Intervention de Michel Barnier

Réunion du mardi 2 février 2021 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Michel Barnier, conseiller spécial de la Présidente de la Commission européenne :

Je transmettrai vos appréciations à mes équipes de négociation. Mmes Sabine Weyand et Stéphanie Riso durant la première phase, puis Clara Martinez et Paulina Dejmek, ont notamment fourni un travail exceptionnel. Avec leur assistance, j'ai en bon savoyard « taché moyen de faire pour le mieux ».

Les Britanniques paieront tout ce à quoi ils se sont engagés lorsqu'ils étaient membres de l'Union, y compris au titre des programmes mis en œuvre au cours de la programmation 2014-2020 et les restes à payer ou à liquider sur les fonds structurels. Les Britanniques demeurent aussi responsables dans le cadre de certaines garanties d'emprunts souscrits à 28, concernant des programmes en Ukraine ou en Turquie notamment. L'accord sur ce point est impeccable. Je n'ai aucun doute que le Royaume-Uni honorera sa signature.

Les autres échanges financiers dépendront de la participation britannique à des programmes européens en tant que pays tiers.

Leurs laboratoires et universités étaient très dynamiques au sein des programmes de recherches européens, mais ils en tiraient un avantage supérieur au coût de leur participation. Désormais, leurs bénéfices et le coût de leur participation seront strictement équilibrés, mais leur implication se poursuivra, au même titre que celle de la Norvège ou de la Suisse

La période de sept ans des prochains programmes s'ouvre en 2021. Le Royaume-Uni doit encore définir de quelle manière il souhaite y participer, mais nous pourrons en rendre compte à l'Assemblée nationale.

S'agissant de la non-régression des standards et normes découlant du droit de l'Union, en particulier en matière environnementale, elle concerne Natura 2000, mais aussi les normes sur le bruit ou encore la pollution de l'air. De même en termes de transparence fiscale ou de droits sociaux, ces principes sont détaillés dans l'accord. Une évaluation est prévue tous les quatre ans, car des divergences pourront apparaître au fil du temps. Des aides d'État massives peuvent impacter rapidement la concurrence dans les secteurs qui en sont la cible. La politique européenne de concurrence nous en prémunit aujourd'hui. À l'avenir, les parlements et gouvernements nationaux devront se montrer vigilants, et demander des explications s'ils détectent de telles distorsions.

Quant au protocole sur la réglementation financière, il n'anticipera pas l'attribution des équivalences. Celle relative aux chambres de compensation a été accordée l'année dernière, faute de posséder une telle chambre de compensation sur le continent.

Comme Mme Rabault le soulignait, avec ou sans Brexit, je pense que l'Europe doit prendre ses responsabilités, comme elle l'a fait avec le programme d'emprunts mutualisés de 750 milliards d'euros pour faire face à la covid.

Une volonté économique et politique est cependant indispensable, pour que les banques européennes créent les infrastructures financières qui nous manquent aujourd'hui. Il conviendrait notamment que la zone euro se dote de dispositifs de compensation.

Les Britanniques ont perdu mécaniquement le passeport financier attaché au marché unique. Des équivalences leur seront accordées, en nombre mesuré, pour garantir nos intérêts et la stabilité financière de l'Union. Ce processus autonome ne sera ainsi pas négociable.

Concernant la protection des données, évoquée par M. Holroyd, elle fait l'objet d'un second processus autonome. À partir de juillet, nous vérifierons le respect des droits fondamentaux des citoyens avant d'attribuer un certain nombre d'équivalences, d' adequacy decisions, en matière de données. Leur préparation est en cours.

Quant aux événements de vendredi dernier, j'indiquerai sobrement que nous avons pris beaucoup de décisions dans l'urgence et face à la gravité de la situation. Des erreurs peuvent avoir été commises. Celle de vendredi a été corrigée le soir même, sans autre conséquence que politique. Nous répétons aux Irlandais que nous nous attacherons à préserver l'absence de frontière, indispensable à la fragile paix de l'île.

Je n'aurai en revanche aucun commentaire concernant l'Écosse. Je peux discourir passionnément de la France ou de l'Europe. J'ai été un élu du peuple toute ma carrière, plutôt qu'un technocrate. Néanmoins, ces dernières années, je me suis soigneusement gardé de faire preuve de passion dans cette négociation. Je préfère éviter de donner prise aux tabloïds ou aux polémiques. Je ne me mêle pas des débats internes au Royaume-Uni, même si je les suis attentivement. Il appartiendra à son peuple de trancher la question de l'Écosse.

En tant qu'ancien ministre des affaires étrangères, je ne comprends pas pourquoi la Grande-Bretagne refuse de négocier sur le chapitre des relations extérieures. Elle a sans doute des raisons idéologiques. L'Europe est selon elle une zone de libre-échange, alors que nous pensons qu'elle doit revêtir une dimension politique, qui se traduit par des efforts dans les domaines de la défense ou de la sécurité extérieure.

Une coopération dans ce domaine sera dans notre intérêt commun. Le Royaume-Uni reste un grand État, membre du Conseil de sécurité de l'ONU. Il participait activement aux politiques européennes de sanction. Nous aurons peut-être même intérêt à ce que la Grande-Bretagne prenne part à certaines opérations extérieures de l'Union. De plus, certains pays tiers contribuent, sous certaines conditions, au fonds européen de défense. Un cadre sera alors nécessaire. Pour la première fois en 2021, le budget européen financera des efforts de recherche en matière stratégique et de défense. Nous aurons également besoin d'échanger en matière de renseignement. Nous laissons ainsi la porte ouverte, sans fébrilité, à une négociation avec le Royaume-Uni en matière de sécurité extérieure.

