Je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions, puisque certaines, qui concernent les dépenses à venir, ne relèvent pas des quatre documents que je viens de vous présenter. Néanmoins, je peux d'ores et déjà vous donner rendez-vous, dans la mesure où la Cour des comptes est en train de faire un audit à 360 degrés des finances publiques, comportant une analyse de la trajectoire, intégrant la question de la dette et du cantonnement de la « dette covid », mais aussi une réflexion sur la sortie des mesures d'urgence et une approche structurelle des finances publiques, des politiques de croissance et de l'action publique. Ces travaux, commandés par le Président de la République et le Premier ministre, me permettront de vous répondre plus précisément sur la trajectoire de la dette et sur les moyens d'en assurer la soutenabilité : définition du moment où commencer l'effort ; nature de cet effort ; soutiens pour muscler la croissance – sans exclure par principe la réflexion sur les recettes, même si je n'ai pas à me prononcer sur les positions politiques retenues. Nous avons auditionné votre président et allons auditionner le rapporteur général. Une trentaine de magistrats travaillent à temps plein sur le sujet.
Concernant l'évolution des dépenses publiques, notamment des dépenses dites ordinaires, qui ont augmenté de 6,7 milliards d'euros en 2020, soit à peu près comme en 2019, où l'augmentation était de 7,3 milliards d'euros, mais beaucoup plus vite qu'en 2018, où elle n'était que de 1,5 milliard d'euros, même si les dispositifs pris spécifiquement en réponse à la crise ont vocation à s'éteindre, la Cour s'interroge sur l'évolution des autres dépenses, une fois la crise passée, dont rien à ce stade ne garantit le ralentissement. Nous mentionnons notamment le risque d'un effet de cliquet. J'ai cité le chiffre de plus de 90 milliards d'euros si la tendance se prolonge. Nous observons que si, à l'occasion de la crise de 2008-2010, les dépenses publiques avaient significativement augmenté de 4 points de PIB, elles avaient retrouvé, par la suite, leur niveau d'avant-crise. C'est pourquoi il faut réfléchir à l'évolution des dépenses au‑delà de la crise. Hier, M. Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics a donné le chiffre de 0,7 %, lequel est inférieur à la moyenne en volume de la hausse des dépenses publiques sur les dernières années, qui tourne autour de 1,1 %. Il faudra voir si cela suffit pour parvenir à une baisse de la dette. Vous en débattrez au niveau politique et nous en débattrons collectivement.
Le solde structurel de 2020 nous semble totalement dépourvu de sens, parce que la loi de programmation des finances publiques, qui définit la croissance potentielle, n'a plus de base et que les one-off sont comptabilisés d'une manière discutable. Cela discrédite-t-il pour autant la notion de solde structurel ? Je ne le crois pas, même si la crise sanitaire a rendu plus complexe son évaluation et que les choix faits ont contribué à brouiller sa définition. En tout état de cause, le solde structurel reste un outil indispensable pour établir une stratégie de finances publiques. C'est pourquoi il faut en refonder le calcul plutôt que tuer le pianiste et éliminer l'indicateur.
La Cour souligne depuis plusieurs années la sous-consommation des crédits d'investissement du budget de l'État et leur transformation par fongibilité en crédits de fonctionnement. Bien que cette pratique ne soit pas contraire à la LOLF, nous la regrettons. Dans notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2020, nous avions insisté pour que soient préservés les investissements publics, notamment ceux qui concernent la transition écologique ou la santé publique. Nous nous sommes également interrogés, sans trancher, sur l'opportunité de créer une sorte de fongibilité asymétrique pour les crédits d'investissement, à l'image des crédits de titre 2, c'est-à-dire de limiter voire d'interdire la possibilité de transformer des crédits d'investissement en crédits de fonctionnement au sein d'un même programme, même si l'inverse serait possible. La Cour aura l'occasion de revenir sur l'importance accordée aux dépenses d'investissement dans sa réponse à la commande du Premier ministre.
Pour ce qui est des investissements d'avenir, la Cour relève que la doctrine d'investissement a été amendée, puisqu'elle est définie au niveau législatif à l'article 233 de la loi de finances pour 2021. Nous suivrons avec attention les changements à venir dans la gouvernance des programmes d'investissements d'avenir (PIA), avec l'installation du conseil interministériel de l'innovation. S'agissant de la traçabilité insuffisante des recettes en provenance des investissements d'avenir, la direction du budget indiquait à la Cour qu'elle avait prévu de travailler en 2021 avec le secrétariat général pour l'investissement à l'enrichissement de la documentation, notamment du jaune annexé. La Cour sera attentive à une évolution qu'elle appelle de ses vœux depuis plusieurs années.
