Vous serez sûrement surpris de constater que mon propos se placera sur de nombreux points en cohérence avec les opinions du gouverneur de la Banque de France et de l'État français. Les objectifs sont partagés, mais le diable se cache dans les détails – or cette révision comprend de nombreux détails, et de bonnes orientations peuvent se trouver entravées si elles sont appliquées sans toute la rationalité nécessaire.
Les systèmes financiers sont complexes, dématérialisés et enchevêtrés au niveau mondial. Nous avons donc besoin, pour notre propre sécurité, de réglementations. Nous avons besoin de permettre à des organisations de périmétrer et de maîtriser les risques systémiques. Mais ces réglementations ne doivent pas déformer le système voulu par les politiques, ni nous faire adopter les systèmes de financement de l'économie de pays étrangers alors qu'ils ne nous conviennent pas.
Mon propos s'articulera en trois temps. Je présenterai d'abord les concepts et les définitions des termes de mon intervention ; j'aborderai ensuite les réglementations bâloises (au sens de Bâle I) ; enfin, je résumerai nos préconisations de mise en œuvre quant à la finalisation de Bâle III.
Il existe deux grands types de circuits financiers interconnectés qui connectent l'épargne à un besoin de financement. Le premier est le circuit bancaire : les banques accueillent à leur passif de l'épargne individuelle et proposent des crédits à l'économie à leur actif. Ce système d'intermédiation a une valeur ajoutée principale : il assume le risque de transformation, transformation en liquidité car l'épargne est retirable à tout moment, alors que les crédits sont sur le long terme, et sur le risque de taux, qui varient différemment des deux côtés. L'essentiel de la réglementation bâloise porte sur l'activité des banques, soit dans leur bilan, soit dans leur activité sur les marchés traduite dans leur revue fondamentale du trading book (FRTB) que les banques peuvent supporter en termes de risques à un moment donné.
Le second circuit financier est constitué par les marchés, c'est-à-dire par les activités hors bilan des banques. Les marchés relient de l'épargne collective, apportée par des assurances-vies ou des asset managers (SICAV, fonds commun de placement, les unités de compte) au financement de l'économie en général, souvent sous la forme d'achats d'actifs. Ces actifs peuvent être des crédits sortis des bilans des banques et titrisés – cela est surtout le cas aux États-Unis. Aux États-Unis, les crédits peuvent être émis par des banques et pourtant ne pas rester dans leurs bilans et partir sur les marchés sous forme de titrisation. Ce mécanisme a hélas permis la diffusion des subprimes américains, des prêts à des ménages aux revenus insuffisants.
Les Américains ont beaucoup plus recours au marché qu'au bilan des banques. L'essentiel des crédits immobiliers aux États-Unis est ainsi sur les marchés et non dans les bilans des banques, surtout les meilleurs, alors qu'en Europe et notamment en France, les crédits immobiliers restent quasiment totalement dans les bilans des banques. Même si nous le voulions, il nous serait impossible de faire comme les Américains car nous ne disposons pas en France d'organismes publics de type Freddie Mac et Fannie Mae pouvant apporter des garanties pour titriser les crédits sur les marchés. Par nature, nos bilans, toutes choses égales par ailleurs, sont plus lourds. Les crédits immobiliers constituent plus de la moitié du bilan des banques françaises à l'actif.
La réglementation bâloise poursuit deux objectifs. Tout d'abord, elle vise à assurer une solvabilité suffisante aux banques, c'est-à-dire à assurer un montant minimum de fonds propres – ce montant est rapporté aux risques pris, pondérés en fonction de la nature du risque. Ainsi un crédit immobilier est moins pondéré qu'un crédit sans garantie à une entreprise, et un crédit à un État est quasiment pondéré à zéro. Cette solvabilité est faite pour protéger les épargnants individuels : en cas de défaillance de crédits, ce sont bien les fonds propres des banques qui doivent essuyer les pertes et non pas l'épargne individuelle.
