Premièrement : je pense qu'il est totalement faux de croire qu'il y aurait d'un côté une discussion technique et de l'autre une discussion politique.
Plusieurs collègues ont évoqué l'absence d'étude d'impact. Je rappelle qu'il s'agit d'une proposition de loi. Madame Dalloz, j'espère que les députés LR fourniront une étude d'impact pour chacune des propositions de loi inscrites lors de la prochaine séance réservée à l'ordre du jour de leur groupe. Par ailleurs, et cela répond à la question du rapporteur général, vous trouverez dans mon rapport des éléments complémentaires pour aller plus loin.
Je vais répondre aussi à ce qui a été dit au sujet de l'insignifiance de ce qui est excessif. Monsieur de Courson, je suis un peu étonnée de vos propos parce que, lors de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2020, vous aviez dit en séance : « Autrefois, lors des guerres, on instaurait un impôt sur les profits de guerre », appelant ainsi à une réflexion sur cette question.
Je ne crois pas que faire référence à 1916 soit ridicule. Certes je ne pense pas que nous sommes en guerre contre un virus, qui en effet n'a pas de stratégie militaire. Mais nous traversons une crise économique et sociale absolument historique et nous devons réfléchir à la manière de sortir de l'impasse. Et dans ce type de situation nous retrouvons les débats de 1916, très intéressants et dont je vous recommande la lecture. Notamment sur la question de savoir s'il fallait viser la source du profit ou sa temporalité. Eh bien ! justement les parlementaires de 1916 avaient alors décidé que c'était la seconde qui devait compter. Le fait que des entreprises fassent des surprofits aussi énormes en temps de crise majeure avait quelque chose d'absolument indécent et il est apparu normal qu'elles participent à la solidarité nationale.
Deuxièmement : je suis heureuse d'entendre que le FMI et le secrétaire général de l'ONU seraient des anticapitalistes en guerre contre le capital et la propriété privée, pour reprendre une expression précédente. Il faut être raisonnable à ce sujet, collègues, parce qu'aujourd'hui seule la France est en train de s'obstiner sur le moins-disant social. Le rapporteur général a indiqué que son taux de prélèvements obligatoires était très élevé ; certes, mais c'est aussi la France qui est en tête des subventions à la production, à tel point que celles‑ci atteignent près de 3 % du PIB, soit deux fois plus qu'au sein de la zone Euro et trois fois plus qu'en Allemagne. Cela compense largement le niveau des prélèvements. Le taux de l'impôt sur les sociétés aux États-Unis sera, avec la réforme proposée par l'administration Biden, supérieur de trois points à celui en vigueur en France l'an prochain. Nous ne devrions pas faire l'inverse de ce qui se pratique dans le monde et de ce que préconisent les institutions internationales.
Troisièmement : ce n'est pas une taxation confiscatoire qui vous est proposée. Vous vous y opposez en disant qu'il faut protéger l'emploi. Nous parlons d'entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 millions d'euros, et non de PME, mais aussi d'entreprises qui licencient. Sanofi en est effectivement l'un des meilleurs exemples puisqu'elle est passée de onze centres de recherche à trois aujourd'hui et qu'elle veut licencier 1 000 chercheurs.
Rappelez-vous chers collègues, que lors du premier PLFR de 2017 vous aviez créé deux surtaxes de 15 % sur l'impôt sur les sociétés afin de ne pas dépasser les fameux et alors sacrés 3 % de déficit public. Cela avait conduit à un taux normal d'impôt sur les sociétés de 44,43 %, soit une charge fiscale largement supérieure à celle qu'engendrerait le dispositif que nous vous proposons : pour cinq des sept groupes du CAC 40, on serait en dessous de ce qui avait été fait en 2017. Si la majorité était alors prête à surtaxer les entreprises au nom du respect d'une règle européenne, j'aimerais croire qu'elle le ferait pour les surprofits au nom de la solidarité nationale. Pour les seules entreprises du CAC 40, on peut en attendre un produit de six milliards d'euros, donc un peu plus en tout ; et ce alors que la pauvreté explose comme jamais on ne l'a vu depuis la Deuxième guerre mondiale.
Pour ma part, je trouve que ce qui n'est pas sain dans notre pays, sixième puissance mondiale en termes de richesse, c'est d'avoir dix millions de personnes sous le seuil de pauvreté, 300 000 personnes qui dorment dans la rue, sept millions de personnes privées d'emploi et huit millions qui vont faire la queue à la banque alimentaire.
Ce n'est pas pour punir que nous proposons cette taxation, mais pour que fassent preuve de solidarité les entreprises qui, j'y insiste, ont fait du surprofit dans un moment de malheur national extrêmement dur pour l'ensemble de la population française. Tel est l'objet de cette proposition de loi.