J'ai effectué hier matin, en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de l'énergie, dans les locaux du ministère de la transition écologique, un contrôle sur pièces et sur place en vue de récupérer deux documents dont j'avais demandé, sans succès, la communication à Mme le ministre de la transition écologique depuis plusieurs semaines.
Ces deux documents sont des rapports établis par des corps d'inspection et portent, l'un, sur le dispositif des certificats d'économie d'énergie et, l'autre, sur la nature des perturbations causées par des éoliennes sur l'activité de deux élevages situés en Loire-Atlantique. Le premier document n'avait fait l'objet d'aucune publication. Le second avait fait l'objet d'une publication partielle au mois de février dernier.
Avant de revenir sur le contenu de ces documents, je rappelle que les rapporteurs spéciaux bénéficient, en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de la capacité de procéder à de telles investigations pour exercer leur mission de contrôle. Au cours de cette législature, Joël Giraud a par exemple utilisé cette faculté en 2020. Je l'avais moi-même fait également une première fois en 2019, c'est donc la seconde fois que j'y recours.
Il s'agissait, en l'occurrence, d'obtenir ces documents dont j'attendais vainement la communication depuis le 22 février.
J'ai écrit à Madame le ministre en vue de recevoir ces deux rapports le 10 mars 2021. Rien ne m'a été transmis. Une première relance est intervenue le 17 mars, sans résultat. Le 25 mars, j'ai donc réécrit à Madame le ministre pour lui redemander ces documents, toujours aucun résultat. Lundi soir, j'ai donc informé le ministère que je me rendrai le lendemain matin dans ses locaux.
Naturellement, à ce stade, je ne peux que déplorer l'absence de communication spontanée de ces documents. Il m'a été indiqué que ce retard s'expliquait par les lourds travaux relatifs au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, une explication qui n'est pas tout à fait satisfaisante. Effectivement, le ministère connaît une période d'intense activité mais si l'intense activité suffisait à retarder la communication de documents, le rapporteur général aurait des difficultés à obtenir des informations de Bercy entre le mois d'octobre et le mois de décembre pendant l'examen du projet de loi de finances. Il me semble que, le contrôle parlementaire n'étant pas un contrôle à éclipses, les rapporteurs spéciaux doivent pouvoir obtenir les informations dont ils ont besoin.
Cela dit, j'en viens au contenu de ces deux rapports. Comme je le disais, l'un des deux documents est un rapport établi par deux corps d'inspection sur l'état des élevages situés à proximité du parc éolien des Quatre Seigneurs en Loire-Atlantique, dont seule une version partielle avait été publiée en février. Je serai succinct à ce sujet. Les éléments qui avaient été masqués lors de la publication du rapport étaient la lettre de commande du rapport, une note d'étape et la saisine de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail. La consultation de ces pièces ne change pas les conclusions du rapport et présente un intérêt limité. Je pense que le ministère aurait pu, éventuellement en caviardant les données nominatives, le publier dans son intégralité.
Je vais en revanche vous présenter plus longuement le second document qui est un rapport commun de l'Inspection générale des finances, du Conseil général de l'environnement et du développement durable, et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies sur la cinquième période du dispositif des certificats d'économies d'énergie, plus communément appelés « CEE ».
Les CEE soumettent les fournisseurs d'énergie, appelés « les obligés », à des obligations d'économies d'énergie qu'ils satisfont en réalisant ou en finançant des programmes d'économie d'énergie. C'est un dispositif extrabudgétaire. Le Parlement ne détermine pas le volume ni le montant maximum des CEE à attribuer et ne fixe pas non plus leur prix. Les règles du jeu sont totalement définies par le pouvoir réglementaire, ce que j'ai dénoncé dans un rapport publié en 2017 et de nouveau en 2019. La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat a toutefois permis une première avancée en prévoyant, qu'à partir de 2023, le Parlement fixera les trajectoires au sein desquelles devront se placer les obligations annuelles des CEE. Cette avancée est cependant modeste au regard du volume financier de ces certificats. En 2020 le coût des CEE est estimé à 3,5 milliards d'euros et pèse sur les consommateurs finals d'énergie, principalement les ménages. Le dispositif des CEE coûte ainsi 100 euros par an à chaque foyer. C'est donc l'équivalent d'une quasi-taxe, qui a un poids dans le panier d'un ménage.
