Selon une enquête menée en 2017, les Français jugent très défavorablement l\'impôt sur l'héritage. Ils étaient 87 % à déclarer que « l 'impô t sur l 'h éritage devrait diminuer, car il faut permettre aux parents de transmettre le plus de patrimoine possible à leurs enfants », quand 9 % seulement estimaient que « l 'impô t sur l 'h éritage devrait augmenter, car les héritages entretiennent les inégalités sociales ». Seulement 3 % ne tranchaient pas entre ces deux options. L'hostilité aux droits de succession a même augmenté depuis 2011, année où 78 % des Français se prononçaient pour leur baisse.
Fait plus remarquable encore, cette hostilité varie peu selon le revenu, la composition du patrimoine, la qualité d\'héritier ou de donataire, les espérances d'héritage, ou même le degré de connaissance de la fiscalité successorale. Elle est plus faible chez les personnes possédant des diplômes élevés, les cadres supérieurs et les professions intellectuelles.
Pourtant seules 35 % des successions sont imposables. C\'est dire la profondeur du malentendu qui entoure la fiscalité des successions et des donations, qui est rejetée par ceux même qu'elle épargne.
Alors qu\'elle est devenue une pièce maîtresse de la fiscalité du patrimoine depuis la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et que sa contribution à l'égalité des chances apparaît décisive, elle reste l'impôt le moins populaire parmi nos concitoyens. Un sondage de 2013 du journal Le Monde classait, par ordre de popularité, en premier l'ISF et l'impôt sur les sociétés, qui recueillaient quelque 80 % d'avis favorables, contre moins de 20 % pour les droits de succession.
Nous sommes pourtant entrés, depuis trente à quarante ans, dans une nouvelle phase de croissance des inégalités patrimoniales, dans laquelle la transmission du patrimoine joue un rôle très important. Alors que les inégalités dans la distribution des patrimoines privés avaient fortement diminué sous le coup des deux guerres mondiales et des décennies de croissance et d\'inflation qui ont suivi la Libération, c'est désormais la tendance inverse qui s'observe.
Entre 1998 et 2015, le patrimoine des Français a doublé, mais la part détenue par les 20 % les moins dotés, elle, a diminué. Cette tendance s\'explique par des évolutions macroéconomiques. Le rapport entre capital et travail dans la valeur ajoutée tend à se déformer au détriment de ce dernier, et le contexte de politique monétaire accommodante tire à la hausse les prix des actifs, enrichissant les possédants.
Entre 1980 et 2015, la valeur réelle du revenu disponible des ménages français a augmenté de 77 %, tandis que leur patrimoine était multiplié par trois. Si rien n\'est fait, le prolongement de ces tendances nous ferait revenir à une société d'héritiers comparable à celle de la Belle Époque, lorsque le centième le plus riche de la population, en France, possédait 60 % de la richesse nationale.
En outre, le vieillissement de la population contribue à accentuer ces inégalités en concentrant le patrimoine chez les plus âgés. Selon l'économiste Clément Dherbécourt dans un rapport de France Stratégie, « du seul fait de l'évolution de la structure de la population et de l' augmentation du taux de mortalité, la part des transmissions annuelles dans le revenu disponible net des ménages augmentera de 4,5 points, passant de 19 % aujourd 'hui à plus de 25 % en 2050. Si, en outre, le patrimoine net moyen par âge croît au même rythme qu 'entre 1990 et 2012, les transmissions représenteront plus de 31 % du revenu disponible en 2050 ».
Notre système fiscal apparaît largement inadapté au défi économique, social et démocratique que représente ce retour en force de l\'héritage dans nos sociétés.
Tout d\'abord, c'est un système complexe et daté, dont les principes ont été fixés par une loi de 1901 qui a instauré une imposition progressive des successions selon plusieurs barèmes, s'appliquant selon le degré de proximité familiale entre le donateur ou le défunt et le bénéficiaire. Cette complexité n'est sans doute pas pour rien dans l'impopularité de l'impôt sur l'héritage, et il faut y remédier.
De plus, ce système incite peu aux donations aux jeunes générations, ou plutôt y incite surtout les plus aisés, grâce au renouvellement périodique des abattements.
Il présente aussi d\'importantes brèches permettant aux plus gros patrimoines d'échapper à l'impôt, notamment grâce au régime d'exception dont bénéficie l'assurance-vie. On le sait, l'assurance-vie n'est pas soumise aux droits de succession, sauf pour les primes versées après 70 ans. Pour le reste, seules les primes versées depuis 1998 sont fiscalisées, à travers un prélèvement spécifique très avantageux au taux de 20 % pour les premiers 700 000 euros et de 31,25 % au-delà, le tout après un abattement, également généreux, de 152 500 euros par bénéficiaire. Je rappelle d'ailleurs que cinquante-six de nos collègues du groupe Modem avaient tenté de réformer ce régime dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, par un amendement que j'ai évidemment soutenu mais qui a malheureusement été rejeté.