J'ai pris des notes tout au long de cette négociation. Je les publierai au printemps prochain, si les détails vous intéressent. Le Brexit est un accord perdant-perdant, un affaiblissement, un divorce. L'Europe est amputée d'un membre puissant et actif, qui se retrouvera seul dans la compétition mondiale, où il aura moins de poids face à la Chine ou aux États-Unis. Les Britanniques ne partageaient cependant pas mon analyse.

Sur la question des vaccins, je recommande que nous préservions un esprit de coopération. Au-delà du Brexit, d'autres défis graves nous menacent : pandémies, terrorisme, changement climatique. Nous avons donc des raisons de collaborer, même sans appartenir à l'Union. De même pour Erasmus, notre porte restera ouverte. Il serait logique de faire participer un pays tiers comme le Royaume-Uni à ce programme, qui constitue l'une des plus belles réussites de l'Union européenne. Je souhaite toutefois bonne chance au programme concurrent que souhaite créer le Royaume-Uni, comme il en a absolument le droit.

S'agissant des accords commerciaux, notamment concernant les productions agricoles, décider comment retrancher la part des Britanniques a fait l'objet de longues réflexions. Nous sommes parvenus – je crois – à des solutions équilibrées. Une note écrite vous détaillera ce sujet pour chaque accord. Le Royaume-Uni quitte, en abandonnant l'Union, 600 accords internationaux, qu'il devra renégocier de son côté avec tous ces partenaires.

Sur l'énergie, une clause miroir existe. Si elle joue correctement son rôle de dissuasion, l'interconnexion électrique devrait demeurer. À l'échéance d'un délai expirant dans cinq ans et demi, nous rediscuterons tous les ans de ce sujet, qui est essentiel pour la Grande-Bretagne, parce qu'il lui permet d'accéder aux échanges sur un marché de 450 millions de consommateurs. J'ai proposé cette clause miroir, car le gain des Britanniques sur le marché électrique est équivalent à celui des pêcheries européennes dans les eaux territoriales britanniques. L'accès au marché électrique et aux eaux doit être réciproque, dans le cadre d'un accord équilibré.

Concernant Chypre, nous devons organiser la protection du marché intérieur, alors que deux zones relevant de la souveraineté britannique se trouvent sur l'île. L'organisation de ces contrôles n'a cependant aucun lien avec la Turquie. Quant à Gibraltar, elle fait l'objet d'une négociation parallèle, à la demande des Espagnols comme des Britanniques. Elle pourrait, dans ce cadre, être intégrée à Schengen.

Peu de flux financiers seront encadrés par l'accord, excepté la participation britannique à certains programmes. La perte du passeport financier est une conséquence mécanique du Brexit, tout comme l'absence de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles, ou des certifications de production. Notre position n'est pas punitive. Simplement, quitter le marché commun, son écosystème de normes et de droits, de supervision et de juridiction, a des conséquences. La Grande-Bretagne ne saurait conserver tous les avantages en s'affranchissant de toutes les contraintes. À l'heure actuelle, les entreprises britanniques découvrent l'existence de nombreuses barrières non tarifaires, qui freineront leurs échanges, en conséquence de leur départ du marché unique.

Le fonds d'ajustement européen s'élève à 5 milliards d'euros : il est destiné à accompagner les secteurs ou les régions affectés par les conséquences du Brexit pour les prochaines années. 4 milliards sont déjà partagés entre les États les plus impactés. L'accord limite les conséquences, mais il ne les élimine pas complètement, notamment pour la pêche. Plusieurs centaines de millions d'euros seront ainsi mobilisables pour accompagner les parties affectées en France, sous la responsabilité des autorités nationales.

S'agissant des ajustements que M. Michel Zumkeller évoquait, les négociations sont terminées, après quatre longues années et demie de discussions : l'accord n'est pas une base de travail pour poursuivre. La Grande-Bretagne éprouve des difficultés qu'elle n'avait pas anticipées. Cependant, nous appliquerons l'accord. Il sera évalué. Nous envisagerons d'éventuels changements, mais ils devront être réciproques. Seul le chapitre de la défense et des relations extérieures reste encore ouvert à la négociation, ainsi que certains points d'application de l'accord, par exemple le cadre de coopération réglementaire en matière de services financiers.

L'accord crée un conseil de partenariat, où siégeront trois personnalités publiques indépendantes, que nous choisirons ensemble. Comme pour l'accord de retrait, elles régleront les éventuels conflits entre les parties. L'accord lui-même ne sera néanmoins pas ajusté.

Par ailleurs, la question des règles d'origine est fondamentale. Lorsque nous exportons une voiture européenne, en Corée par exemple, une certaine proportion de pièces doit provenir du marché intérieur, ce qui pourra poser problème du fait de la sortie des fabricants britanniques, qui se verront imposer cette barrière non tarifaire. Toutefois, cette règle est impérative et fondamentale pour protéger nos emplois. La Grande-Bretagne ne saurait devenir un hub d'assemblage, et exporter en Europe sans tarif ni quota des produits assemblés à partir de pièces qui y seraient normalement soumises.

Enfin, la clause de revoyure, dans cinq ans et demi, devra être préparée. L'accord sur la pêche est raisonnable, mais il était difficile, tant nos positions initiales étaient opposées. Ce compromis nous conduit à rendre 25 % de ce que nous pêchons aujourd'hui. Dans cinq ans et demi, la Grande-Bretagne risque de vouloir fermer telle ou telle zone aux pêcheries européennes. Il conviendra d'évaluer et de discuter chaque année. Si la raison ne prévaut pas, nous activerons nos outils de réciprocité.

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