Les médias ont régulièrement relayé les controverses autour du comportement des assureurs lors de la crise. Je le déplore. Je veux croire que les assureurs ont eu à cœur de bien faire leur métier. Ils ont consenti à d'importants efforts pour assurer la continuité de leurs services, alors que la mise en place d'une gestion à distance dans de bonnes conditions de sécurité ne s'annonçait pas évidente.
Des positions assez divergentes sont apparues au sein de la grande famille des assureurs, notamment autour des pertes d'exploitation, ce qui a donné lieu à des controverses et qui a alimenté une certaine perplexité du public. Les assureurs ont toutefois, en ordre dispersé, fait preuve d'initiative à l'égard des assurés, par des reports de cotisation, des gels de tarifs ou encore des gestes extracontractuels significatifs. Certains ont même contribué au fonds de soutien aux entreprises, encore que le Gouvernement les y ait fortement incités.
Le bilan établi par les fédérations professionnelles de l'assurance se chiffre en milliards d'euros. Les assureurs ont saisi l'importance de garder la confiance de leurs clients, de leurs adhérents, de leurs sociétaires. J'espère que les péripéties de ces derniers mois appartiennent au passé. Des divergences subsistent toutefois sur des positions de principe. Le débat continuera.
La France s'attache à faire valoir l'importance du soutien de l'économie réelle par les assureurs, en tant qu'investisseurs institutionnels. Force est de constater que la part d'investissement direct des assureurs dans les actions se limite à 7 %. Ce chiffre peut atteindre 17 %, une fois éclairée la nature exacte de certains actifs. C'est peu par rapport au volet obligataire. La sûreté des placements apparaît tout de même comme une exigence, or le prix des actions présente une extrême volatilité. Il y a quand même une rationalité autour de ces règles, même si elles sont contestées.
Une convergence se dessine autour de la légitimité, dans le cadre d'engagements longs, comme ceux de l'assurance vie ou la retraite, à se détacher de la volatilité de court terme des actions. Il faut trouver un ajustement qui permette d'avoir un couple rendement/risque de long terme, qui puisse être favorable en actions, sans être pénalisé par le besoin en fonds propres. Le débat se développe autour de la directive Solvabilité II. Des ajustements ont déjà porté sur les investissements stratégiques, en infrastructures, ou encore adossés à des passifs de long terme. Ils comportent toutefois des conditions très restrictives, qu'il conviendrait d'assouplir de manière significative. En face de passifs illiquides, il apparaît logique de permettre des investissements en actions non pénalisés par un choc de 39 % pour des actions cotées, ou 49 % pour des actions non cotées, pour passer à un choc de 22 %.
La France apparaît assez isolée, quoique soutenue par les Néerlandais. Gardons à l'esprit les principaux enjeux : le choc de taux, les courbes de taux, la correction pour volatilité et la marge pour risque. Les autres sujets, dont les actions, n'occupent pas une place majeure dans les discussions, d'où nos difficultés à les faire émerger, même si nos partenaires ont conscience du poids des actions dans l'économie réelle.
Un débat purement technique porte sur la qualité des données, bien qu'il s'agisse là d'un enjeu crucial. Faute de données valables, il n'est pas possible d'évaluer correctement les provisions techniques, donc les engagements et, partant, la solvabilité. L'ACPR, qui insiste depuis des années sur ce point, a publié, le 11 janvier 2021, une étude sur la prise en compte de l'exigence de qualité des données, qui met en évidence des progrès Le sujet est identifié, et des actuaires, des gestionnaires de risque et des directeurs financiers échangent à ce propos, mais il reste beaucoup à faire en matière de gestion d'entrepôts de données, de traçabilité, de prise en compte correcte des données externes, de contrôles et d'audits. Tout cela est encore perfectible. Nos échanges avec les assureurs se traduisent par des lettres de suivi formelles en vue d'améliorer ces points.
Le sujet dépasse le cadre des modèles internes. Toutefois, lorsque des entreprises y recourent pour évaluer leurs engagements, l'ACPR se montre plus exigeante encore, allant jusqu'à refuser l'approbation de ces modèles internes ou des paramètres propres lorsque les données semblent mal appréhendées, ou jusqu'à exiger une marge en fonds propres supplémentaire pour tenir compte de l'incertitude.