Cette exclusion de l\'assurance-vie du droit des successions, si elle a pu avoir une justification historiquement, n'est plus acceptable alors qu'elle est devenue un pur produit de placement bien plus qu'une opération de prévoyance. Placement préféré des Français, elle concentre aujourd'hui des encours de près de 1 800 milliards d'euros. Rien ne peut justifier un tel régime de faveur, et surtout pas l'investissement dans les entreprises, puisque près de 80 % des encours sont placés sur des fonds en euros non risqués. Sans compter les pratiques d'évasion fiscale, dont l'affaire OpenLux, après d'autres, vient nous rappeler l'ampleur.
Enfin, notre fiscalité des transmissions est inéquitable en ce qu\'elle favorise à l'excès les transferts au sein de la famille nucléaire, au détriment des autres. Le tarif applicable entre parents jusqu'au quatrième degré, par exemple d'oncle à neveu ou de grand-oncle à petit-neveu, est de 55 % après un abattement très réduit, et celui entre parents au-delà du quatrième degré et entre personnes non parentes est de 60 %. De tels taux ne sont pas justifiés pour des montants qui peuvent être modestes, et ne sont plus adaptés aux nouvelles formes de familles et à l'individualisme croissant de nos sociétés.
Ces difficultés, avec l'évolution du contexte économique de long terme, expliquent que notre système fiscal soit aujourd\'hui inadapté et impuissant face à la montée des inégalités à laquelle nous assistons.
La proposition de loi que je présente avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés mais aussi des collègues d'autres groupes, que je tiens à remercier, vise à rétablir plus d'égalité dans la répartition du patrimoine, entre les générations, entre les individus et les familles, et entre riches et pauvres.
Elle rompt avec la logique familiale inspirée du droit civil pour instituer un barème fiscal unique pour tous les individus et toutes les transmissions. La simplification est radicale, et permet d\'améliorer l'égalité entre nos concitoyens en mettant un terme au renouvellement périodique des abattements. Un abattement individuel unique, à vie, serait instauré, d'un montant de 300 000 euros : ce que chacun pourrait recevoir au cours de sa vie en franchise de tout droit. Au-delà de ces 300 000 euros, un même barème s'appliquerait à tous, sans tenir compte d'aucun lien familial, avec trois tranches : une taxation à 30 % jusqu'à 800 000 euros, puis 45 % jusqu'à 1 600 000 euros, et enfin 60 % au-delà. Nous pourrions même réfléchir à une tranche supérieure : j'ai déposé un amendement en ce sens.
Ce texte renouvelle donc la logique et l\'ambition des droits de succession et de donation, en changeant leur barème mais aussi en élargissant notablement leur assiette, puisqu'il y soumet enfin l'assurance-vie.
Au total, cette proposition alourdit la fiscalité sur la transmission des gros patrimoines tout en l\'allégeant pour l'immense majorité des Français, œuvrant ainsi à la disparition des déséquilibres accumulés au cours des quarante dernières années.
Ce sujet de la fiscalité de l\'héritage est rarement abordé dans nos murs, et pourtant l'urgence grandit. Depuis quarante ans, le retour en force de l'héritage, d'abord insidieux, mais de plus en plus visible, fait mentir chaque jour un peu plus la promesse républicaine d'égalité.
Nous savons pourtant que la question ne laisse pas nos collègues de la majorité indifférents, en tout cas pas tous. Un bref élan avait saisi certains d\'entre eux, il y a deux ans. En septembre 2018, Christophe Castaner, alors patron du parti La République en marche, appelait de ses vœux une « réflexion sans tabou » sur la fiscalité des successions afin de lutter contre la « progression des inégalités de naissance ». Stanislas Guérini se disait lui aussi favorable à une réforme de la fiscalité des successions car « le patrimoine hérité creuse les inégalités ». Un élan bien vite retombé – peut-être étouffé, qui sait – mais un élan bien légitime, puisqu'il puisait son ressort à la naissance même de votre mouvement. Le ministre et candidat Emmanuel Macron martelait vouloir privilégier le risque sur la rente. C'est bien cette logique qui a conduit, semble-t-il, à la réforme de l'ISF, qui visait à le transformer en « impôt sur la rente immobilière ».
La préférence pour le mérite et l'égalité des chances, contre la rente, contre les intérêts installés, contre les privilèges oserai-je, s'était d\'ailleurs affichée dès 2015 dans l'intitulé d'une loi pour la croissance, l'activité et… l'égalité des chances.
Or, quelle meilleure manière de rétablir cette belle égalité à laquelle nous tenons tant qu\'en diminuant l'inégalité entre toutes, celle liée à la richesse que l'on tient de sa naissance ? C'est bien ce type de privilèges indus que les représentants de la nation, réunis et conscients pour la première fois d'eux-mêmes, ont voulu supprimer pendant la nuit du 4 août, afin que plus jamais, on ne puisse être riche de tout en s'étant contenté de naître et rien de plus.
Cette proposition de loi constitue une occasion d\'honorer la promesse d'égalité et de refonder le pacte républicain sur des bases modernes afin de garantir une réelle égalité des chances, sachant qu'il y a quelques jours seulement, quinze députés En marche, dont Pierre Person, Hugues Renson ou Coralie Dubost, adressaient un courrier au Premier ministre pour poser la question des droits de succession.
Cette proposition de loi constitue un texte d\'avenir, de solidarité et de progrès, au service des jeunes générations et de celles à venir. Puisse-t-elle recueillir la plus large approbation.