Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

S'agissant de la biodiversité, deux questions sont ouvertes devant nous : tout d'abord, quelles en sont les conséquences économiques ? Ensuite, en quoi ceci rentre dans le cadre de la politique monétaire ? Nous allons étudier sérieusement ces deux questions. Je partage totalement l'engagement de la banque centrale sur la politique environnementale. Il ne faudrait pas pour autant former une attente exclusive à ce sujet vis-à-vis de la banque centrale et de la politique monétaire, qui ne peuvent pas tout en la matière, alors que beaucoup relève de la politique fiscale, et en particulier d'une taxe carbone, élément nécessaire et difficile.

Je partage entièrement votre attachement à la standardisation des données. Elle constitue à mon sens la bataille de l'année. Alors que, à l'occasion de la victoire de Joe Biden, l'Europe a gagné la bataille des valeurs, il ne faut pas qu'elle perde la bataille de la mesure des valeurs et des normes, que nous pouvons faire reposer sur des standards européens.

Il ne me semble pas que la Fed ait affirmé que l'inflation ne serait plus l'ennemie. La Fed a annoncé qu'elle souhaite atteindre plus de symétrie autour de l'objectif de 2 %. Nous n'avons pas, à l'inverse de la Fed, un mandat de niveau de l'emploi, mais c'est une faible différence. Nous devons mener des politiques monétaires de soutien qui aident l'emploi au nom de notre mandat de lutte contre une inflation trop faible.

La Banque de France n'est pas décisionnaire en ce qui concerne le plan d'épargne logement, qui relève du Gouvernement. Nous avons rappelé que le stock important de plans d'épargne logement anciens, ouverts avant 2011 et dont la rémunération moyenne est supérieure à 4 %, suscitait des questions – d'autant que nous avons relevé que, dans le même temps, le livret d'épargne populaire était très peu développé. Alors que quinze millions de nos concitoyens y sont éligibles, seuls sept millions sont dotés de ce livret rémunéré à 1 % et qui bénéficie d'une garantie contre l'inflation.

Nous ne disposons pas aujourd'hui d'une analyse de l'évolution du pouvoir d'achat par catégories. Il est certain que nos concitoyens les plus défavorisés ont été davantage touchés par la crise, mais des dispositifs spécifiques de soutien ont été mis en place. Il est trop tôt pour en tirer des conséquences pour chacune des catégories sociales.

Je vous livre les chiffres du baromètre du surendettement. Sur l'ensemble de l'année 2020, 108 000 dossiers de surendettement ont été adressés à la Banque de France – cela constitue 24 % de moins qu'en 2019. Nous avons connu un grand creux de dépôt de dossiers au printemps de l'année dernière, mais nous n'avons pas constaté depuis de rattrapage. Nous restons extrêmement vigilants et mobilisés, mais n'avons pas reçu à ce jour d'alerte forte.

Je reviendrai sur les trois leviers. L'horizon de temps ne m'appartient pas. Nous faisons l'hypothèse d'une croissance moyenne, entre 1 % et 2 %. Ma conviction à ce sujet est que la bataille des compétences (éducation, formation, recherche) est la clé de la bataille de la croissance. Enfin, il n'appartient pas à la Banque de France de procéder à des choix en matière de maîtrise des dépenses publiques. Les arbitrages sont difficiles et ils relèvent heureusement du débat démocratique. Je citerai seulement à ce sujet l'exemple de la Banque de France : nous avons réduit nos dépenses de fonctionnement de 4 % par an en volume ces cinq dernières années, sans diminuer aucune de nos prestations. Cela constitue un motif modeste mais réel d'espoir.

Il me semble difficile de traiter différemment les PGE dans certains secteurs aux termes de la cotation, sauf à remettre en cause la crédibilité même de la cotation. La Banque de France suit une approche intelligente de la cotation et continuera de le faire.

Je partage totalement votre mobilisation sur les GAFA. Il s'agit du prochain grand défi du secteur bancaire. Il relève du régulateur de traiter ces nouveaux acteurs technologiques exactement de la même manière que les acteurs bancaires et de les soumettre aux mêmes règles. L'arrivée des GAFA pose trois questions de réglementation internationale : en matière de réglementation des données, de réglementation de la concurrence et de réglementation de la cybersécurité.

Les défaillances d'entreprises sont, à ce stade, significativement inférieures aux années précédentes. Nous y serons évidemment attentifs sur la période à venir. J'ai tendance à penser qu'un plus grand risque économique existe, qui est plus discret : il s'agit de la baisse de l'investissement des entreprises, de leurs recrutements ou du désir d'entreprendre de certains entrepreneurs. Il faudra également suivre ces éléments moins visibles.