En 2008, avant la crise financière, les minima réglementaires se situaient autour de 5 % et les banques françaises étaient en moyenne à 5,8 % à la fin de l'année 2008. Si les chiffres ne sont pas totalement comparables car la réglementation s'est durcie, en 2020, les minima réglementaires des banques françaises de bonne catégorie s'élevaient à 8 ou 9 %. Les minima réglementaires s'obtiennent en additionnant le pilier I (les fonds propres qui se calculent de la même manière pour toutes les banques) et le pilier II (les fonds propres ajoutés à chaque banque par le superviseur). Les banques françaises, à la fin de l'année 2020, atteignent 15,9 %. Nous ne nous situons donc pas dans le même paradigme qu'en 2008, ni en termes d'exigences, ni en termes de satisfaction de cette exigence.
Un deuxième type de risque est le risque relatif aux liquidités. Au passif de nos bilans, l'épargne est retirable à tout instant ; nos crédits ne le sont pas. Le risque systémique qui consiste à ce que le système soit endommagé et que les banques ne se prêtent plus entre elles a structurellement disparu depuis que la Banque centrale européenne est redevenue prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire que si les banques ont un problème de confiance entre elles, elles peuvent aller à la Banque centrale. Depuis 2012 et l'action de Mario Draghi, le risque systémique de liquidités est donc devenu second. Par contre, chaque établissement doit posséder des liquidités suffisantes pour faire face à ses propres risques, dont le montant est réglementé par Bâle. Toute la réglementation bâloise comprend donc un pilier sur la solvabilité et un pilier sur les liquidités.
Je souhaite, pour finir ce premier point, aborder les enjeux politiques très forts des superviseurs et des autorités. Évidemment, le système doit être sécurisé, mais l'on ne peut pas considérer que cela est l'affaire des seuls superviseurs. Cette matière ne peut pas échapper aux politiques selon l'argument qu'elle serait trop complexe : en réalité, elle est faussement complexe. Je vous en ai livré l'essentiel. Si cette matière est devenue complexe, c'est que nous avons à affronter une multitude de détails qui relèvent plus de l'exhaustivité technocratique que de la complexité du système lui-même. Les principes politiques sont très faciles à comprendre.
Il existe au moins trois raisons pour lesquelles l'intervention du politique est indispensable. La première est que le réglage est global. L'on ne peut pas s'attendre, sauf à faire exploser l'économie, à ce que les superviseurs ne fassent qu'accroître la sécurité du système : nos fonds propres sont nécessaires pour accroître notre sécurité, mais aussi pour prendre des risques sur l'économie. La sphère politique doit donc situer le point d'équilibre entre ces deux activités. Aujourd'hui, si vous prenez nos fonds propres (pilier I et pilier II), et que vous ajoutez des quasi-fonds propres, qui viendront automatiquement remplacer nos fonds propres en cas de pertes, alors cela atteint quasiment 20 %. Si on laisse faire le système, ça ne s'arrêtera pas. À un moment donné, au total, il faut déterminer un niveau sécuritaire suffisant, en acceptant que celui-ci ne soit pas absolu, car nous voulons garder des fonds propres pour la prise de risque sur l'économie.
J'en profite pour signaler que la finalisation de Bâle III a été abusivement considérée comme un Bâle IV ; ce n'est pas le cas. L'on ne retrouve pas dans la finalisation de Bâle III l'objectif d'accroître le niveau de sécurité. Il ne s'agit pas d'un Bâle IV mais bien de la finalisation de Bâle III, dont l'objectif premier est de rendre comparables des réglementations qui diffèrent en raison des systèmes propres aux États-Unis et à l'Europe.
