Merci, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi et le travail que vous avez effectué sur ce sujet qui mérite un débat approfondi, que nous n\'avons effectivement pas suffisamment dans notre enceinte : lors des textes budgétaires, nous examinons des sujets parcellaires et donnons des opinions assez vagues sans entrer dans le détail de la fiscalité des transmissions. Votre proposition de loi a ce mérite de nous donner une occasion d'avoir ce débat sur la fiscalité du patrimoine et des transmissions.
Il y a un sujet de société, un sujet intergénérationnel, un sujet de vivre ensemble derrière cette problématique. Cette proposition de loi contient des innovations pouvant être intéressantes, comme l\'idée d'un droit personnel, à vie, à un montant de dons et héritages non fiscalisé, qui peut être une piste à creuser. Elle a aussi le grand mérite de procéder à une simplification de la fiscalité, sujet qui m'est cher, et de donner plus de liberté individuelle à chacun. Je rejoins votre philosophie sur ces points.
En revanche, je trouve qu\'elle a des limites, qui sont pour moi bloquantes. La première, qui n'apparaît pas dans sa présentation un peu trompeuse, est qu'elle alourdit substantiellement la fiscalité des successions. Vous parlez des hauts niveaux de patrimoine, mais elle alourdit aussi la fiscalité pour les petits patrimoines. Par ailleurs, les données de référence manquent. Je ne vous en fais pas le grief, car je sais combien il est difficile d'en obtenir de l'administration fiscale, et je vous rejoins sur l'intérêt d'en avoir davantage.
Autre frein, bien sûr d\'un point de vue de rapporteur général : les conséquences budgétaires de telles mesures. Les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) représentent 15 milliards d'euros par an : un peu plus de 12 pour les successions, un peu moins de 3 pour les donations. Qu'il faille procéder à des rééquilibrages, je l'admets sincèrement. C'est un travail à mener. En revanche, les ordres de grandeur en jeu imposent d'agir avec la plus grande précaution, en se basant sur des chiffrages extrêmement précis.
Dès qu\'il est question de fiscalité des ménages, je crains également le risque d'éviction, et votre proposition de loi n'y fait pas échapper. Notre pays a déjà un des taux de fiscalité les plus lourds sur le patrimoine transmis. Une réforme doit vraiment se concevoir d'une main tremblante, en songeant à l'optimisation et à l'exil fiscal qu'elle pourrait entraîner. Nous savons que cela existe, nous l'avons vu dans un passé encore récent et notre majorité a réussi à contribuer à rapatrier un certain nombre de patrimoines et d'investissements avec les réformes fiscales du début du mandat. Il faut se garder de toute réforme qui constituerait le match retour de l'exil fiscal.
Enfin, le président Woerth a mentionné la question très importante de l\'assurance-vie. On ne peut pas s'exonérer de la plus grande précision s'agissant de ce qu'on appelle le placement préféré des Français et de ses 1 800 milliards d'euros d'encours. Or votre proposition de loi pourrait présenter un vrai risque de défiance et d'encouragement au retrait. Je ne dis pas cela parce que je considérerais que l'assurance-vie serait un produit parfait à maintenir absolument tel quel, mais parce que la direction que prennent les assureurs-vie est plutôt positive. Avec des unités de compte de plus en plus présentes dans les contrats, qui sont passées de 27 % en 2019 à plus de 34 % de la collecte en 2020, ou encore des unités de compte labellisées ISR (investissement socialement responsable) en augmentation, il y a une dynamique positive en termes d'orientation de ce placement qui, je pense, ne doit pas être freinée. On pourrait aussi parler des droits du conjoint survivant, qui risqueraient d'être affaiblis avec cette proposition de loi.
J\'encouragerai pour conclure, plutôt qu'à adopter cette proposition de loi, à poursuivre les travaux sur la réforme des DMTG, notamment autour de trois axes. Le premier serait d'introduire une dose de fiscalité environnementale et solidaire dans la fiscalité des donations et successions car la fiscalité sert à orienter les choix. Le deuxième, qui est une conviction personnelle, serait de favoriser davantage les donations. Gérald Darmanin, alors ministre de l'action et des comptes publics, s'était lui aussi exprimé en ce sens. Je trouverais notamment pertinent de dissocier le barème des droits de donation de celui des droits de succession. Enfin, et vous en avez parlé, il est nécessaire de moderniser la fiscalité des donations et successions en tenant compte des nouvelles réalités familiales et de l'individualisation des rapports sociaux.
Un dernier mot pour dire que tout cela doit aller de pair avec une nouvelle forme de rémunération des salariés, notamment en termes de partage de la valeur. Nous l\'avons dit dans l'hémicycle ces dernières années, notamment autour de la loi PACTE (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises). Je pense que le partage de la valeur doit davantage contribuer au patrimoine des Français, notamment à travers la participation au capital des entreprises.