Comme vous venez de le rappeler, monsieur le rapporteur général, les travaux dont je vais rendre compte portent sur le financement et l'efficacité de la lutte contre la maladie de Lyme.
Dans notre entourage ou dans nos permanences, nous avons probablement tous déjà rencontré une ou plusieurs personnes souffrant de la maladie de Lyme – cette maladie causée par une piqûre de tique infectée et qui est à l'origine de nombreuses situations de détresse et d'intenses controverses.
En 2019, un peu plus de 50 000 nouveaux cas de borréliose de Lyme ont été répertoriés en France métropolitaine, essentiellement dans les territoires ruraux des régions Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Dix ans plus tôt, moins de 30 000 cas étaient répertoriés dans notre pays.
Si toutes les personnes atteintes ne souffrent pas d'une forme sévère de la maladie, de nombreux patients se plaignent des difficultés rencontrées pour mettre un nom sur cette maladie et pour bénéficier d'une prise en charge adaptée.
C'est en conservant ces éléments à l'esprit qu'il y a un an j'avais choisi d'étudier le financement et l'efficacité de la politique publique de lutte contre la maladie de Lyme dans le cadre du Printemps de l'évaluation. L'actualité sanitaire m'avait cependant conduit à reporter la conclusion de cette étude et, avec l'accord du bureau de notre commission, j'ai pu reprendre ces travaux en janvier de cette année sur le fondement de l'article 146 du Règlement de l'Assemblée nationale.
Nous avons, disais-je, probablement tous entendu parler de la maladie de Lyme dans notre entourage ou dans nos permanences. Certains d'entre nous ont également entendu parler de ce sujet lors des débats budgétaires. À deux reprises, à l'automne 2019 puis à l'automne 2020, plusieurs de nos collègues, dont Vincent Descoeur, ont déposé et défendu des amendements visant à augmenter les crédits soutenant la recherche contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques. Ces amendements n'ont pas été adoptés mais des amendements comparables ont été adoptés par le Sénat… avant d'être rejetés en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, ce qui a suscité l'incompréhension, pour ne pas dire l'amertume, de nombreux malades. Les sommes en jeu se limitaient effectivement à quelques millions d'euros.
Lors de ces débats, ce qui m'a le plus surpris, c'était l'incertitude des chiffres. Les montants les plus disparates étaient évoqués. Au mois de février 2020, les pouvoirs publics ont indiqué que l'effort de recherche contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques s'établissait à 8 millions d'euros. Quelques mois plus tard, au mois de septembre dernier, Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, a évalué cet effort à … 15 millions d'euros. Cette incertitude sur les chiffres se double d'une incertitude sur les résultats du premier plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques engagé en 2016 et dont aucune évaluation ne semble avoir été faite.
Le rapport que je vous présente vise donc à lever ces deux incertitudes et à répondre à deux interrogations simples. Premièrement, quel est le coût des actions engagées, notamment en matière de recherche, contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques ? Deuxièmement, quels sont les résultats du plan engagé en 2016 ?
Dans un contexte où la maladie de Lyme se caractérise par de fortes polémiques, ce rapport entend objectiver certaines données, notamment financières.
Je me suis donc attachée à réunir ces éléments en mettant cependant de côté les questions relatives à la prise en charge des patients. La commission des affaires sociales de notre Assemblé conduit effectivement en ce moment une mission d'information sur ce sujet. Présidée par Jeanine Dubié, cette mission, dont les rapporteurs sont Nicole Trisse et Vincent Descœur, devrait rendre ses conclusions avant l'été.
Quel est donc le coût des actions engagées contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques, notamment en matière de recherche ?
Le coût global n'est pas identifiable puisque les dépenses d'information, de prévention, de surveillance épidémiologique et de sécurité sanitaire sont intégrées dans le budget général de fonctionnement des opérateurs les mettant en œuvre. Ces dépenses ne peuvent pas, à ce stade, être isolées.