Les émissions d'obligations ont donné lieu en 2020 à la perception d'un niveau très élevé de primes à l'émission pour un montant de quelque 30,7 milliards d'euros. Selon l'AFT, ce niveau s'explique par la baisse des taux d'intérêt et par la demande des investisseurs pour des émissions sur des souches anciennes dont les taux de coupon sont supérieurs aux taux de marché actuels. Le programme d'achat de titres publics de la Banque centrale européenne, qui intervient sur l'ensemble de la courbe des taux, contribue à alimenter la demande des investisseurs pour ces titres plus anciens. Les primes perçues aujourd'hui auront pour contrepartie une augmentation des charges d'intérêt au cours des prochaines années. Mais, vous l'avez rappelé, c'est un mécanisme neutre du point de vue actuariel. Aussi, l'interrogation sur la soutenabilité de la dette va bien au-delà de ce seul sujet, qui n'est pas négligeable pour autant. Cela renvoie notamment à l'évolution de l'encours de la dette, en fonction des futurs niveaux de déficit public.
J'ai lu avec intérêt le rapport de M. Arthuis – qui m'avait auditionné et que la Cour auditionnera la semaine prochaine –, lequel met notamment l'accent sur l'idée d'une vigie indépendante pour aider au pilotage des politiques publiques et finances publiques. Mais une telle vigie existe déjà ! Le Haut Conseil des finances publiques est une institution indépendante, placée auprès d'une institution également indépendante, dotée de moyens propres que vous avez commencé à augmenter – je vous en remercie – pour cette année et qu'il faudra sans doute abonder légèrement, afin d'élargir son mandat pour lui permettre d'être plus utile au débat public et au contrôle du Parlement.
À ce sujet, je veux revenir sur quelques points. Le mandat du HCFP porte, à titre principal, sur l'appréciation du réalisme des prévisions macroéconomiques, ce qui est un peu paradoxal, dans la mesure où il ne s'appelle pas Haut Conseil des prévisions macroéconomiques… Elles sont un élément indispensable dans le cadre de la prévision des finances publiques, mais elles ne sont pas suffisantes. Elles ne sont pas le seul déterminant des prévisions de recettes et de dépenses. Il est possible d'avoir des prévisions macroéconomiques réalistes et des prévisions de recettes, de dépenses et de solde qui ne le seraient pas. C'est la raison pour laquelle je rejoins ce que disait le président Woerth sur le fait qu'une extension du mandat du HCFP à l'appréciation du réalisme des recettes et des dépenses constituerait un nouveau progrès dans la gouvernance des finances publiques ; il y en a sans doute d'autres.
Concernant l'ensemble des moyens des politiques publiques, au-delà des seuls crédits du budget général, il faudrait consulter l'ensemble des analyses de l'exécution budgétaire annexées au rapport sur le budget général. S'agissant des dépenses fiscales, vous trouverez également une note d'analyse de l'exécution budgétaire qui leur est consacrée. La Cour est très attentive à ces dépenses fiscales, qui se maintiennent à un niveau élevé. Enfin, la première chambre avait réalisé un rapport complet sur les fonds sans personnalité juridique, à la suite duquel nous avions appelé à une forme de remise en ordre. Nous ferons en 2022 un suivi de ce rapport, qui demeure d'actualité.
Les limitations des systèmes d'information sont une constante. En l'état actuel des choses, l'utilisation des applications informatiques ne permet pas de garantir, sur un certain nombre de postes, que les données comptabilisées correspondent à la réalité et donnent une image fidèle de la situation financière. Avec la mise en œuvre du progiciel Chorus en 2012, l'État s'est doté d'un outil performant, commun aux comptabilités budgétaire et générale pour assurer la gestion des dépenses et des recettes selon les règles introduites par la LOLF. Je dirais que cela marche. Le résultat est globalement satisfaisant pour les dépenses, qui sont désormais traçables sur l'ensemble de la chaîne, de l'engagement au paiement. En revanche, des insuffisances significatives persistent pour les recettes, pour lesquelles le système d'information est loin d'être utilisé à la mesure de ses possibilités. La majorité des applications remettantes fonctionne encore selon les règles de l'ordonnance de 1959, ce qui rend nécessaire d'opérer leur conversion dans le langage utilisé par Chorus. Pour résumer, l'outil n'est pas déficient mais on peut en faire un usage plus performant.
