Selon notre nouvelle projection, l'économie revient au niveau de l'année 2019 à la mi-2022, alors que notre projection précédente plaçait ce retour au début de l'année 2022, et nous ne parlons pas du niveau auquel l'économie se situerait s'il n'y avait pas eu la crise. L'économie n'a pas rattrapé la croissance perdue pendant les deux années de crise, et cette perte de croissance peut entamer le PIB potentiel, c'est-à-dire le potentiel productif, ce qui aurait comme effet que la croissance soit plus faible lors du retour à la normale. Nous projetons donc un retour au PIB de 2019 à la mi-2022 – au début de l'année 2022 dans l'hypothèse où un scénario favorable se réaliserait.
Quant au retour au niveau d'emploi antérieur à la crise, selon nos prévisions, madame Dalloz, il y aurait de 700 000 à 750 000 pertes d'emploi en 2020, puis la création de 45 000 emplois en 2021, un peu moins de 400 000 en 2022 et un peu moins de 100 000 en 2023. Cela signifierait que nous n'aurions alors pas encore retrouvé les emplois perdus en 2020.
M. Labaronne nous a interrogés sur les prévisions de croissance par rapport à nos partenaires de la zone euro. Si notre taux prévisionnel pour 2021 est supérieur à la moyenne de la zone euro, il serait trompeur de ne prendre en considération que ce chiffre. Dans la mesure où nous avons plus baissé en 2020, nous ne faisons au total ni mieux ni moins bien que cette moyenne.
Notre consommation est supérieure, et c'est ce qui explique notre résilience. En matière d'exportations, en revanche, nous sommes en 2020 moins performants que nos partenaires. C'est particulièrement clair par rapport à l'Allemagne, qui est un très gros exportateur. Les services, dont le tourisme, pèsent pour 30 % dans nos exportations de biens et services, alors que l'Allemagne est davantage un exportateur industriel, mais, même en Italie et en Espagne, où le tourisme et le voyage représentent 50 % des exportations de services, il semble que les exportations repartent plus vite. Nous avons en tout cas perdu des parts de marché et nous n'en regagnons pas pour le moment.
Dans les projections que nous effectuons en matière de finances publiques, le ratio d'endettement public augmente encore un peu entre 2020 et 2021. On resterait fin 2020 en deçà des 120 %, qui ne seraient atteints qu'en 2021. Compte tenu de nos hypothèses de croissance, différentes de celles du Gouvernement, le déficit public représenterait encore environ 7 % du PIB en 2021. À l'horizon 2023 et à politique inchangée – sachant que nos prévisions intègrent le plan de relance –, il s'établirait à 4 %.
M. Jean-Noël Barrot nous a interrogés sur la nature de la dette privée au regard de la trésorerie des entreprises. Comme l'a dit M. Tavernier, le fait que le ratio de dette des entreprises soit plus élevé en France que chez nos partenaires tient sans doute à ce que nous avons beaucoup de multinationales, lesquelles émettent en France, mais souvent pour financer des activités à l'étranger. Le PIB étant par nature domestique, le ratio n'est pas forcément représentatif.
Cela dit, dans la période récente, ce sont plutôt les PME qui se sont endettées. Cet endettement comprend sans doute un endettement de précaution, car, de même qu'il y a une épargne de précaution, il existe un endettement de précaution : nous avons observé que les entreprises ont tiré sur les lignes de crédit qu'elles avaient auprès des banques et nos enquêtes sur les PGE ont montré que les entreprises recourent souvent à ces prêts par précaution. Cela trouve sa traduction dans la trésorerie. Comme je l'expliquais au sujet du crédit interentreprises, la distribution du cash et de la dette dans cette augmentation n'est pas complètement définie.
Même en distinguant les secteurs, l'augmentation de la dette est assez homogène. Les secteurs les plus touchés par la crise, comme l'hôtellerie-restauration, ne sont pas ceux qui se sont le plus endettés. Du reste, d'autres mécanismes d'aide, de type fonds de solidarité, leur sont destinés. On est plus dans une logique de subvention que de PGE.
