Intervention de Jean-Paul Faugère

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Paul Faugère, vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution :

La directive Solvabilité II a permis au secteur de l'assurance d'aborder la crise, dans une position de grande solidité et de démontrer sa capacité de résilience. La crise a été brutale pour l'ensemble de l'économie, les assureurs compris. L'élément de contexte très sensible pour les assureurs, ce sont les taux d'intérêt. Si les emprunteurs peuvent se réjouir du très bas niveau de ces taux, celui-ci oblige mécaniquement les assureurs à augmenter leurs provisions techniques et donc leurs besoins en fonds propres pour satisfaire à leurs engagements. Les taux jouent un rôle déterminant dans l'évaluation de la solvabilité des assureurs, particulièrement à l'aune de la directive Solvabilité II, qui s'attache à dresser un bilan économique des engagements des assureurs, assorti d'une projection pour l'avenir, compte tenu d'un contexte de taux bas.

Un bilan de l'année 2020, certes partiel, puisqu'une partie des données reste à consolider, montre que le taux de couverture de l'ensemble du secteur de l'assurance, mesurant le ratio de fonds propres éligibles par rapport au capital requis, atteignait, début 2020, 267 %, soit plus de deux fois le taux minimal réglementaire fixé à 100 %. À la fin de cette même année, le secteur de l'assurance affichait, sous réserve d'ajustements, un taux de couverture de 244 %, une baisse somme toute modérée. Au plus fort de la crise, au printemps, ce taux n'est descendu qu'à 230 %, soit une chute du taux de couverture d'un peu plus de trente points, mais qui, au regard du niveau initial, restait tout à fait confortable.

Les évolutions négatives constatées ont principalement touché le secteur Incendies, accidents et risques divers (IARD), qui a enregistré des pertes pécuniaires, consécutives à une hausse des sinistres de 35 %, alors même que plus de 93 % des contrats ne prévoyaient pas de prise en charge des pertes d'exploitation.

Le résultat technique de la prévoyance collective accuse une forte dégradation, notamment liée aux arrêts de travail et à la prise en charge des indemnités journalières.

L'assurance-crédit a évolué au travers d'une prise en charge du risque de crédit, aménagée grâce à la puissance publique et à la caisse centrale de réassurance, pour que les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) puissent continuer à gérer leur trésorerie.

Des difficultés ont touché l'assurance construction, le confinement ayant donné un coup d'arrêt à la plupart des chantiers.

À l'inverse, l'assurance automobile a connu une évolution favorable grâce à une baisse de la sinistralité d'environ 5 %, notamment lors du premier confinement.

L'évolution, favorable également, de l'assurance santé doit être très largement nuancée compte tenu du vote par le Parlement, en fin d'année dernière, d'une contribution obligatoire de 2,6 %.

Nous avons assisté, en 2020, à une décollecte historique sur les fonds euros d'assurance vie, de l'ordre d'une trentaine de milliards d'euros. La collecte sur les unités de compte, de 24 milliards d'euros, n'a pas réussi à la compenser, aboutissant à un solde négatif, de 7 milliards d'euros, tout à fait inhabituel. La baisse de la collecte, d'environ 4 milliards d'euros par mois, s'est concentrée en mars et avril et, dans une moindre mesure, mai. Pour autant, nous n'avons pas observé de risque de liquidité ni de hausse significative des rachats, contrairement à ce qui s'était passé lors de la crise financière de 2008 ou de la crise grecque de 2011.

Les assureurs ont ajusté leur gestion, en particulier la participation bénéficiaire versée à leurs assurés, qui a baissé de 20 points de base pour atteindre 1,27 point en moyenne.

La solidité des compagnies d'assurance, garantie par les exigences élevées de la directive Solvabilité II, leur a permis de traverser cette crise dans des conditions rassurantes. Cette directive a essuyé des critiques, et il me semble normal de s'interroger sur les principes de régulation, exigeants, imposés à toutes les compagnies d'assurance en Europe.

De considérables progrès ont eu lieu entre la première et la deuxième version de la directive. La première ne prenait pas en compte la totalité des risques, notamment les risques d'actifs, alors que le risque de marché représente une part significative du risque supporté par les assureurs.

La directive Solvabilité II a eu le mérite d'imposer une vision globale des risques et un ajustement entre l'appétence aux risques de l'assureur, qu'il définit lui-même, et sa stratégie, mais aussi ses besoins en fonds propres. Cette vision économique du modèle d'affaires de chaque compagnie d'assurance commande son exigence de solvabilité et marque un progrès par rapport aux dispositions antérieures. Celles-ci se référaient à des forfaits et donc des évaluations assez grossières, incomplètes, des risques, basées aussi sur leur coût historique. C'était un regard en arrière qui permettait de définir les exigences en fonds propres, alors que la directive Solvabilité II a bien intégré la nécessité indéniable d'une vision prospective.