Le rapport obtenu fait le point sur l'exécution de la quatrième période des CEE, qui a débuté en 2018 et qui s'achèvera le 31 décembre 2021. Ce document de près de 500 pages comporte également 16 propositions destinées à préparer la cinquième période des CEE appelée à se dérouler du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2025. Il est donc évidemment intéressant pour la commission des finances de pouvoir avoir ces informations en pleine élaboration de cette cinquième période.
Le bilan de la quatrième période est assez critique. Si l'efficience du dispositif est jugée « élevée », les auteurs considèrent que « les CEE ont dérivé de leur cadre initial, ce qui contribue à réduire leur efficacité » – il y a dès lors une petite subtilité entre l'efficience et l'efficacité.
La mission dénonce plus particulièrement trois dérives. La première est la fixation d'obligations qui sont déconnectées de l'existence de gisements d'économies d'énergie économiquement accessibles. La deuxième est une intervention excessive de la puissance publique, qui modifie en permanence les règles de fonctionnement. La troisième consiste en un détournement du dispositif au profit d'objectifs nouveaux que les pouvoirs publics ne savent pas financer par ailleurs. Je précise que le mot « détournement » est celui employé par les auteurs du rapport, qui fustigent notamment l'emploi des CEE pour financer, par exemple, des abris à vélos.
Les seize propositions de la mission sont d'importance diverse et je me concentrerai sur deux d'entre elles. La plus importante vise à réduire d'une année la durée de la cinquième période des CEE, ce qui est essentiel. Comme je l'ai indiqué précédemment, cette cinquième période doit commencer au mois de janvier 2022 et s'achever au mois de décembre 2025 alors même que le Parlement déterminera, au plus tard en 2023, soit un an après le début de la cinquième période, les principales orientations à donner aux CEE. De ce fait, si le Parlement se prononce bien en 2023, les orientations qu'il définira pourront s'appliquer à compter du 1er janvier 2025 ; il y a donc un effet de latence. Si on raccourcit d'un an la cinquième période, les orientations fixées par le Parlement pourraient être suivies d'effet plus rapidement. Cela supposerait que cette cinquième période soit réduite de quatre à trois ans afin de s'arrêter à la fin de l'année 2024. Je souscris donc pleinement à la recommandation du rapport visant à amputer d'un an la durée de la cinquième période.
Le rapport formule également une deuxième recommandation importante qui vise, d'une part, à renforcer la transparence et le suivi de ces CEE. À l'heure actuelle, le pouvoir réglementaire agit de manière autonome et peu transparente. Les auteurs du rapport proposent de créer un comité d'experts indépendants chargé d'examiner les projets de fiches d'opération standardisées. Ces fiches font l'objet de critiques de la part de ceux qui réalisent les travaux car elles peuvent changer et conduisent parfois à des glissements substantiels dans leur modèle économique. Elle prévoit, d'autre part, de confier à un observatoire le suivi public annuel du dispositif. Autrement dit, le rapport préconise de réduire la liberté dont dispose le pouvoir réglementaire dans la gestion des CEE. Cette recommandation me paraît pertinente, même si je suis assez peu friand des mécanismes de comitologie et de multiples observatoires, dont les lunettes sont braquées sur l'État. Il commence en effet à y avoir une forêt d'observatoires à défricher ensuite.