Madame Rabault, lorsque l'on additionne dette publique et dette privée à partir de nos statistiques trimestrielles pour l'ensemble des pays de la zone euros, les chiffres de juin montrent que la France est effectivement passée – de peu – en tête, avec 264 % du PIB. L'Italie est à 261 %, l'Espagne à 240 % et l'Allemagne à 167 %. La moyenne de la zone euro se situe à environ 120 %. La France et l'Italie sont donc en tête, mais avec une répartition différente entre dette publique et dette privée.
La tendance, qui était déjà observable avant la crise, est au gonflement des bilans dans le secteur non financier : aussi bien les ménages que les entreprises font davantage de dépôts et, dans le même temps, la dette privée et publique augmente. C'est un phénomène assez caractéristique que l'on retrouve au niveau mondial, avec, à la fois, beaucoup de dette et beaucoup de cash, et qui explique le fort appétit pour les titres de dette publique même lorsque les pays émettent à des taux négatifs.
Cet excès de cash dans l'économie mondiale nous renvoie aux politiques monétaires. Selon M. Labaronne, si cette politique monétaire ne fait pas repartir l'inflation, en tout cas pour les biens et services, elle a peut-être des conséquences sur les prix des actifs, notamment mobiliers. Pour ma part, je ne crois pas qu'il soit exact de dire qu'elle n'a pas d'influence sur l'inflation. Pour étayer une telle affirmation, il faut faire ce que les économistes appellent un « contrefactuel » afin d'établir ce qui se serait passé en termes d'inflation si l'on n'avait pas mené cette politique-là. Au niveau de l'Eurosystème, nous avons procédé à de telles analyses à partir de modèles. Il en ressort, pour la période 2014-2019, que l'effet sur les prix de la politique monétaire que l'on a menée est d'environ 150 points de base, soit 1,5 %. En d'autres termes, les pressions déflationnistes auraient été beaucoup plus fortes si l'on n'avait pas conduit cette politique.
Bref, on ne peut dire que cette politique ne marche pas, mais nous sommes dans un contexte d'excès de cash dans le monde qui fait que le taux d'intérêt d'équilibre dans l'économie mondiale est beaucoup plus bas, si bien que les politiques monétaires ont sans doute moins de « traction » qu'à d'autres époques. Certains diront qu'il est d'autant plus nécessaire d'en faire plus, d'autres qu'il faut utiliser d'autres instruments.
S'agissant du prix des actifs, nous disposons d'autres instruments, notamment la politique macroprudentielle, pour prendre en compte les effets éventuels sur la stabilité financière. En France, le Haut Conseil de stabilité financière a déjà pris des mesures.
MM. Labaronne et de Courson ont également évoqué le système bancaire.
À la différence de la précédente crise, les banques n'ont pas été la cause de la crise, mais ont apporté au contraire une solution, un soutien. Cela montre que les mesures prises postérieurement à 2008-2009, aussi bien en matière de supervision que dans le domaine prudentiel, ont été efficaces : les banques sont arrivées dans cette nouvelle crise mieux capitalisées et ont pu contribuer en matière de crédit. Comme je l'avais dit lors d'une précédente séance, c'est en France que la croissance du crédit aux entreprises est la plus forte, avec des taux à deux chiffres, et c'est aussi en France que le taux du crédit aux entreprises est le plus bas.
Les banques risquent-elles de rencontrer un problème de solvabilité ? À ce stade, on n'en voit aucun signe. Le mécanisme de supervision permet un suivi étroit. Il peut y avoir ici ou là, dans certaines banques, des difficultés, mais, aujourd'hui, le sujet, pour les banques en Europe, est plus celui de la profitabilité que celui de la solvabilité. Pour de nombreuses raisons, qui ne sont pas seulement liées aux taux d'intérêt bas – il existe aussi des facteurs structurels –, la profitabilité des banques est plus basse en Europe que dans d'autres zones du monde.
En tout état de cause, les banques sont en situation d'apporter leur concours à l'économie.
S'agissant de la question de Mme Rabault sur les notations, nous communiquerons notre réponse par écrit.