Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui et je formule tous mes vœux pour vous, les vôtres et notre cher pays. Permettez-moi d'y ajouter un vœu exceptionnel pour le Parlement : je souhaite qu'il reste toujours dans notre pays le lieu respecté de la démocratie, alors qu'il a été attaqué le mercredi 6 janvier outre-Atlantique.

Je voudrais d'abord évoquer la conjoncture économique, puis la mobilisation en appui de la politique monétaire et enfin, la question de la dette.

Notre enquête mensuelle, menée auprès de 8 500 entreprises sur tout le territoire, a été publiée ce matin, mercredi 13 janvier. Elle situe l'économie française en décembre 2020 à 7 % en-dessous de son niveau d'avant-crise. La perte d'activité est beaucoup moins lourde qu'au printemps. Nous avons collectivement appris à travailler en nous protégeant – hormis les services à la personne (dont l'hébergement et la restauration) qui demeurent les secteurs les plus touchés. Le mois de décembre 2020 a connu une amélioration sensible par rapport au mois de novembre, qui enregistrait une perte d'activité de 11 %. Le mois de janvier devrait marquer un palier à - 7 %, mais nous n'attendons pas que le durcissement horaire du couvre-feu dans certains départements ait un coût économique significatif ce mois-ci.

Cette dernière enquête mensuelle conforte notre prévision d'ensemble établie au mois de décembre, qui est prudente et confiante. Notre scénario central indique une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 5 % en 2021 et en 2022. Cette prévision a été établie il y a un mois et l'enquête publiée aujourd'hui ne fait que la confirmer. Nous faisons l'hypothèse que les mesures de confinement continueraient au premier trimestre 2021 et seraient progressivement levées ensuite. La récession de 2020, que nous estimons à – 9 %, a été la plus rude depuis 1945. Notre pays a amorti le choc pour les ménages grâce au dispositif d'activité partielle, qui leur a permis de bénéficier d'un pouvoir d'achat en moyenne préservé.

Dans les montants effectivement dépensés, l'effort budgétaire français en faveur des dispositifs publics de soutien paraît au moins comparable à celui de ses voisins européens. Le prêt garanti par l'État (PGE) est incontestablement une réussite française. L'effort français se situe dans un ordre de grandeur comparable à celui de ses voisins européens. La contrepartie en est une hausse de la dette publique, portée à plus de 115 % du PIB.

Pour 2021 et 2022, le rebond espéré de + 5 % en France devrait être le plus fort depuis 1973. Il devrait également être supérieur à la moyenne attendue pour la zone euro, que la BCE estime à + 4 % en 2021 et en 2022. Le choc sans précédent du COVID entraînera néanmoins inévitablement une détérioration du marché du travail, causant un pic du chômage proche de 11 % lors du premier semestre 2021, avant un reflux attendu autour de 9 % fin 2022.

La politique monétaire de l'euro-système a apporté un soutien rapide, fort et efficace. Nous l'avons conduite au nom du mandat de stabilité des prix. Le choc causé par le COVID a entraîné un fort effet désinflationniste. L'inflation, déjà faible au début de l'année 2020, est devenue temporairement négative à la fin de cette année à - 0,3 %. Nous restons déterminés à atteindre notre objectif de 2 % d'inflation à moyen terme. Pour cela, nous maintiendrons aussi longtemps que nécessaire des conditions monétaires favorables. Nous suivrons avec une attention particulière les effets négatifs sur l'inflation du taux de change de l'euro contre les diverses devises.

Sur ce chemin, notre politique monétaire permet un résultat très concret : maintenir des conditions de financement favorables dans tous les pays et pour tous les acteurs économiques, jusqu'aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux ménages. Nous avons, au travers de nos deux programmes exceptionnels, le targeted longer-term refinancing operations (TLTRO III) et le pandemic emergency purchase programme (PEPP), construit un pont de financement pour aider les acteurs économiques à traverser cette crise. L'euro-système a ainsi montré que son indépendance et son mandat étaient pleinement compatibles avec une forte capacité d'action et d'innovation.

Cette action a été possible car nous sommes crédibles et nous sommes ancrés dans les traités européens. Nous ne pouvons pas aller au delà. L'argent créé par la banque centrale est prêté pour une durée limitée, et n'est pas donné définitivement. Par sa création monétaire, la banque centrale peut donc procurer du temps – cela est essentiel en temps de crise – mais ne peut pas augmenter durablement les richesses. Seuls notre travail et la croissance le peuvent.

Ce sujet préoccupe légitimement nos concitoyens. L'on me pose à ce sujet souvent deux questions. Tout d'abord, existe-t-il une solution simple au problème de la dette publique massive, comme l'annulation de la dette ou sa conversion en titres perpétuels ? Ensuite, s'il n'y a pas de solution simple, quelle est l'issue au problème ?

