Voilà qui confirme un effet moindre du second confinement sur le commerce.

Sans surprise, deux secteurs ont connu de meilleurs résultats : le bricolage a connu une hausse de 5 % – les Français ont beaucoup bricolé durant le mois de novembre – et la pharmacie une progression de 1 %. En revanche, tous les autres types de commerces sont en baisse – légère en ce qui concerne l'agroalimentaire.

Les prévisions relatives aux années 2020 à 2023 ont été produites dans le cadre de l'Eurosystème – la Banque centrale européenne a d'ailleurs publié jeudi l'ensemble des prévisions pour la zone euro –, nous avons tous travaillé sur les mêmes hypothèses, y compris sanitaires. Comme l'INSEE, en 2020, nous prévoyons une baisse du PIB de 9 %. Puis nous prévoyons une croissance autour de 5 % en 2021, 5 % en 2022 et 2 % en 2023. En comparaison, l'INSEE et l'OCDE prévoient plutôt 6 % en 2021, l'OFCE 7 % et le Gouvernement, dans le projet de loi de finances rectificative, 6 %.

Pourquoi un tel écart ? Cela tient essentiellement aux hypothèses sanitaires. Dans le cadre de l'Eurosystème, nous avons arrêté pour l'ensemble des pays de la zone euro des hypothèses prudentes. Nous considérons que c'est seulement à la fin de l'année 2021 et en 2022 que les restrictions sanitaires pourront être levées, grâce à la généralisation du vaccin. Au premier trimestre, le virus devrait continuer de circuler et, par conséquent, un certain nombre de restrictions demeureraient en Europe – ce qui ne veut pas dire qu'elles seront identiques à celles que nous avons connues au cours de ce trimestre. Cela explique pourquoi nous envisageons pour 2021 une croissance de 5 %.

Cependant, plutôt que les taux de croissance, il importe de considérer les niveaux d'activité. Selon nos prévisions, le PIB retrouvera son niveau antérieur à la crise à la mi-2022. Au mois de septembre, avant la deuxième vague, nous envisagions plutôt un retour à la normale au début de l'année 2022. Nous avons donc perdu à peu près six mois avec la rechute de ce quatrième trimestre.

Qu'en est-il de nos partenaires de la zone euro ? La croissance serait en moyenne de 4 % en 2021 et 4 % en 2022, après une baisse du PIB de 7 % en 2020. Cette baisse fut plus forte pour la France, notamment du fait d'une plus grande circulation du virus et de mesures de confinement un peu plus marquées, notamment par comparaison avec l'Allemagne. Notre pays connaîtrait en revanche un taux de croissance supérieur en 2021 et 2022, par un phénomène de rattrapage, la croissance étant en 2021 de 3 % en Allemagne et de 3,5 % en Italie. De même, c'est l'Espagne, dont le PIB s'est le plus rétracté en 2020, qui connaîtrait la plus forte croissance en 2021 : près de 7 %.

Cependant, les taux de croissance peuvent être trompeurs. Ainsi, l'Allemagne, qui a connu une moins forte contraction du PIB, revient à son niveau d'avant la crise un peu plus tôt que les autres, au début de l'année 2022. La France, dans la moyenne de la zone euro, le retrouve à la mi-2022 alors que l'Italie et l'Espagne ne le retrouvent que dans le courant de l'année 2023. Des divergences demeurent donc au sein de la zone euro.

Économistes et non médecins, nous avons élaboré différents scénarios quant à l'évolution de l'épidémie, de favorable à sévère. Le scénario favorable, implicitement retenu par tous les instituts, se caractérise, dès le début de l'année 2021, par une levée rapide des mesures de restriction. La croissance serait alors autour de 7 % dès 2021, et se maintiendrait à un niveau de 5 % en 2022. Selon le scénario le plus défavorable, le virus circulerait encore en 2022 et c'est seulement en 2023 que seraient levées les mesures de restriction, grâce aux effets de la vaccination ; nous connaîtrions encore une récession en 2021, avec une baisse de 1 % du PIB, et une reprise plus lente en 2022 et 2023.

J'en viens à l'emploi et au chômage, les prévisions respectives des différents instituts faisant ce matin l'objet de comparaisons dans certains médias.

Première remarque, il convient de considérer plutôt l'emploi que le taux de chômage. Comme l'a expliqué Jean-Luc Tavernier, il est actuellement bien difficile de définir ce que sont la population active et une personne à la recherche d'un emploi, d'où des taux de chômage possiblement en trompe-l'œil. Après la baisse d'environ 700 000 emplois en 2020, nous connaîtrions encore une baisse de l'emploi au premier semestre 2021, avant une remontée au cours du second semestre. Cette prévision se fonde sur notre scénario de baisse assez accusée de l'activité au quatrième trimestre 2020 suivie d'une reprise encore assez lente au premier trimestre 2021. Ainsi, l'emploi progresserait de 30 000 en 2021 et de 400 000 en 2022.

En faisant l'hypothèse, en matière de population active, d'un rattrapage à la suite des décalages que nous avons connus, le taux de chômage pourrait approcher, temporairement, dans le courant de l'année 2021, les 11 %, avant de redescendre finalement à moins de 9 %. L'emploi est toujours une variable retardée par rapport au cycle, et le dispositif d'activité partielle a aussi retardé certains ajustements de l'emploi.