Nous examinons comment intégrer les variables du rapport extra-financier des entreprises dans la cotation. Une bonne gestion des variables extra-financières est un facteur supplémentaire de la pérennité économique de l'entreprise. Nous ne prévoyons en revanche pas d'accorder un label spécifique.

Vous avez exprimé une crainte de l'austérité. Il s'agit au contraire de stabiliser la dépense publique, aujourd'hui très élevée. Je suis attaché au modèle social européen. La France dispose du même modèle social que ses voisins européens. Les dépenses publiques s'élèvent chez eux à 45 %, quand il est de 55 % en France. Il s'agit donc d'un problème d'efficacité de la dépense publique.

Je partage votre attention à la dette des entreprises. La Banque de France ne publie pas de chiffres régionaux en la matière. Mais nous sommes extrêmement présents sur le terrain : nous disposons de succursales dans chaque département et ce réseau départemental constitue le vrai trésor immatériel de la Banque de France.

S'agissant des investissements carbone, nous devrons regarder avec attention les comportements que nous privilégions : devons-nous pratiquer des exclusions par secteurs, ou regarder l'évolution des entreprises et les efforts qu'elles fournissent en faveur du climat ? Une entreprise qui se situe dans un secteur peu polluant mais ne fait aucun progrès mérite-t-elle plus de financements qu'une entreprise située dans un secteur au départ très polluant, mais qui a fait des progrès significatifs ? Je crois qu'apprécier l'évolution des entreprises et des secteurs constitue un élément extrêmement incitatif.

Vous êtes revenus sur le niveau d'endettement des entreprises. Le développement des fonds propres fait partie de la solution. Les quasi fonds propres, comme les prêts participatifs, sont une solution partielle. Tout ce qui pourra être fait dans le sens d'un développement durable des fonds propres sera bénéfique. Nos entreprises ne manquent pas d'accès au crédit ; elles manquent de fonds propres.

L'enquête de conjoncture de la Banque de France publiée ce matin mercredi 13 janvier montre qu'alors que beaucoup de secteurs ont appris à travailler avec le confinement et les restrictions, l'hébergement et la restauration restent très fortement touchés. La restauration est aujourd'hui à 15 % d'un niveau d'activité normal pré-COVID ; l'hébergement à 19 %. Il est besoin d'aides adaptées, or celles-ci relèvent des décisions du pouvoir exécutif. Je crois quand même que la France a fait ce qu'il fallait en matière de mesures d'urgence. Elles représentent un peu plus de 100 milliards d'euros, soit 4 % du PIB.

En cas d'annulation de la dette et de bilan négatif de la Banque de France ou de la BCE, le financement pourrait techniquement continuer. Mais l'on aurait beaucoup perdu de confiance dans la monnaie et dans le fonctionnement de la banque centrale, et les Français n'y auraient rien gagné en matière de patrimoine. Indépendamment de nos engagements européens, je crois donc avec beaucoup de conviction que cette solution est extrêmement risquée. Il serait extrêmement grave, dans la situation d'incertitude dans laquelle nous nous trouvons, de perdre en plus le trésor que représente notre confiance dans la monnaie. Je vous rejoins en revanche sur l'idée qu'aucun niveau prédéterminé de dette n'existe et que celui-ci doit tenir compte des circonstances économiques. La dette liée au COVID n'est pas le problème ; le problème est la dette de quasiment 100 % du PIB avec laquelle nous sommes entrés dans la crise du COVID à la fin de l'année 2019. Cela montre que nous avons collectivement mal géré les périodes de bonne santé économique.

Je réaffirme mon souhait de stabilité fiscale, et ce pas seulement pour des raisons de finances publiques, mais également pour des raisons d'efficacité de l'impôt. Beaucoup de nos concitoyens et de nos entrepreneurs ne comprennent pas ces règles fiscales proprement françaises qui sont toujours sujettes à évolutions.

Je souligne que l'objectif de soutien à l'environnement de la banque centrale, prévu à l'article 127 des traités, est un objectif dit secondaire : il s'applique sous réserve d'avoir atteint l'objectif de stabilité des prix. Je souhaite mettre encore davantage en avant l'objectif de protection environnementale au regard de la stabilité des prix.

Je reviens enfin sur le rendez-vous du 20 janvier avec les partenaires sociaux de la Banque de France. Malheureusement, au nom même des règles de dialogue social qui s'appliquent dans notre pays, je ne peux pas vous apporter davantage de précisions à ce sujet aujourd'hui. Cette réorganisation s'inscrit néanmoins dans le cadre d'un moindre usage des billets de banque par nos concitoyens. La Banque de France sera toujours présente, mais elle doit adapter son dispositif. Nous avons fait dans le passé des adaptations de caisses et nous continuerons à le faire, de manière raisonnable et socialement responsable.

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