Par ailleurs, en tant que commissaire aux finances, je souhaite revenir sur l'importance financière et la nature extrabudgétaire du dispositif des CEE. Dans son rapport, la mission estime qu'en 2020 les différents dispositifs d'aide à la rénovation énergétique des bâtiments ont coûté 5,5 milliards d'euros, dont 2,3 milliards d'euros de dépenses fiscales, 800 millions d'euros de dépenses budgétaires et 2,4 milliards d'euros de CEE. Autrement dit, les CEE sont bien le premier poste du budget de rénovation énergétique en France en 2020, et le Parlement ne le maîtrise pas. En matière de CEE, nous nous prononçons effectivement uniquement sur les crédits de contrôle des CEE, c'est-à-dire à peine 25 millions d'euros, à rapporter aux 2,4 milliards d'euros. Cela pose un problème : dépenser 2,4 milliards d'euros en 2020 sans autorisation budgétaire du Parlement pour la rénovation thermique, c'est déjà contestable, mais cela l'est encore plus lorsqu'on note les détournements auxquels se livre le pouvoir réglementaire. La lecture du rapport est très éclairante puisqu'il est écrit que, pour certaines actions, « rien ne distingue les actions financées par les CEE de celles financées par les crédits budgétaires classiques ». Je précise encore une fois que ce ne sont pas mes mots mais ceux des auteurs du rapport.
Ce dispositif extrabudgétaire ne peut nous laisser sans réaction. Nous devons renoncer à la passivité budgétaire et reprendre le contrôle des CEE. Est-il par exemple acceptable qu'un simple arrêté du ministre chargé de l'énergie mette en œuvre un programme de 200 millions d'euros en matière d'accompagnement des ménages à la rénovation énergétique sans que le Parlement ait son mot à dire ?
Je me souviens qu'au mois de novembre dernier, lors de l'examen des crédits de l'énergie, nous avons parfois discuté en séance publique d'amendements dont le montant était inférieur à 100 000 euros. Je ne comprends pas que nous passions du temps à discuter de 100 000 euros et que nous renoncions à contrôler les dépenses de CEE dont le montant est bien plus conséquent, avec des enjeux économiques très substantiels. La période du chèque en blanc doit donc s'interrompre le plus tôt possible.
Enfin, je souhaite profiter de cette allocution pour vous dire quelques mots sur les pouvoirs des rapporteurs spéciaux. Dans quelques semaines, sera sans doute discutée une proposition de loi réformant la loi organique relative aux lois de finances. En tant que rapporteur spécial, j'utilise fréquemment les pouvoirs qui me sont conférés par son article 57 mais je constate que leur usage se heurte à certaines limites. Je donnerai deux exemples.
Tout d'abord, je rappelle que notre commission n'est pas destinataire de la liste des contrôles effectués par les corps d'inspection de l'État. De ce fait, nous pouvons passer à côté de certaines informations utiles. Dans le cas présent, j'ai eu connaissance du rapport sur les CEE, au détour d'une conversation lorsque je participais à une séance du conseil supérieur de l'énergie.
À mon sens, il serait utile de prévoir, dans un décret ou dans la LOLF, que le gouvernement adresse chaque année à la commission des finances la liste complète des rapports établis par les corps d'inspection, afin que les rapporteurs spéciaux puissent demander communication des documents les intéressant.
Je crois également que des questions se posent en matière d'engagement et de publicité de ces travaux. En 2020, la mission d'information sur la concrétisation des lois, dont le rapporteur général et notre collègue Jean-Noël Barrot étaient rapporteurs, a proposé, d'instituer une « culture d'entraide » entre les parlementaires afin que les parlementaires dotés de pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place puissent être sollicités par leurs collègues sur des difficultés d'application des lois. Cette idée doit à mon sens être creusée pour autoriser une utilisation des pouvoirs spéciaux sur délégation ou par procuration.
Nous verrons ces différents points dans quelques semaines mais je crois que nous aurions intérêt à modifier l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances pour muscler les pouvoirs de contrôle du Parlement, de telle sorte que si, dans quelques mois, je réalise un troisième contrôle sur pièces et sur place, je puisse vous en dire plus qu'aujourd'hui.