La directive Solvabilité II m'apparaît bel et bien comme un atout, certes exigeant, d'où le débat qui l'entoure. Les Européens font les choses bien, et témoignent de prudence, accentuant ainsi le besoin en fonds propres. À tort ? Je ne le crois pas. Souvenons-nous que, dans les années 1990, au Japon, un sinistre a causé la faillite de dizaines d'assureurs. Il en a coûté 28 milliards d'euros à la puissance publique qui s'est portée à leurs secours. Je mesure, depuis un an, toute la responsabilité du superviseur. La directive Solvabilité II constitue pour l'ACPR un outil puissant de confiance, garant de la solidité des assureurs. La question de la convergence des normes, qui est compliquée et difficile, se pose à l'échelle mondiale : les discussions sont en cours.
Sur l'échéance de la survenue d'un sinistre, j'ai bien réfléchi, et il n'y a pas de solution parfaite. Il faut bien établir une échéance aux modalités de calcul du capital nécessaire pour garantir la solvabilité des assureurs. Le choix d'un horizon d'un an se justifie, car il s'agit d'une échéance normale dans le secteur IARD, correspondant en outre à celle des contrats de réassurance. Les entreprises suivent par ailleurs un rythme annuel dans l'établissement de leur budget et l'arrêt de leurs comptes. Des mesures d'adaptation évitent de toute façon de prendre en compte trop de volatilité. Notons parmi elles l'ajustement de volatilité, ainsi que l' Own Risk and Solvency Assessment (ORSA), qui autorise à évaluer le risque de l'entreprise sur une période plus longue. Plus le marché des actions est haut, plus le choc des actions sera élevé, et inversement. Lors de la crise du printemps, le choc des actions a été diminué de 10 points en raison d'une baisse considérable de l'indice de cotation assistée en continu (CAC). Les adaptations de la directive Solvabilité II s'avèrent insuffisantes, d'où les discussions en cours, en vue de parvenir, entre autres, à une meilleure correction pour volatilité.
De nombreuses mesures devraient permettre aux assureurs de mieux gérer leur passif de long terme en investissant dans des actions. Le modèle de l'assurance vie évolue vers des unités de compte, davantage investies en actions. Le modèle d'épargne proposé au client va favoriser l'investissement dans l'économie réelle.
Concernant l'avenir du fonds euro, il est difficile de dire qu'il n'a pas d'avenir du tout, mais il apparaît certes plus compliqué désormais de s'en remettre au triptyque rentabilité, liquidité, sécurité, sur lequel reposait l'assurance vie classique. L'exigence de sécurité oblige à sacrifier la rentabilité : il faudra un ajustement entre le profil de risque et la rentabilité. Je peine à croire que le besoin de sécurité disparaisse, condamnant du même coup l'avenir des fonds euros. Le devoir de conseil autorise à orienter un épargnant à la situation aisée, investissant à long terme, vers des investissements relativement risqués. En revanche, rien n'empêche de placer une épargne de précaution devant rester disponible à court terme dans des instruments tels que les fonds euros ou leur variante euro-croissance. Un travail reste à fournir sur la sécurité des unités de compte. Des couvertures à terme pourraient garantir la sécurité de tels placements à un horizon de temps donné. Les assurances vie doivent témoigner de créativité et l'ingénierie financière répondre à l'appétence au risque de chaque client.
Les pays du nord de l'Europe, tels que l'Allemagne et les Pays Bas, se montrent très regardants sur la rigueur des raisonnements. Ils récusent, comme la plupart des superviseurs de fonds, un ajustement que n'étayeraient pas des données chiffrées. Un débat porte sur l'impact des mesures envisagées par l'EIOPA selon les marchés. Certains campent sur la défense de leurs intérêts nationaux. Malgré tout, l'ensemble des experts me paraît conscient de la nécessité d'adapter le cadre actuel de Solvabilité II, qui n'est pas viable au vu de la situation actuelle des taux.