Des progrès sur l'harmonisation européenne ont eu des conséquences positives en termes de concurrence mais aussi de fonctionnement du marché unique. Enfin, la transparence, tant vis-à-vis du public que du superviseur, s'est-elle aussi améliorée, permettant désormais de scruter plus en profondeur chaque entreprise.

L' European insurance and occupational pensions authority (EIOPA), l'autorité européenne de supervision de l'assurance, a rendu un volumineux document fort bien étayé, à propos de la révision de la directive Solvabilité II, prévue dès son entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Les discussions autour de ce document, entre les représentants des superviseurs des 27 États membres, s'annonçaient difficiles. Une tension s'est manifestée lors d'un vote du superviseur français en défaveur de la proposition avancée. Un principe essentiel a dès lors été posé : celui de la recherche d'un ajustement sans déséquilibre. Bien qu'incontestable, la nécessité de mesures d'ajustement ne doit pas dégrader la solvabilité des compagnies d'assurance en augmentant mécaniquement leurs besoins en fonds propres. L'EIOPA n'a pas atteint l'objectif global, et c'est un des points de débat, car elle a laissé le choc des taux, tout de même essentiel, en dehors du souci d'équilibre dont témoignaient les mesures proposées. Le paquet présenté aujourd'hui est donc neutre, si on met de côté le choc de taux, qui reste une composante essentielle.

J'en viens aux mesures principales. Le point essentiel, c'est le taux d'intérêt. Le marché commande la fixation du taux d'actualisation à un point où il est considéré comme parfaitement liquide, à un horizon de vingt ans. Au-delà, l'EIOPA a défini une courbe à partir d'extrapolations, qui détermine l'évaluation des provisions techniques, donc la solvabilité. Or les assureurs effectuent des calculs jusqu'à cinquante ans. Le débat porte donc sur le bien-fondé de la prise en compte des données de marché au-delà de vingt ans. L'EIOPA considère que l'on ne peut pas les ignorer. Elle a donc défini une méthode, et cet ajustement de la courbe des taux est un des points qui coûtent dans la balance.

Le deuxième élément, c'est le choc des taux. L'évaluation des besoins en fonds propres d'une compagnie d'assurance repose sur la nécessité pour cette compagnie de disposer du coussin suffisant pour faire face à des événements extraordinaires, adverses, en particulier lorsqu'ils influent sur les taux. Le choc des taux à la baisse s'avère d'autant plus pénalisant si ces taux frôlent le zéro ou arrivent en territoire négatif. Or, celui qu'imposait la directive Solvabilité II était un choc proportionnel et ne tenait pas compte de l'existence de taux négatifs. L'EIOPA estime impératif d'y remédier en concevant un choc plus exigeant, et c'est un deuxième point qui coûte dans la balance.

Dans les éléments positifs, l'EIOPA a opportunément proposé une évolution de l'ajustement pour volatilité, qui tient lieu de prime ajoutée à la courbe des taux. Il n'apparaît pas légitime de tenir compte de toutes les fluctuations du marché à court terme que subit une compagnie d'assurance engagée sur le long terme. L'EIOPA propose des améliorations, en particulier pour tenir compte du portefeuille des entreprises, plutôt que d'imposer une mesure forfaitaire à l'échelle du secteur entier.

Le quatrième sujet, ce sont les actions. Il y a eu de petits ajustements de la directive il y a deux ans. Le secteur les estime à juste titre insuffisants. Il faudrait, tout en tenant compte du risque action, qui est sérieux, favoriser la détention d'actions par un assouplissement de certains critères.

Trois autres éléments doivent être abordés. Le calcul des provisions techniques nécessaires, et donc des engagements de l'assureur, inclut une marge de risque, qui fait l'objet de discussions techniques. La formule proposée par l'EIOPA la réviserait légèrement à la baisse pour tenir compte de l'évolution à la baisse des taux d'intérêt.

L'EIOPA propose des mesures de simplification, objectivement limitées.

Un débat porte enfin sur les activités en libre prestation de services. Le problème, aujourd'hui, concerne les entreprises étrangères qui n'ont pas les mêmes exigences que celles exerçant en France et qui proposent une libre prestation de services en France. Il faudrait qu'en cas de difficulté posée par un assureur étranger, un fonds de garantie du pays d'origine de l'assureur indemnise les assurés en France. Le cas de l'assurance construction l'illustre parfaitement.

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