Le principe de fiabilité des comptes suppose que, en amont de leur production, les dispositifs de contrôle et de vérification mis en œuvre par l'administration permettent de prévenir les anomalies et les erreurs, garantissant au moins leur correction une fois repérées, ce qui fait l'objet du contrôle interne. Nous constatons que la démarche de maîtrise des risques continue de progresser dans presque tous les ministères, mais qu'elle n'a pas encore atteint un niveau de maturité suffisant pour garantir la fiabilité des comptes et assurer une bonne gestion des actions conduites par les services de l'État. Cela concerne notamment l'insuffisante hiérarchisation des contrôles, en fonction des enjeux et des risques, et l'absence d'outils de mesure de la réalité des risques. Je le redis, allègement et simplification doivent aller de pair avec une amélioration de la maîtrise des risques et des contrôles appropriés.
Pour les prévisions de croissance pour 2020 et 2021, les pénuries ont été prises en compte dans le calcul du PIB en 2021. Cela a été noté par le HCFP. Nous avons relevé que la prévision d'inflation sous-jacente est un peu basse. Cela fait partie des quelques paramètres qui peuvent jouer sur le futur. L'écart est important entre les prévisions et l'exécution sur les recettes comme sur les dépenses ; pour celles-ci, il est notamment l'effet d'une grande prudence. Je conçois tout à fait la prudence, d'une part, et la prise en compte des incertitudes, d'autre part – c'est, en gestion, une attitude préférable à celle consistant à ignorer l'une et à mépriser les autres. En revanche, je pense que l'ampleur de l'écart, supérieur à 40 milliards d'euros, ne s'explique pas seulement par la prudence ou l'anticipation des incertitudes, à moins de supposer qu'elles aient été excessives. Les circonstances de l'été 2020 ont compliqué l'évaluation des recettes, ce qui confirme la nécessité d'une analyse indépendante.
Les participations financières de l'État sont composées de 1 703 entités qui représentent une valeur de 307,4 milliards d'euros à l'actif du bilan : 647 sont des participations contrôlées, 1 056 des participations non contrôlées. La Cour s'appuie, pour apprécier la fiabilité des montants comptabilisés au titre des participations contrôlées, sur les rapports d'audits internes des commissaires aux comptes de ces sociétés. L'acte de certification des comptes de 2020 énonce les constats suivants pour les 647 entités contrôlées : 191 rapports reçus, dont 31 qui font état de réserves ; nous n'avons pas obtenu le rapport de 74 entités et n'avons pas d'informations probantes pour les 382 autres. Une certaine incertitude persiste donc quant à la fiabilité d'une part significative de participations, qui justifie la réserve formulée par la Cour. Je vous ai fait cette réponse détaillée pour que vous preniez la mesure du travail considérable que fournit l'équipe de certification, composée de vingt-cinq personnes, dont je pense qu'il faut faire un usage plus important, car c'est un outil précieux. Je crois que vos prochains travaux sur la LOLF en fourniront l'opportunité.
Pour les contentieux de série, il s'agit de crédits évaluatifs, ajustés en fin d'année. Leurs intérêts moratoires sont assez inévitables au vu des délais de traitement même si leur montant de 6,7 milliards d'euros n'est pas négligeable. Quant au niveau du produit des amendes, il s'explique par les décisions de l'Autorité de la concurrence et non par l'évolution du produit des amendes de la circulation.
Le HCFP note que la prévision pour 2021 du programme de stabilité est conditionnée par la réalisation du scénario sanitaire. En cas de décalage important du calendrier de levée des contraintes sanitaires, il faudra réactualiser le scénario de croissance. Mais, à ce stade, nous n'avons pas de raison de remettre en cause le scénario du Gouvernement, même si le virus demeure le maître en la matière. Quant aux prévisions de croissance, elles tiennent compte de l'influence des finances publiques, qui est défavorable à court terme mais pas nécessairement à long terme, surtout si la qualité de la dépense est privilégiée.
Enfin, j'ai pris bonne note de vos remarques sur le budget vert, qui semble une perspective d'avenir. Pour la première fois, des indicateurs se dessinent en la matière. Nous soulignons dans notre rapport que nous sommes prêts à nous investir pour l'avenir dans le suivi de cette grande transition écologique, qui sera centrale dans notre politique économique, quoi qu'il arrive.