La position des États eux-mêmes, sans doute nuancée par rapport à celle des superviseurs, qui se sont déjà exprimés, n'a pas encore été formalisée par les Gouvernements respectifs. Un clivage se dessine entre les pays disposant d'un marché de l'assurance fort et ceux où les compagnies d'assurance se cantonnent à un second rang. Nos positions convergent avec celle des Italiens, des Allemands et des Néerlandais. Nous nous attachons à favoriser un dialogue en vue de faire prévaloir une forme d'intérêt général.
Le rapport rendu à l'été 2020 par le groupe de travail sur le dispositif « catex » (catastrophes exceptionnelles), tant attendu, de couverture des pertes d'exploitation sans dommages, en cas de crise comme celle du Covid, montre la complexité du sujet. Le Gouvernement ne l'a pas jugé mûr en décembre dernier, selon moi pour deux raisons.
D'abord, le système, tel qu'il a été modélisé, impliquait une cotisation de la part des entreprises, modeste mais non négligeable et de fait considérée comme un maximum supportable. Or la couverture offerte en contrepartie s'avérait limitée par rapport aux besoins.
Ensuite, dans quelle mesure les entreprises consentiraient-elles à s'acquitter d'une telle cotisation, dans un contexte de forte sollicitation financière alors même que l'État a finalement assumé l'essentiel de la charge dans la crise actuelle. Sans doute le problème ne pourra-t-il pas se résoudre à chaud. Dans ce cas surgirait en effet la question de l'application du nouveau régime à la crise en cours. Il faudra probablement y revenir à froid et voir si les entreprises consentiraient à payer pour une couverture correcte.
Sur les pertes d'exploitation, une zone d'ombre entoure effectivement 4 % des contrats, lesquels présentent des difficultés d'interprétation. L'ACPR s'est surtout efforcée de dresser un constat de la situation, et a souligné la limite de ses compétences. Le juge civil reste l'arbitre ultime de tout différend quant à l'interprétation d'un contrat. Il faut respecter ce partage des tâches.
L'ACPR a toutefois insisté sur l'importance pour les assureurs de rédiger dorénavant des clauses claires et de bien mesurer la portée des garanties, surtout dans le cas de contrats souscrits via des intermédiaires. L'ACPR œuvre en vue d'une meilleure transparence et d'une bonne exécution des clauses, une fois celles-ci clarifiées. Les procédures judiciaires en cours lèveront éventuellement les ambiguïtés des contrats en vigueur en 2020.
Je n'estime pas le modèle français désavantagé. La directive Solvabilité II, certes exigeante, est reconnue, en termes de norme prudentielle, comme le meilleur standard dans le monde entier, ce qui lui confère une valeur économique. Le Brésil en a d'ailleurs copié les principes de prudence. Ceux-ci garantissent la résilience des assureurs. La confiance dont ils bénéficient grâce à cela constitue pour ces institutions fiduciaires un capital immatériel essentiel. En somme, la directive Solvabilité II fait partie des valeurs immatérielles attachées aux assurances françaises.
La crise ne me semble pas avoir mis en cause la solidité des assureurs français, malgré une baisse du taux de couverture, donc du niveau de fonds propres, de l'ordre de 20 à 25 points. Compte tenu de son niveau d'origine, très confortable, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter.
Je partage l'idée de monsieur Barrot d'une gestion par horizon des assurances vie. Le Gouvernement a promu le système euro-croissance, avec un succès limité, compte tenu du niveau des taux. Il me paraît possible de concevoir des modèles porteurs d'avenir, qui intègrent un bonus, ou en tout cas une sécurité, à une échéance donnée. Certains assureurs le proposent déjà. Reste à voir si la clientèle les comprendra. Le devoir de conseil, le dialogue avec le client, s'avèrent de ce point de vue essentiel.
Il n'entre pas dans les attributions de l'ACPR d'émettre des commentaires sur des institutions en particulier, comme le Crédit suisse. Madame Rabault, je partage votre avis concernant la finance de l'ombre (ou shadow banking ), non régulée, et qui s'est développée, moins en France qu'en Chine et dans le reste du monde. Son évolution, surveillée par les experts, alimente l'inquiétude. Les autorités de régulation, le G7 et le G20, s'en préoccupent régulièrement. Il me paraît important d'avertir le public que ce secteur financier non régulé dissimule des prises de risques considérables, et donc des risques de pertes, et qu'il peut être en lien avec le blanchiment d'argent.
