S'agissant du coût de la pandémie, le chiffre a été donné ce matin par M. Olivier Dussopt, monsieur le président. Je n'y reviendrai pas.
On peut parler de cantonnement de la dette sociale : elle a été mise à part dans la CADES et une recette fiscale pérenne, la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), est affectée à son remboursement. Cette dette sera amortie jusqu'en 2033, puisque la date d'extinction de la CADES, initialement prévue en 2025, a été reportée jusqu'à cette date.
Ce que nous proposons pour la dette liée au covid-19 est différent. Elle ne sera pas cantonnée, puisqu'aucune recette fiscale supplémentaire ne sera créée pour son remboursement. Nous sommes en effet opposés à toute augmentation d'impôt. La dette liée à la crise du covid-19 sera isolée – je rappelle que l'Assemblée nationale a voté largement en faveur de cette mesure – afin que l'on puisse évaluer précisément le coût de la crise. Nous l'estimons aujourd'hui à 140 milliards d'euros. Grâce au retour de la croissance, que nous évaluons à 5 % dès cette année, nous pourrons compter sur des recettes fiscales – impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu et taxe sur la valeur ajoutée – plus importantes. Le risque, c'est de voir dans ces recettes fiscales supplémentaires une cagnotte et de se dire que la France est suffisamment riche pour poursuivre l'augmentation rapide de ses dépenses publiques. Ce serait irresponsable. En isolant la dette due au covid-19, nous pourrons identifier, année après année, la part des recettes fiscales supplémentaires que nous souhaitons allouer à son remboursement et à son amortissement. Il nous semble que c'est là un principe de responsabilité fondamental. Si les modalités d'amortissement de la dette due au covid-19 ne sont pas clairement définies, l'intégralité des recettes fiscales supplémentaires va aller, comme toujours depuis trente ans, à la poursuite de l'augmentation de la dépense publique, ce qui serait une erreur. Nous faisons donc le choix d'amortir la dette due au covid-19 grâce aux recettes fiscales supplémentaires. Cet amortissement se fera sur une période de vingt ans, qui devrait s'achever en 2042.
Une autre politique, qui consisterait à ne pas isoler la dette et à la laisser filer, est possible, mais elle nous paraît déraisonnable et cela pour plusieurs raisons.
La première, c'est que nous nous trouverions exposés en cas d'augmentation des taux d'intérêt. En réponse à la question de Mme Valérie Rabault, je souhaite rappeler qu'une augmentation des taux d'intérêt d'un point entraîne une augmentation annuelle de 2,5 milliards d'euros des dépenses publiques consacrées à la charge de la dette, soit 15 milliards sur cinq ans et près de 30 milliards sur dix ans. Si certains veulent affecter 30 milliards d'euros au paiement des intérêts de la dette publique française, grand bien leur fasse ; pour ma part, je préfère allouer cette somme au financement des hôpitaux, des crèches, des collèges, des lycées ou des infrastructures publiques. L'intérêt de réduire la dette publique, c'est de dégager des marges de manœuvre financière pour financer des investissements ou pour faire face à une éventuelle nouvelle crise sanitaire. C'est un choix politique. Nous sommes en démocratie et chacun présente ses choix aux Français. Je pense que le nôtre a le mérite de la clarté et de la lisibilité.
La deuxième raison, c'est qu'il ne me paraît pas raisonnable de maintenir durablement une dette publique deux fois plus lourde que celle de l'Allemagne, notre principal partenaire économique. La dette de la France représente 120 % de son PIB alors que l'Allemagne va rapidement retrouver un niveau de dette correspondant à 60 % de son PIB.
La troisième raison, c'est que la voix de la France est affaiblie lorsque son niveau de dette publique est largement supérieur à celui de ses partenaires. Je le constate comme ministre des finances qui participe aux réunions des dix-neuf ministres de la zone euro.
Notre objectif est de limiter l'augmentation des dépenses publiques en volume à 0,7 % par an afin d'atteindre un niveau de déficit public de 3 % du PIB, ou moins, en 2027. Si nous avions fixé cet objectif à l'horizon 2025, l'augmentation des dépenses publiques aurait dû être limitée à 0,2 % par an. Cela n'a jamais été fait et je pense que cela aurait donné un coup de frein trop fort à l'activité dans notre pays. Notre choix me paraît donc crédible et raisonnable.
