Intervention de Laurence Boone

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Laurence Boone :

Dans nos prévisions également, ce n'est qu'à la mi-2022 que l'on retrouve le niveau de 2019. La perte est plus grande si l'on prend l'ensemble des pays de l'OCDE. Dans le scénario central, elle est de 7 trillions d'euros. C'est comme si l'on avait effacé d'un coup le PIB de la France et de l'Allemagne !

Comme l'indiquait M. Tavernier dans son propos introductif, on n'a jamais vu une crise aussi inégalitaire. Non seulement le covid affecte davantage les personnes qui vivent dans de mauvaises conditions, qui exercent des métiers difficiles, qui doivent prendre les transports en commun, etc., mais les secteurs les plus touchés sont ceux qui concentrent le plus de jeunes, de moins qualifiés et de contrats précaires.

Quand on se retrouvera, au milieu de 2022, dans la situation de 2019, ce sera en fait une situation pire pour la société puisqu'on aura creusé des inégalités. Je vous rappelle – n'y voyez aucune impertinence de ma part – qu'avant 2019 non seulement la croissance était inférieure à 2 %, mais il y avait des Gilets jaunes dans la rue.

Je crois donc que cette inquiétude doit être le compas de notre politique budgétaire. Non seulement on aura creusé les inégalités par le bas, mais les travaux du Conseil d'analyse économique montrent que les 10 ou 20 % les plus aisés se seront enrichis du fait de l'inflation des actifs financiers – il faut garder à l'esprit cet effet secondaire de la politique monétaire. Du fait du creusement des inégalités, la situation sera pire que celle de 2019.

Ce n'est pas tant une question de redistribution que d'accès aux possibilités. Selon la dernière enquête PISA – programme international pour le suivi des acquis des élèves – de l'OCDE, les élèves français de quatrième ont les plus mauvaises performances en mathématiques de tous les pays de l'OCDE. Le niveau n'a cessé de baisser et l'écart entre les enfants de milieux favorisés et les autres ne cesse de s'accroître.

Non seulement nous vivons une situation terrible, mais les écarts se creusent, ce qui rendra cette situation encore plus terrible demain.

Je vous invite à lire la publication récente de l'OCDE intitulée Health at a Glance : Europe 2020, qui montre les écarts dans l'accès aux soins des différentes couches de la population. La France, là aussi, se classe parmi les pires.

Ce n'est pas tant, je le répète, une question de redistribution – celle-ci est colossale chez nous – que d'accès aux soins ou à l'éducation.

En France, les professeurs sont très mal payés par rapport à leurs homologues de l'OCDE, sauf en fin de carrière ; les personnels de santé, dont les infirmières, font également partie des plus mal payés et il n'existe pas chez nous, contrairement à d'autres pays, de gradation entre infirmière et infirmière qualifiée.

Je pense que la soutenabilité de la dette de demain reposera à la fois sur la croissance et sur des institutions solides, dans lesquelles la population a confiance. Dès lors que de l'argent semble entièrement disponible, il faut utiliser cet argent pour répondre aux problèmes structurels de l'économie, à savoir l'éducation, la santé et l'accès au marché du travail pour les populations les moins qualifiées. En la matière, nos voisins européens – notamment l'Allemagne – font mieux.

J'ajoute que la BCE n'a jamais réussi à normaliser sa politique monétaire depuis la crise financière. Nous devons nous projeter dans un monde où les taux d'intérêt ne remonteront pas rapidement – à moins que ne survienne une crise inflationniste, ce qui est difficile à concevoir compte tenu de l'atonie de la demande. Cela pose la question de l'appétit au risque et, ainsi que l'a dit M. de Courson, de la façon dont on peut orienter l'épargne accumulée. La réglementation et les incitations fiscales peuvent en effet diriger l'épargne vers des actifs plus risqués, sous couvert des politiques macroprudentielles évoquées par M. Garnier.

Je rappelle enfin que, dans de nombreux pays, les conseils de stabilité des finances publiques ont plus de pouvoirs que notre Haut Conseil des finances publiques. Certains délivrent une appréciation sur la politique du gouvernement au regard d'une trajectoire de finances publiques. Je pense notamment à l'instance suédoise, qui me semble à la fois la plus libre, la plus indépendante et la plus avancée pour ce qui est des outils utilisés, et qui rend compte, bien entendu, de son activité au Parlement.

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