En revanche, le montant de l'effort annuel de recherche a pu être déterminé : il s'établit à moins de 1,5 million d'euros par an. Le chiffrage de cet effort de recherche n'a pas été simple. Curieusement, le plan de 2016 n'était assorti d'aucun coût prévisionnel et ne comportait aucun objectif de dépenses en matière de recherche. Ce n'est qu'en 2019, trois ans après l'engagement du plan, qu'un travail de recensement des dépenses a été confié à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
Au terme de ce travail, l'INSERM a recensé 45 projets de recherche en cours pour un montant de 5,4 millions d'euros sur la durée des projets de recherche. Cependant, j'ai regardé ce recensement de plus près et le compte n'y est pas. Plusieurs de ces 45 projets ne sont pas des projets de recherche, tandis qu'à l'inverse des projets de recherche existants ne sont pas recensés. J'ai donc pris le parti de compléter le travail de l'INSERM en interrogeant un grand nombre d'organismes de recherche et de collectivités territoriales. En définitive, je suis parvenue à établir une liste alternative qui comprend, au total, 46 projets de recherche pour un montant estimé à 6,5 millions d'euros sur la durée des projets. Cela correspond à une dépense annuelle inférieure à 1,5 million d'euros. Si les chiffres que j'ai établis sont assez proches de ceux de l'INSERM, les deux recensements ne se recoupent pas, puisque 15 projets distinguent ces deux listes dont le détail figure en annexe du rapport.
Quoi qu'il en soit, la conclusion s'impose d'elle-même : le budget annuel de la recherche publique consacrée à la lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques est très modeste. Un crédit de recherche de 1,5 million d'euros par an pour une maladie qui touche plus de 50 000 nouvelles personnes par an, c'est peu, c'est très peu et c'est même trop peu.
La nature de ces projets de recherche est également peu satisfaisante. Sur les 46 projets recensés, seuls deux d'entre eux sont d'un montant supérieur à 500 000 euros. À l'inverse, un tiers des projets sont d'un montant inférieur ou égal à 50 000 euros. Cette fragmentation de la recherche s'accompagne d'une fragmentation de son financement. Les 46 projets recensés réunissent 31 financeurs différents.
Éclatée et sous-dotée, la recherche contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques se concentre par ailleurs essentiellement sur la santé animale, c'est-à-dire sur la biologie et l'écologie des tiques. Si ces axes de recherche sont utiles, je regrette le faible nombre de recherches engagées en santé humaine. Aucun projet d'ampleur ne porte par exemple sur les formes sévères de la maladie, pourtant au cœur du débat. Le seul projet qui s'intéresse aux formes sévères de la maladie repose sur un financement de 140 000 euros réuni par une association à la suite du legs d'une patiente.
Le plan engagé en 2016 n'a pas su créer d'effet d'entraînement sur la recherche. L'Agence nationale de la recherche (ANR) m'a indiqué qu'aucun nouveau projet sur la maladie de Lyme n'avait été financé depuis 2018. Paradoxalement, cette agence a financé plus de projets de recherche sur cette thématique avant le plan de 2016 qu'après celui-ci.
Le constat est donc sans appel : la recherche sur la maladie de Lyme est en situation d'échec. Cela pèse sur le bilan, globalement décevant, du premier plan national engagé en 2016.
Ce plan comportait quinze actions réparties entre cinq axes stratégiques visant à améliorer la surveillance vectorielle, à renforcer la prévention, à améliorer la prise en charge des malades, à améliorer les tests diagnostiques et à mobiliser la recherche.
Le ministère des solidarités et de la santé dresse, pour sa part, un bilan très positif de ce plan. Sur les quinze actions prévues, douze auraient été mises en œuvre ou seraient en cours d'exécution. En revanche, les associations dressent, elles, un bilan très négatif de ce plan dont très peu d'actions trouvent grâce à leurs yeux.