Notre intérêt collectif est que les plus de 160 milliards d'euros d'épargne constituée par les Français aillent soit vers la consommation, soit vers le financement de l'économie. Pour atteindre ce dernier objectif, nous avons conçu de nouveaux outils, que vous avez adoptés : le plan d'épargne retraite (PER) a été assoupli et de nouvelles possibilités d'actionnariat salarié ont été créées. Le PEA est un grand succès : 800 000 nouveaux PEA ont été ouverts depuis un peu plus d'un an. C'est la preuve que, lorsqu'on offre aux Français des produits attractifs, ils s'en saisissent et placent leur épargne dans le financement de l'économie. Je suis par ailleurs favorable aux donations sans taxe ni impôt des grands-parents à leurs petits-enfants et des parents à leurs enfants. Cette mesure, qui interviendra après les restrictions sanitaires, permettra aux jeunes de disposer plus rapidement d'une somme de quelques milliers d'euros afin de reprendre pied à l'issue de cette période difficile. Je considère enfin que la meilleure façon de débloquer l'épargne des Français, c'est de leur garantir qu'il n'y aura pas d'augmentation des impôts, car cette perspective se traduit immédiatement par une augmentation du taux d'épargne de précaution.
Concernant la réforme du pacte de stabilité et de croissance, il ne me semble pas pertinent de maintenir le même indicateur de dette publique pour tous les États membres alors que les écarts d'endettement sont devenus très importants. Le rétablissement des finances publiques de chaque État membre de la zone euro devra se faire en fonction des conditions de soutenabilité propres à chaque pays. Contrairement à ce que j'ai entendu dire, nous avons tiré les leçons de la crise de 2008, car la même toise ne sera pas imposée à tous. Il sera au contraire tenu compte de la manière dont chaque pays a été touché par le covid-19, qui est par nature injuste puisqu'il ne choisit pas ses victimes. Si un pays a été durement touché par l'épidémie et qu'il a par conséquent dû dépenser plus d'argent public, il n'y a aucune raison qu'on lui impose de retourner au niveau d'équilibre de ses finances publiques au même rythme qu'un État membre de la zone euro qui aurait été moins touché. C'est là un changement fondamental : au lendemain de la crise financière de 2008, la même règle avait été imposée à tous. Cela s'est traduit par beaucoup de souffrances, d'inefficacité économique et d'incompréhension politique. Cette fois, nous tiendrons compte, dans le cadre d'une discipline commune, de la situation de chaque État.
Je remercie Mme Véronique Louwagie pour son soutien à l'absence d'augmentation des impôts. Je rappelle que nous avions, avec M. Gérald Darmanin à l'époque ministre de l'action et des comptes publics, réussi à sortir la France de la procédure pour déficit excessif. En ramenant, pour la première fois depuis onze ans, le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB, nous avions prouvé qu'en matière de finances publiques, on obtient des résultats lorsqu'on s'en donne les moyens.
En réponse aux questions de MM. Jean-Paul Mattei et Jean-Paul Dufrègne et Mme Sabine Rubin, je voudrais dire un mot sur la taxation des géants du numérique et sur le taux minimal d'impôt sur les sociétés. Reviendrons-nous, au lendemain de la crise, à de vieilles mauvaises pratiques ou essayerons-nous d'inventer quelque chose de nouveau ? Les mauvaises pratiques, c'est d'augmenter les impôts alors que le taux de prélèvements obligatoires de la France est le plus élevé de tous les pays de l'OCDE. Je suis, sur ce point, en désaccord avec M. Jean-Paul Dufrègne et Mme Sabine Rubin – mais c'est là tout le mérite de nos échanges. L'augmentation des impôts est inefficace. Elle affaiblit l'attractivité de notre pays et ruine les efforts de reconstruction économique, sans rapporter grand-chose. Le FMI recommande de taxer davantage les plus riches, mais la France le fait déjà ! Une taxe sur les revenus les plus élevés avait été instaurée en 2012. Cette surtaxe, que la plupart des autres pays ne pratiquent pas, aurait dû être provisoire, mais, en matière fiscale, on adore en France le provisoire qui dure ; elle a donc été pérennisée. Elle touchait au début un nombre limité de contribuables et rapportait 468 millions d'euros. Aujourd'hui, elle touche 44 000 contribuables et rapporte 1 milliard d'euros. Comme ce n'est pas encore suffisant, le risque est grand de l'étendre aux classes moyennes, qui sont nombreuses : cela rapporterait davantage. Je ne veux pas rouvrir ce débat typiquement français pour savoir qui est riche et qui appartient aux classes moyennes. À mon sens, le débat doit porter non pas sur la redistribution – si les Français l'adorent et qu'elle est bien sûr nécessaire, je pense que nous allons suffisamment loin dans ce domaine –, mais sur la création de richesse, afin d'éviter l'appauvrissement de notre pays. Les chiffres sont têtus : au cours des vingt dernières années, la France s'est, en part relative, appauvrie. En effet, au cours de cette période, le produit national brut des États-Unis et celui de l'Allemagne ont augmenté de vingt-cinq points alors que celui de la France n'a augmenté que de dix points. La redistribution est une obsession française qui nuit à la prospérité de nos concitoyens. Le vrai beau débat est de savoir comment donner plus de prospérité, plus d'emplois, plus d'activité économique et plus de croissance à tous les Français, sans exception.
