Le programme de stabilité, que nous transmettrons à nos partenaires européens à la fin du mois, revêt cette année un caractère exceptionnel puisque la crise que nous traversons – la plus grave depuis 1929 – nous a amenés à faire des choix de politiques publiques majeurs. L'objectif de ce programme est d'indiquer aux Français comment nous comptons rétablir les finances publiques, à quel rythme, suivant quel calendrier et avec quels instruments.
Nous estimons qu'il ne faudra les rétablir que lorsque la croissance sera revenue et que la crise sanitaire sera derrière nous. Lors des précédentes crises, le redémarrage de la croissance avait été bloqué et la zone euro affaiblie car nous avions voulu rétablir trop rapidement les finances publiques. La question du calendrier est donc décisive. Je veux qu'il soit clair pour tous les Français que le rétablissement des finances publiques ne se fera qu'une fois que l'économie aura redémarré.
Ce rétablissement est néanmoins nécessaire et c'est pourquoi nous proposons de limiter la croissance des dépenses publiques en volume à 0,7 % par an en moyenne durant les cinq prochaines années. L'objectif est ambitieux : cela représente l'effort le plus important depuis vingt ans, puisque dans les années 2000, la croissance des dépenses publiques en volume était de l'ordre de 2 %, avant de ralentir pour s'établir à environ 1 %. Cette tendance à une meilleure maîtrise des dépenses publiques est, selon nous, saine.
L'alternative réside entre la maîtrise des finances publiques et l'augmentation des impôts. Nous avons opté, avec le Président de la République et le Premier ministre, pour la première solution. Tout n'est pas possible. On ne peut dire aux Français qu'on peut à la fois laisser filer la dépense publique au cours des cinq prochaines années, renoncer au rétablissement des finances publiques et au désendettement du pays et ne pas augmenter les impôts : c'est un mensonge. Chacun doit assumer ses responsabilités : on peut vouloir augmenter les impôts – nous y sommes pour notre part totalement opposés ; ou l'on peut vouloir rétablir les finances publiques en maîtrisant la croissance de la dépense publique – c'est ce que nous proposons. L'intérêt de ce débat est de soumettre un choix clair aux Français.
Des articles de presse fleurissent, dénonçant le fait qu'en matière fiscale, la France serait aujourd'hui en décalage par rapport à ses principaux partenaires, notamment les États-Unis ou le Royaume-Uni. La réalité, c'est que ce décalage existe depuis trente ans : le taux de prélèvements obligatoires s'établit dans notre pays à 44 % de la richesse nationale ; il s'agit du taux le plus élevé parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : il est de douze points supérieur à la moyenne. On s'esbaudit que le Royaume-Uni augmente le taux de son impôt sur les sociétés, mais il est passé de 19 % à 25 % quand en France, il diminuait de 33,33 % à 25 % : il n'y a donc pas décalage, il y a convergence. Les chiffres sont aussi têtus que les faits ! La décision que nous avons prise, avec le Président de la République, de réduire la pression fiscale sur les Français, en supprimant la taxe d'habitation et en réduisant l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, ne fait que ramener la France dans le haut de la fourchette des pays de l'OCDE pour ce qui est du taux de prélèvements obligatoires. Pour nos compatriotes, la question des impôts est essentielle ; nous ne voulons pas les augmenter et c'est pourquoi nous faisons le choix d'une maîtrise de la dépense publique.
Je le répète : notre priorité est la relance de l'économie. La stratégie que nous allons suivre pour y parvenir comprend trois étapes : il s'agit de protéger, de relancer, puis de rétablir les finances publiques. Ce n'est concevable que dans cet ordre.
Protéger, nous l'avons fait massivement : nous avons protégé les emplois, les compétences et les entreprises. La France est l'un des pays européens qui a le mieux et le plus protégé son économie. Nous continuerons à le faire tant que les règles sanitaires l'imposeront. Les aides seront réduites progressivement ; il n'est pas question de les supprimer brutalement, alors que les professionnels – restaurateurs, hôteliers, commerçants – en ont besoin pour reprendre leur activité.