À mon sens, si le bilan global du plan est décevant, le tableau comporte cependant des points positifs. La mise en œuvre de ce plan s'est caractérisée par des avancées, certes insuffisantes, mais réelles.
La première tient au principe même de ce plan. Pour la première fois, la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques ont été reconnues comme un véritable enjeu de santé publique, et cela est positif.
La deuxième avancée concerne la connaissance générale de la maladie et la prévention. Selon le baromètre de Santé Publique France, la maladie de Lyme et les gestes de prévention que nous devons respecter, par exemple au retour d'une promenade en forêt, sont bien mieux connus aujourd'hui que précédemment. Plus de quatre Français sur dix se disent aujourd'hui bien informés sur cette maladie, contre deux sur dix il y a quelques années.
Le plan de 2016 a contribué à cette avancée en permettant notamment l'installation de 2 000 panneaux d'information aux entrées des forêts domaniales ou en finançant la diffusion de vidéos d'information ou de spots radiophoniques. Beaucoup a été fait et nous devons nous en féliciter même si quelques points de vigilance demeurent.
Des progrès ont également été accomplis en matière de surveillance vectorielle, c'est-à-dire en matière de surveillance de la présence des tiques sur le territoire. Une application pour smartphone, appelée Signalement Tiques, a trouvé son public et prouvé son efficacité. Des progrès ont également été réalisés dans la formation des forestiers et dans l'information des professions médicales même si beaucoup reste encore à faire.
Dans ces différents domaines, les progrès réalisés sont importants et doivent être consolidés. La réalité de ces avancées n'estompe cependant pas le bilan globalement décevant du plan.
Il y a bien sûr le bilan très décevant de la recherche, dont j'ai déjà parlé.
Il y a aussi le bilan de l'épidémiologie qui suscite beaucoup de scepticisme. Les modalités d'établissement des données officielles me laissent effectivement perplexe. Une grande part d'entre elles repose sur le réseau Sentinelles, réseau de médecins et de pédiatres volontaires dont la présence dans nos territoires suscite des interrogations. Par exemple, en 2018, dans mon département de l'Orne, un seul médecin généraliste appartenant au réseau Sentinelles était en fonction et a « remonté » les cas de maladie de Lyme qu'il a observés – cet exemple n'est pas isolé. Selon le bilan annuel du réseau Sentinelles, en 2018, 29 des 96 départements métropolitains ne comptaient qu'un ou deux médecins généralistes participant à la surveillance épidémiologique.
Autrement dit, en zone rurale, là où la densité du corps médical est faible, les estimations sont établies à partir d'un nombre très restreint de médecins. Cela pose problème en soi, et cela pose encore plus problème en ce qui concerne une maladie émergente encore mal connue des médecins.
Un autre motif d'insatisfaction est la gouvernance du plan de 2016. Cette gouvernance ne marche pas : aucun chef de projet n'a été désigné, aucun rapport d'activité n'a été établi, aucun corps d'inspection n'a évalué les résultats du plan. Les associations de patients ont le sentiment d'être tenues à l'écart, notamment dans la définition du parcours médical et dans la détermination des orientations de recherche.
Cette gouvernance très éloignée des standards contemporains a contribué à éroder la confiance entre les représentants des patients, une partie des scientifiques et les institutions. Entre ces différents interlocuteurs, la confiance n'existe pratiquement plus.
À l'issue des cinq premières années d'exécution du plan de 2016, j'ai le sentiment qu'il faut désormais tourner la page en posant les bases d'un deuxième plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques.
Ce deuxième plan, qui serait mis en œuvre sans attendre la fin de la crise sanitaire, viserait à consolider le premier et à corriger ses carences dans le but d'améliorer la situation des malades.
Je formule cinq recommandations en ce sens, dont les deux premières visent à consolider les acquis du premier plan en renforçant les efforts en matière de prévention et de surveillance vectorielle.