Le débat fiscal du XXIème siècle porte sur la taxation des géants du numérique. Ce sont eux les vrais riches, ce sont eux les vrais vainqueurs de la crise. Je rappelle à M. Jean-Paul Dufrègne et à Mme Sabine Rubin que je me bats depuis quatre ans pour qu'on les taxe et j'ai bon espoir que nous y parvenions. Cette Assemblée a d'ailleurs adopté un projet de loi portant création d'une telle taxe. Nous sommes l'un des rares pays de l'OCDE à l'avoir fait et nous pouvons en être fiers, car c'est une mesure de justice.
Je suis favorable à l'harmonisation internationale des taux d'imposition sur les sociétés. Il s'agit là d'une autre mesure de justice, d'une véritable révolution : une telle modification radicale et essentielle de la fiscalité internationale permettra d'éviter l'évasion et l'optimisation fiscales. Concrètement, une grande multinationale qui fait des profits en France n'aura plus intérêt à se délocaliser à Dublin pour payer moins d'impôts sur les sociétés. Les recettes fiscales générées par une telle taxe seraient beaucoup plus importantes que celles d'une taxation des ménages les plus riches, mais c'est un combat plus difficile et qui demande plus d'énergie qu'une simple modification des paramètres de la taxation nationale en France. La récente prise de position de Mme Janet Yellen, secrétaire d'État américaine au Trésor, nous laisse entrevoir la possibilité d'un accord à l'été 2021 sur une nouvelle fiscalité internationale reposant sur une taxation des géants du numérique et un taux minimum d'impôt sur les sociétés. Nombre d'annonces faites par l'administration Biden vont dans le bon sens, mais il convient de rester prudent et d'attendre l'issue des débats au Congrès.
Avant de répondre à vos questions, madame Rabault, je tiens à vous dire que j'examinerai avec la direction générale des finances publiques la question de l'accès sur Chorus aux informations concernant les mesures d'urgence.
Je suis d'accord avec vous pour dire que le plus important, c'est de créer de la croissance. Nous sommes l'un des pays de la zone euro qui a le plus rapidement mis en place un plan de relance. Nous avons d'ores et déjà engagé – je dis bien « engagé » et non « décaissé » – 30 milliards d'euros sur les 100 milliards d'euros de crédits du plan de relance. Je rappelle que celui-ci comprend un volet relatif à l'environnement, un volet relatif à la compétitivité et un volet social. Ce sont les crédits relatifs à ce dernier volet qui ont été décaissés le plus rapidement, car ils financent par exemple la prime à l'embauche d'un jeune en contrat à durée indéterminée ou la prime à l'apprentissage. En revanche, les dépenses concernant la rénovation énergétique des bâtiments publics sont engagées, mais le décaissement interviendra plus tard, une fois les appels d'offres passés et les chantiers prêts commencer.
Le soutien à l'activité financé par le plan de relance représente 1,5 point de PIB supplémentaire en 2021. Il doit nous permettre, grâce à un soutien à l'investissement, à l'innovation et à la formation, de retrouver en 2022 le niveau d'activité de 2019. C'est l'objectif stratégique que je me fixe depuis douze mois.
M. Jean-Paul Mattei m'a interrogé sur un éventuel renforcement du plan de relance européen. Je suis convaincu que l'Europe doit faire davantage, mais il faut d'abord que les 750 milliards d'euros du plan de relance soient décaissés. Quand pourront-ils l'être ? Cela dépend principalement de deux pays : l'Allemagne et la Hongrie. En Allemagne, le retard dans le processus de ratification n'est imputable ni au gouvernement ni à la majorité du Bundestag, qui a adopté à une large majorité la décision relative au système des ressources propres. C'est un recours du parti Alternative für Deutschland (AfD) devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui bloque le processus. La situation en Hongrie est plus inquiétante, car le blocage y est véritablement politique. Or, si les Vingt-sept ne ratifient pas la décision relative aux ressources propres, il ne pourra y avoir de décaissements du plan de relance. J'invite donc une nouvelle fois les États membres qui n'ont pas ratifié cette disposition à le faire rapidement.
Faudra-t-il augmenter la dotation du plan de relance national ? Pour moi, la priorité est de décaisser le plus rapidement possible les crédits du plan que vous avez adopté afin de relancer l'activité économique. On verra ensuite, dans quelques mois, si nous avons besoin de plus d'argent pour financer des investissements permettant de consolider la croissance potentielle, par exemple dans l'innovation, dans les nouvelles technologies ou dans la recherche.