D'aucuns ont prêté aux normes de la directive Solvabilité II un rôle pro-cyclique. Je crois néanmoins avoir démontré l'existence d'éléments d'amortissement contra-cycliques, ayant joué leur rôle lors de la crise. Il n'existe de toute façon pas de système parfait et, objectivement, notre modèle est déjà très sophistiqué. La révision sera l'opportunité d'une optimisation, mais nous ne changerons pas complètement de modèle.
Les taux bas exercent un impact majeur sur les actifs des assureurs et, en particulier, le volume d'obligations qu'ils détiennent. Le taux de rendement des actifs, en un an, a perdu 50 points de base, passant de 2,6 à 2,1 %. Les assureurs détiennent 70 % de placements en obligations. Si les anciennes obligations garantissaient un revenu relativement élevé, parfois supérieur à 3 %, leur renouvellement a entraîné une chute des rendements, certains devenant même négatifs.
La dynamique de rendement des actifs pose un problème majeur en termes de rentabilité, voire de solvabilité à très longue échéance. Un volume considérable, c'est-à-dire un quart des obligations actuellement détenues par les assureurs, arrivera à échéance d'ici trois ans. La décroissance de ce taux de rendement des actifs des assureurs est donc forte, prononcée, et si la situation se maintient, elle sera encore plus sensible. Les compagnies d'assurance vie ont cependant constitué de considérables provisions pour participation aux bénéfices, atteignant 5 % des provisions techniques. Elles disposent ainsi d'une réserve pour les années à venir.
L'ACPR s'est déclarée favorable à la dernière proposition de l'EIOPA, en décembre dernier, qui comprenait notamment le choc des taux. Tel que fixé dans la directive Solvabilité II, à savoir proportionnel à l'écart par rapport à zéro, il apparaît indubitablement insuffisant. Plus le taux est réduit, plus le choc des taux est faible, ce qui constitue un paradoxe absolu. Peut-être que la proposition de l'EIOPA doit évoluer, mais nous ne saurions nous satisfaire de la situation actuelle.
Je pense aussi qu'il faut mieux adapter les normes aux assureurs de petite taille, comme l'a proposé l'EIOPA, qui cherche à exonérer de certaines obligations de la directive Solvabilité II de tout petits acteurs, en augmentant le niveau des primes à partir duquel un assureur est exonéré de 5 millions d'euros à 25 millions d'euros, ainsi qu'en allégeant toutes les contraintes de reporting. Pour ceux qui restent assujettis à la directive Solvabilité II, l'EIOPA propose des mesures d'allègement, de simplification ou encore de proportionnalité. De ce point de vue-là, la suggestion de l'EIOPA de créer une catégorie d'assureurs à faible risque présente un intérêt indéniable, même s'il reste à l'élaborer davantage.
Nous défendons le modèle français de gestion de crise par des plans de rétablissement ou de résolution. Nous l'avons mis en œuvre en France et souhaitons son adoption au niveau européen.
Madame Rubin, je souhaite de tout cœur que les assureurs participent pleinement au financement de l'économie réelle et au redémarrage de la croissance. Ils s'y sont engagés via les prêts participatifs proposés par le Gouvernement, à hauteur de 11 milliards d'euros, et potentiellement de 14 milliards d'euros. Les assureurs ont logiquement saisi l'opportunité d'un système avantageux comportant une garantie partielle de l'État. Le législateur leur a tout de même imparti deux objectifs prioritaires : la protection de la clientèle et la stabilité financière. Il faut leur associer les autres finalités d'intérêt général, telles que le financement de l'économie réelle. Les assureurs doivent faire preuve de transparence dans leur prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), en particulier dans la gestion de leurs investissements, pour aller vers des investissements vertueux. Ils se sont d'ailleurs publiquement engagés à rendre ceux-ci plus compatibles avec l'accord de Paris sur le climat.