En matière de prévention, un effort particulier doit être accompli en direction des jeunes publics. Curieusement, les mots « enfant » et « école » sont absents du plan de 2016, alors même que, selon Santé Publique France, les enfants âgés de cinq à neuf ans figurent parmi les groupes d'âge les plus touchés par des hospitalisations au titre de la maladie de Lyme.
En matière de prévention, je crois que nous devrions nous inspirer d'autres pays, notamment le Canada, qui organise la sensibilisation précoce des enfants, et la Suisse qui propose, d'avril à octobre, une « météo des tiques » présentant un état hebdomadaire des risques de piqûre. Le renforcement de la surveillance vectorielle passerait pour sa part par la poursuite de la cartographie de la présence des tiques sur le territoire.
Les trois dernières recommandations s'attachent à corriger les carences du premier plan.
Pour améliorer l'épidémiologie, je propose d'expérimenter une déclaration obligatoire de la maladie de Lyme dans certains de nos territoires, notamment les territoires ruraux. Les données ainsi réunies permettraient de confirmer ou d'infirmer les estimations établies par Santé Publique France. Il est nécessaire de lever le doute sur ce sujet afin d'objectiver et de fiabiliser les données épidémiologiques.
Pour améliorer la gouvernance, je recommande plusieurs mesures simples : désigner un « référent national Lyme » ; donner tout son sens à la démocratie sanitaire en renforçant le rôle des associations ; intégrer les collectivités territoriales et l'éducation nationale au comité de pilotage ; prévoir des modalités d'évaluation des actions et établir un rapport public annuel sur la mise en œuvre du plan.
La principale recommandation que je formule tient cependant au nécessaire renforcement de la recherche. Sans un effort important en la matière, nous ne sortirons pas des controverses sans fin, et le sort des malades ne s'améliorera pas. L'ignorance nourrit les controverses et alimente la défiance.
À ce titre, il est donc important d'investir dans la recherche en santé humaine et d'étudier les formes sévères de la maladie, comme cela se fait aux Pays-Bas. Il est important de désigner un pilote chargé de coordonner la recherche. Il est important que nos chercheurs se regroupent et participent aux projets européens. Il est également important que le nombre de projets de recherche disposant d'un financement supérieur à 500 000 euros ne soit pas limité à deux. Il est aussi important de réaliser cet effort dans la durée pour structurer une communauté de chercheurs et créer un effet d'entraînement.
J'évalue à 5 millions d'euros par an cet effort de recherche.
Je souhaite bien sûr que le Gouvernement entende mon appel à renforcer les crédits de la recherche. À défaut, je crois que notre commission aura un rôle à jouer au moment de la prochaine discussion budgétaire. En 2018, notre commission avait d'ailleurs joué un rôle décisif dans le relèvement des crédits soutenant la recherche contre les cancers pédiatriques. Notre commission avait adopté un amendement visant à augmenter ces crédits et ainsi permis un débat utile en séance, qui a conduit le Gouvernement à relever durablement de 5 millions d'euros les crédits de la recherche sur les cancers pédiatriques. Pour la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques, le besoin de financement de la recherche s'élève également à 5 millions d'euros, soit un montant limité.
De la même façon que des parlementaires de sensibilités différentes ont su se réunir en 2018 pour soutenir la recherche contre les cancers pédiatriques, j'espère que, dans l'hypothèse où le Gouvernement ne prendrait pas une initiative en ce sens, des parlementaires de sensibilités différentes sauront à l'automne prochain s'unir à nouveau pour soutenir la recherche sur la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques dans l'hypothèse où le Gouvernement ne prendrait pas une initiative en ce sens.
Comme le disait justement notre ancien collègue François Vannson au mois de février 2015 à la tribune de l'Assemblée nationale, « la maladie de Lyme n'a pas de couleur politique ». Et, si la maladie de Lyme n'a pas de couleur politique, les politiques que nous sommes doivent financer la recherche pour combattre cette maladie des territoires ruraux.