Évidemment, le Brexit aura des conséquences au Royaume-Uni. Il bouscule des traditions et des habitudes, en particulier en Écosse, où la population avait exprimé son attachement au marché unique et à l'Union européenne. Je ne saurais néanmoins, en tant que négociateur européen, partager mon opinion sur ces débats internes à la Grande-Bretagne, que je respecte, excepté pour préciser que les Britanniques doivent assumer toutes les conséquences – humaines, sociales, juridiques, techniques, financières et économiques – du Brexit. Malheureusement, elles ont souvent été, dans tous les domaines, mal expliquées et sous-estimées. Nous en avons toutefois traité une grande partie dans les accords.
Rien n'interdit pour autant, comme le suggérait M. Corceiro, de tirer des leçons de cet épisode. J'ai eu pour rôle de réduire les conséquences négatives du Brexit. Je recommande, cependant, en tant qu'homme politique, de s'interroger sur les raisons pour lesquelles 52 % des Britanniques ont voté contre l'Union.
Beaucoup des régions qui ont voté majoritairement en faveur du Brexit étaient animées d'une colère sociale que nous retrouvons dans d'autres régions européennes, notamment en France. L'Europe, trop ouverte, ne protégerait pas assez, entraînant une désindustrialisation. Elle affecterait le service public. Ces sentiments populaires – à distinguer du populisme – devront être écoutés et compris. Je recommande d'y répondre.
Nous avons commencé cet effort. La politique industrielle était quelques années auparavant un tabou. Elle est aujourd'hui évoquée ouvertement. Quand le Président de la République se propose de contrôler qui achète quoi chez nous, il s'agit d'une approche nouvelle. Nous investirons ensemble 750 milliards d'euros, en mutualisant pour la première fois des emprunts. Nous tirons ainsi des leçons, pour mettre en exergue la valeur ajoutée de l'Union européenne.
Beaucoup d'erreurs ont néanmoins été commises, en particulier l'excès de dérégulation qui, dans un grand vent libéral, a abouti à la crise financière. J'ai essayé, lorsque j'étais commissaire européen, de reconstruire une régulation financière. 41 lois ont été votées en ce sens durant mes cinq années de mandat, afin de remettre de l'éthique là où elle avait disparu, mais ce travail n'est pas terminé.
S'agissant du tourisme, je connais bien les conséquences du Brexit, au-delà de la pandémie actuelle. Les courts séjours de moins de trois mois ne subiront aucune conséquence du Brexit. Au-delà de trois mois, il appartient à chaque État d'attribuer ses visas.
Quant à la réglementation applicable en matière de droit du travail et de salaire aux sociétés britanniques de prestations de services – dont nous connaissons les conditions de travail –, elle sera celle du pays d'accueil. L'État concerné pourrait toutefois décider de conserver le système actuel et de leur attribuer les mêmes avantages que précédemment.
En matière culturelle, les échanges ne pourront pas se dérouler comme auparavant. Les Britanniques se sont montrés très peu volontaristes en matière de mobilité. Je le regrette. Nous leur avions proposé au départ d'être ambitieux, mais ils préfèrent appliquer leurs nouvelles règles d'immigration, très différentes de celles de la libre circulation. Les musiciens qui partent plusieurs semaines en tournée déplorent ces difficultés. Les Britanniques n'ont cependant pas souhaité conserver cette vision très large de l'Europe en matière de mobilité.
Par ailleurs, je vérifierai la situation du programme Europe créative. Tous les programmes ouverts à des pays tiers seront accessibles aux Britanniques, dans des conditions juridiques et financières, qui ne seront pas celles offertes aux membres de l'Union.
Enfin, je vous transmettrai une note relative aux droits d'auteur et à la propriété intellectuelle. L'accord de négociation se veut facilitateur dans ce domaine.
S'agissant de la coopération aéronautique, les règles d'origine s'appliquent, mais aucune barrière tarifaire ne concerne les échanges de pièces ; l'accord est équilibré et préserve globalement la situation actuelle.
Quant au transport maritime, il est un peu tôt pour mesurer les effets du Brexit. Des changements de liaison pourraient intervenir. Il conviendra d'observer la création de nouvelles lignes, notamment de fret, entre le continent et la République d'Irlande, qui souhaite être moins dépendante du Royaume-Uni en la matière.
Concernant l'article 50 du traité de Lisbonne, il était issu du traité instituant une Constitution pour l'Europe. Soutenu par M. Giscard d'Estaing, il visait à démontrer que l'Europe n'est pas une prison. Néanmoins, sortir du marché commun implique des conséquences, qui ne sauraient se reporter sur les autres membres. J'ai eu l'honneur de le mettre en œuvre le premier. Le processus a été longt. Peut-être des ajustements seraient-ils souhaitables, mais ce dispositif me semble avoir fonctionné correctement dans le cas du Royaume-Uni.
En matière de concurrence, l'accord prévoit des dispositions dissuasives ou de compensation, pour en assurer la loyauté. Leur usage et leur efficience devront être examinés. Des outils et des échéances sont prévus pour en évaluer l'application. Le Brexit s'accompagne cependant d'innombrables conséquences inévitables, que l'accord limite simplement.
S'agissant de son niveau d'intégration avec l'Union européenne, la Grande-Bretagne se trouve tout en bas de l'escalier. Un accord de libre-échange sur mesure a été négocié, dans un contexte unique de divergence réglementaire, alors que ce pays frontalier de l'Union affiche avec elle des volumes d'échanges particulièrement importants. Néanmoins, un escalier peut être monté ou descendu. Notre porte demeure ouverte.