L'annulation de la dette publique est une illusion séduisante, mais ne constitue pas une solution. Un prêteur, privé ou public, qui n'est pas remboursé, ne prêtera plus. L'annulation de la dette détenue par la BCE et la Banque de France reviendrait à financer directement et durablement les États, ce qui est interdit par les traités fondateurs de l'euro. En l'absence de consensus pour modifier ces traités, la décision d'annulation de la dette signifierait quitter l'euro. En outre, en dehors même de l'euro, aucun grand pays (États-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne) n'envisage l'annulation des titres détenus par sa banque centrale. Une dette ne peut pas être annulée ; elle peut être refinancée à échéance, mais cela n'est jamais automatique. Le prêteur ne refinancera que s'il est confiant quant au fait que cette dette est soutenable, c'est-à-dire remboursable tôt ou tard.

Quel est donc notre chemin possible vers le désendettement ? Nous devons combiner trois leviers.

Nous avons d'abord besoin de temps : il faut éviter de supprimer trop tôt les mesures budgétaires accommodantes. Il faudra attendre le retour de l'économie à son niveau d'avant la crise, à partir de 2022, pour commencer à réduire le ratio d'endettement.

Ensuite, la croissance constitue un déterminant clé du financement de la dette – déterminant nécessaire mais non suffisant.

Enfin, le dernier levier est le maintien de nos coûts publics. Les coûts publics de la France sont les plus élevés d'Europe et même de l'ensemble des pays développés. J'ai conscience que la répétition suscite un certain scepticisme. Beaucoup, à force d'avoir entendu parler de cette maîtrise, ne la croient plus possible ; d'autres redoutent l'austérité. La Banque de France ne suggère pas l'austérité, mais une double stabilité : celle des dépenses publiques primaires en volume et celle des impôts et cotisations sociales. Au cours des dix dernières années, nos dépenses en volume ont augmenté en moyenne de 1 % par an. La stabilité serait compatible avec le maintien de notre modèle social européen. Beaucoup de nos voisins sont parvenus à cette stabilité. Elle serait également compatible avec le maintien de nos dépenses publiques les plus productives et de celles visant les jeunes, dont l'éducation, la formation et la recherche, qui ont un effet positif et économiquement avéré sur la croissance à long terme. Parallèlement, la stabilité fiscale, c'est-à-dire l'absence de hausse comme de baisse des impôts, serait un facteur central de prévisibilité pour les ménages et les entrepreneurs.

Une telle stabilité serait de nature à tout changer. En dix ans, toutes choses égales par ailleurs, nous aurions réduit la dette publique à hauteur d'environ 20 % du PIB. Nous aurions ainsi inversé une tendance grave à endetter les générations futures. Atteignant près de 120 % du PIB, la dette publique est aujourd'hui deux fois plus élevée qu'il y a vingt ans, et six fois plus qu'il y a quarante ans.

J'évoquerai enfin la dette des ménages. La décision du Haut Conseil de stabilité financière du 17 décembre 2020 sur les crédits immobiliers est équilibrée et efficace. Son objectif n'est ni d'exclure des ménages de l'accession à la propriété ni de faire reculer le crédit immobilier, mais d'arrêter une dérive continue des conditions d'octroi qui n'était pas soutenable. Depuis 2015, la durée des crédits s'allongeait continuellement et le taux d'effort augmentait ; la poursuite de cette tendance aurait fragilisé la situation des ménages emprunteurs et augmenté le risque de surendettement. Cette décision est équilibrée : nous avons, au vu de l'expérience des premiers mois, ajusté certains paramètres de cette recommandation. En contrepartie, nous renforçons son caractère contraignant. La recommandation ajustée sera publiée en janvier 2021. À l'été 2021, le Haut Conseil de stabilité financière prendra les dispositions nécessaires pour que cette recommandation devienne une norme. Cette décision a été prise à l'unanimité du Haut Conseil de stabilité financière et a été largement saluée par les différents partenaires. Nous aurons ainsi préservé le modèle français de crédit immobilier et protégé les ménages par un financement sain et soutenable de leurs projets.

Je terminerai par quelques mots sur la Banque de France. L'année 2020 aura marqué une étape importante dans notre transformation interne : nous avons achevé notre plan stratégique Ambition 2020, en dépassant largement les dix repères de réussite que nous nous étions fixés. 2020 aura surtout montré un engagement exceptionnel, pendant la crise et en dehors, des femmes et des hommes de la Banque de France au service de nos concitoyens et des entrepreneurs. Nous voulons continuer à prouver que le service public peut être efficace et innovant. Soyez-en assurés en 2021.

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