La prévision gouvernementale d'une récession de 11 % en 2020 est très prudente. L'INSEE prévoit, pour sa part, une chute à hauteur de 9 %, ce qui correspond à la prévision médiane au vu de la situation actuelle. Le chiffre de 6 % de croissance pour 2021 correspondrait à une évolution presque idéale de la situation sanitaire.
La reprise « en V » de la consommation en France, dès que l'incertitude a semblé levée, a surpris. La consommation est repartie fortement, sauf pour les secteurs du tourisme et des transports. L'incertitude quant à l'évolution de la pandémie est le critère le plus important en matière de consommation, d'épargne et d'investissement. Si l'immunité collective est atteinte dans l'année grâce à la vaccination, je pense que le taux d'épargne reviendra à son niveau traditionnel, mais un peu plus lentement que cet été. La deuxième branche du « V » sera moins pentue du fait des mesures de précaution sanitaire qui perdureront, en particulier dans les bars, les cafés, les restaurants… Il n'y a pas de substitut au rétablissement de la confiance.
L'INSEE ne fait pas de prévision du déficit et de la dette publics. Pour répondre au rapporteur général, nous pouvons toutefois calculer que si la croissance augmente de 3 points de PIB en valeur, avec une dette de 120 % du PIB, celle-ci sera stabilisée lorsque le déficit sera revenu à 3,6 % du PIB. Tant que le déficit est supérieur à ce chiffre, la dette ne sera pas stabilisée.
Il est très difficile de dire quel est le bon niveau de dette publique – c'est un débat récurrent entre économistes. Deux choses me frappent. D'une part, on compte beaucoup sur l'action des banques centrales pour assurer des taux d'intérêt bas. Elles ne peuvent cependant jouer ce rôle que tant qu'elles ne sont pas confrontées à l'inflation. Le risque majeur, à la probabilité encore faible aujourd'hui, est que les banques centrales soient confrontées à un dilemme : la lutte contre l'inflation ou le soutien à l'économie et au rétablissement des finances publiques. D'autre part, les écarts de dette publique vont être majeurs entre les pays de la zone euro, puisque le virus a plus frappé les pays du sud, déjà plus fortement endettés que les pays du nord. À terme, l'écart pourrait être de 100 points entre l'Italie et l'Allemagne. C'est une situation inconnue dans la zone euro, et un test pour la capacité de solidarité entre les pays du nord et ceux du sud.
S'agissant de la dette privée des entreprises, l'INSEE a montré ces dernières années que beaucoup d'entreprises endettées poursuivent des projets de croissance externe. Elles sont endettées mais disposent parallèlement d'un niveau de trésorerie et d'actifs important ; c'est notamment le cas des multinationales, assez nombreuses en France.
L'investissement ne va pas connaître une croissance très rapide début 2020, puisque les projets d'investissement ont été décalés ; l'investissement va repartir moins vite que la consommation, en dépit du faible niveau des taux d'intérêt et des politiques publiques menées. La reprise de l'investissement ne sera donc pas immédiate.
Je ne suis pas vraiment alarmiste en ce qui concerne le taux de chômage, même si l'INSEE n'a pas encore fait de prévision sur le taux de chômage pour le premier semestre 2021. Je ne parierais pas qu'il atteigne 11 % : des mesures ont été adoptées face à la menace de la montée du chômage, comme les mécanismes d'activité partielle et de soutien aux entreprises. De ce fait, la montée du chômage, comme la recrudescence des faillites, ne sera pas brutale.
Quant aux comités budgétaires indépendants, monsieur le rapporteur général, ils ont, en général, plus de prérogatives que notre Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Au HCFP, il y a quelques semaines, nous avons dû nous prononcer sur des prévisions de croissance révisées sans que la saisine mentionne les assiettes et agrégats, même pas la masse salariale, ce qui est frustrant. Cela étant, puisque le HCFP est présidé par le Premier président de la Cour des comptes et composé, pour moitié, de magistrats de la Cour, je ne sais pas si la Cour peut intervenir à toutes les étapes, en ayant à la fois la charge de l'évaluation des politiques publiques et le conseil du Gouvernement, et même un pouvoir juridictionnel. Cela pose question.
Les mesures de soutien ont été ciblées et généreuses, notamment les mesures de soutien aux indépendants qui leur procurent beaucoup de trésorerie pendant ce second confinement. Certaines lacunes apparaissent toutefois, en particulier s'agissant des jeunes, qu'ils soient étudiants, ou non. Ceux qui souffrent le plus sont cependant les travailleurs non déclarés, qui ne peuvent que bénéficier du RSA, quand ils y sont éligibles.
Je suis content que Valérie Rabault ait salué la qualité de France, Portrait social, publié il y a quelques semaines par l'INSEE, qui propose un commentaire de toutes les études sur l'évolution des inégalités pendant la crise. Celle-ci a été un révélateur d'inégalités à tous points de vue. Les plus criantes se situent dans notre système de formation initiale, c'est-à-dire dans l'éducation nationale. Non seulement le niveau baisse, comme l'a prouvé la dernière étude Trends in Mathematics and Science Study sur les mathématiques, mais, surtout, la France est le pays où le déterminisme social est le plus fort dans les résultats à l'école. À mes yeux, c'est le plus alarmant.
Quant à la « zombification », certains secteurs connaissent moins de défaillances d'entreprises qu'en temps normal. Classiquement, le turn-over est important dans le secteur de la restauration, et il le sera encore plus en 2021 et 2022. Les spécialistes des données d'entreprises ne sont pas alarmistes quant à une « zombification » généralisée à tous les secteurs de l'économie.
Pour vous répondre concrètement, madame Dalloz, la chute de 9 % du PIB cache une baisse de 32 % de l'activité dans le secteur hôtelier et de la restauration, et de 25 % pour les services.
À ce stade, nous n'avons pas pu localiser l'épargne des indépendants. Nous essayons de travailler avec les banques – c'est une nouveauté –, mais aujourd'hui, notre appareil statistique ne nous permet pas de connaître les revenus en temps réel, puisque l'INSEE travaille à partir de données administratives, essentiellement fiscales.
Mme Dalloz a été surprise que le revenu disponible brut des ménages ne progresse pas malgré les mesures de soutien et la réduction de la consommation. Si le revenu national a fortement baissé en 2020, cette baisse a en effet été absorbée par l'accroissement du déficit public, et par la diminution des marges des entreprises. Ce n'est pas visible sur le revenu des ménages, qui a chuté de seulement 0,3 % ; c'est différent dans beaucoup d'autres pays, où il baissera plus significativement. Toutefois, la masse salariale distribuée par les entreprises est en forte baisse. Vous ne devez pas être surprise que le revenu des ménages ne soit pas en hausse. La consommation a baissé, ce qui fait que l'épargne a augmenté de 130 milliards d'euros environ, mais l'épargne se situe en aval du revenu.