Deuxième étape : la relance. Nous avons pris de l'avance par rapport à nos partenaires européens, car nous avons déjà engagé 30 milliards sur les 100 milliards d'euros du plan de relance. Certaines politiques, comme la rénovation énergétique des bâtiments, marchent très bien. Ainsi, au cours du premier trimestre de l'année 2021, on a réalisé autant de rénovations énergétiques et versé autant d'aides au titre de MaPrimeRenov' qu'au cours de la totalité de l'année 2020. Les résultats de notre politique de soutien à l'apprentissage – avec près de 500 000 nouveaux apprentis l'année dernière – devraient également réjouir tous les députés, quelle que soit leur sensibilité politique. Enfin, l'accompagnement de la digitalisation des petites et moyennes entreprises (PME) industrielles remporte un succès considérable : cela montre l'attente qui existe dans ce domaine. Nous avions prévu un budget de 280 millions d'euros pour cette politique ; près d'un milliard d'euros a déjà été engagé pour financer la modernisation et la digitalisation des PME.
La relance nationale est donc engagée. Elle va vite et fort. Il nous reste à obtenir les crédits européens, qui représentent 40 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros du plan de relance.
La troisième étape sera celle du rétablissement des finances publiques. Elle interviendra lorsque les conditions économiques le permettront et que la croissance sera revenue. Ma conviction est que ce rétablissement implique une meilleure maîtrise de la dépense publique.
Pouvons-nous l'obtenir à règle constante ? Je n'en suis pas convaincu. Nous n'y arriverons pas avec une règle annuelle contraignante et une règle pluriannuelle simplement indicative. Si nous voulons maîtriser notre dépense publique et nous donner la possibilité de faire de vrais choix politiques – réduire certains crédits et en augmenter d'autres, pour financer des politiques ou des secteurs que nous jugeons prioritaires, comme l'hôpital avec le « Ségur de la santé » –, nous devons fixer pour les cinq années à venir un cadre contraignant. Je suis évidemment favorable à la définition d'un objectif pluriannuel de dépenses publiques et me félicite du dépôt par M. le président Éric Woerth et M. Le rapporteur général Laurent Saint-Martin d'une proposition de loi organique en ce sens. Ce sera une étape majeure dans la voie d'une modernisation et d'un renforcement de la gouvernance des finances publiques.
Pour maîtriser la dépense publique, il faut continuer les réformes de structure. Je suis favorable à la poursuite de la transformation de notre pays, de manière à ce que nous puissions financer notre modèle social. C'est le sens de la modification de l'assurance chômage, telle qu'elle a été proposée par Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, qui devrait mettre un terme à l'incitation aux contrats courts. C'est également le sens de la réforme des retraites, qui, en favorisant l'augmentation collective du nombre d'heures de travail en France, permettra de financer notre modèle de protection sociale et de garantir la pérennité de notre système de retraite par répartition, auquel je suis fondamentalement attaché.
La troisième condition pour maîtriser la dépense publique, ce sont des règles communes afin d'assurer la cohésion de la zone euro. Ces règles doivent toutefois être pertinentes. Ce n'est de toute évidence plus le cas de celle fixant un objectif de ratio d'endettement inférieur à 60 % du PIB. Si elle pouvait l'être avant la crise financière de 2008 et la crise sanitaire actuelle, il semble nécessaire de la reconsidérer dès lors qu'une même zone monétaire enregistre, comme c'est désormais le cas dans la zone euro, près de 100 points d'écart entre les taux d'endettement public de deux de ses États membres : 160 % pour l'Italie, contre 65 % pour l'Allemagne. Cette question fait l'objet d'échanges entre ministres de la zone euro chargés des finances, dans l'attente de l'engagement de discussions formelles. Il convient que nous saisissions l'occasion que nous offre le débat sur le programme de stabilité pour nous interroger sur la stratégie économique et la coordination des politiques économiques de la zone euro. Ma conviction est que celle-ci devrait définir une nouvelle stratégie économique visant la croissance avant le respect des règles d'endettement ou de dépense publique. Je ne vois pas pourquoi la Chine et les États-Unis se fixeraient des objectifs en matière de création de richesse, d'innovation et de financement des technologies alors que l'Union européenne aurait pour seule ambition le respect de pourcentages et de règles. La première des ambitions européennes doit être de retrouver la prospérité pour tous.