J'en viens à la consommation et à l'épargne des ménages. En 2020, en moyenne, le pouvoir d'achat des ménages a été à peu près préservé. C'est la conséquence de tous les dispositifs publics qui ont été mis en place, notamment l'activité partielle ; le choc a donc surtout été supporté par les entreprises et les administrations publiques. La consommation a donc beaucoup plus baissé, du fait des mesures de confinement, que le pouvoir d'achat, ce qui a entraîné une envolée du taux d'épargne. Par rapport à la tendance, le surplus de l'épargne financière – soit l'épargne après déduction de l'investissement en logement neuf des ménages – sera de 130 milliards d'euros à la fin de l'année 2021. C'est seulement en 2022 que le taux d'épargne passera sous son niveau moyen antérieur ; c'est donc seulement en 2022 que les ménages commenceront à puiser un peu dans la réserve d'épargne qu'ils auront accumulée. La réserve d'épargne continue donc encore à augmenter un peu.

Si les ménages se mettaient à puiser davantage dans leurs réserves d'épargne, la consommation serait plus forte. Cependant, la constitution d'une épargne de précaution, dans un contexte de hausse du taux de chômage en 2021, doit également être prise en compte dans notre prévision.

Qu'en sera-t-il des finances publiques ? Le ratio de la dette publique rapportée au PIB, ce n'est pas une surprise, bondirait jusqu'aux alentours de 120 % du PIB en 2021 et en resterait proche, quoique légèrement inférieur, en 2022 et 2023. La moyenne de la zone euro présente le même type de profil, mais l'écart tend quand même à se creuser. En 2019, juste avant la crise, notre dette rapportée au PIB était supérieure d'environ quinze points à la moyenne ; à l'horizon 2023, l'écart sera plutôt d'une vingtaine de points, notamment compte tenu des développements en Allemagne.

Le surplus d'épargne des ménages ne signifie pas qu'il y a un surplus d'épargne au niveau de l'économie dans son ensemble, il traduit simplement le fait que les ménages n'ont pas pu consommer et que leurs revenus ont été protégés par les administrations publiques. Il n'y a en revanche pas eu de sous-consommation par rapport au revenu, à la richesse qui a été créée au cours de cette période dans l'économie. Si nous considérons non pas seulement les ménages mais aussi les sociétés non financières – donc les entreprises – et les administrations publiques, notre balance des transactions courantes est en déficit : le reste du monde a une capacité de financement qui se renforce nettement en 2020, ce qui veut dire que le déficit de la balance des paiements, autrement dit de nos transactions courantes, tend à se creuser en 2020. Au niveau de l'économie nationale, il y a donc eu, en quelque sorte, une désépargne, notre déficit vis-à-vis du reste du monde s'étant accru. Certes, les ménages ont davantage épargné, mais les entreprises et les administrations publiques, surtout, ont désépargné. Il faut bien avoir ceci à l'esprit : l'épargne des ménages est tout simplement le résultat des transferts des administrations publiques ; elle ne vient pas d'une sous-consommation des revenus créés.

L'envolée de l'épargne financière des ménages profite aux produits de taux, puisque cette épargne est essentiellement liquide, déposée, par exemple, sur des livrets A, d'autres livrets ou des comptes de dépôt. Certes, l'épargne en produits de fonds propres, comme les actions au sens large, n'a pas diminué mais les produits de taux sont encore plus prépondérants qu'ils ne l'étaient.

Alors que les ménages ont épargné, les entreprises se sont fortement endettées ; la somme des flux de dettes des sociétés non financières représente, à la fin du mois d'octobre, 180 milliards d'euros d'endettement supplémentaire, soit une hausse de 10 % de l'endettement, dont 125 milliards d'euros de prêts garantis par l'État. Il est à noter que ce sont plutôt les petites et moyennes entreprises (PME) qui en ont bénéficié, ce qui est plutôt sain.

La hausse de la trésorerie des entreprises a été à peu près de la même ampleur – à peu près 170 milliards d'euros cumulés – sur la même période. Cela ne veut pas dire que les mêmes entreprises sont endettées et ont de la trésorerie : par exemple, dans le cadre du crédit interentreprises, si je m'endette pour payer mon fournisseur, c'est mon fournisseur qui va déposer des liquidités à sa banque. Cependant, globalement, grâce aux dispositifs mis en place, nous n'avons pas constaté les fortes tensions que nous pouvions craindre en matière de trésorerie, mais il n'en faudra pas moins surveiller cela.

Dernière remarque, si les entreprises françaises étaient déjà entrées dans cette crise avec un ratio d'endettement rapporté au PIB plus élevé que leurs partenaires de la zone euro, l'écart entre la France et les autres pays est encore en train de se creuser – même si la dette des entreprises augmente partout. Nous sommes le pays où le secteur privé non financier est le plus endetté. Alors que la dette publique de l'Italie, par exemple, est nettement plus élevée que la nôtre, le ratio de la dette privée rapportée au PIB y est plutôt de 110 %, tandis qu'il est de 150 % en France, soit une situation symétrique à celle que nous constatons en matière de dettes publiques. En revanche, l'Allemagne, qui a déjà la dette publique la plus faible, est aussi le pays qui a la dette privée la plus faible.

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