La seconde raison tient au fait que la réglementation bâloise, qui pondère les risques en fonction de la nature des financements et du type de clientèle, influence et déforme les modes de financements. En pratique, les prêts participatifs ont disparu en France, alors que les banques en faisaient avant Bâle III. L'État, et cela a pu vous étonner, a dû intervenir pour réinstaurer des prêts participatifs avec une enveloppe de 20 milliards d'euros en sortie de crise, et a été obligé de les bonifier, d'apporter une garantie, et d'accepter que les banques n'en gardent que 10 % dans leurs bilans. Je ne porte pas de jugement sur cette pratique. Il faut comprendre qu'à partir d'un certain niveau, les risques sont exclus de nos bilans. Les prêts participatifs ont été tués par Bâle III. Je n'y mets aucune appréciation ; je cite cet exemple concret car il est signifiant.
De la même façon, avec un tel écart entre les bilans des banques françaises et américaines en matière de crédits immobiliers (70 % du bilan pour certaines banques françaises contre 10 % pour certaines banques américaines), il est certain que si la contrainte porte de plus en plus sur la solvabilité, les crédits immobiliers ne pourront pas durablement rester dans le bilan des banques en France. La pression sera trop forte. Pour l'instant, ces crédits ne s'échappent pas car nous ne savons pas comment les titriser. Mais l'équation ne marche pas : nous ne pouvons pas continuer à exercer sur nos bilans la même pression que les Américains et garder tous les crédits immobiliers dans les bilans. La réglementation peut donc déformer structurellement les voies ou les modes de financements de l'économie.
Enfin et indépendamment de ces grandes déformations, lorsque la pression prudentielle est forte et notamment si la banque est cotée sur les marchés, cette pression se traduit par un centrage opérationnel quotidien sur les clients, les projets et les types de financements les moins risqués. Aller vers les risques centraux coûtera moins de fonds propres. Dans notre vie professionnelle supervisée par certaines autorités, nous sommes amenés à nous justifier si nous avons pris trop de risques ou à prouver que nous ne finançons pas des entreprises mal notées par exemple. Pour présenter de beaux ratios de solvabilité, notre système bancaire évolue de plus en plus vers le risque normal central et a du mal à se tourner vers les risques périphériques, (même si cela ne nous est pas interdit), qui nourrissent le renouvellement de l'économie et sont plutôt investis par le shadow banking au sens large du terme.
Vous pensez certainement que tout ceci est une affaire de lobbying des banques – cela est vrai, mais ma conviction est que les banques s'adapteront. Quelle que soit la formule de Bâle III retenue, les banques l'adopteront. Mais vous pourrez entre-temps avoir induit des modifications globales sur le type de financements ou les niveaux de risque. L'alerte est la suivante : si nous sommes convaincus que nous devons adopter les mêmes règles du jeu partout dans le monde, alors nous aurons partout les mêmes systèmes.
Nous finalisons actuellement la version III de la réglementation bâloise. Nous parlons aujourd'hui très peu de la première version : elle présentait un ratio Cooke très fruste et proposait des modèles standards, donc un crédit immobilier était pondéré de la même manière quelle que soit la banque qui le proposait – cela n'a pas vécu très longtemps. Nous avons estimé qu'il fallait évoluer vers des solutions plus sophistiquées.
Au début des années 2000 est arrivé Bâle II. Cet accord offre la prime aux modèles internes, qui sont beaucoup plus fins et statistiquement beaucoup plus proches de nos réalités. Nous avons le droit de pondérer nos risques selon le track record qui prouve statistiquement la réalité de notre niveau de risque selon le type de crédit, le type de clientèle et les pertes passées. Nous avons été amenés à investir lourdement sur ces modèles internes. Ces modèles sont sensibles au risque et entraînent dans un cercle vertueux : plus l'on maîtrise les risques dans le temps, plus l'on en retire des bénéfices avec une moindre exigence en matière de solvabilité.
La finalisation de Bâle III est une tentative de ne plus appliquer les modèles internes que les Américains n'ont jamais appliqués. Cela constitue a minima un énorme recul sur dix ans de réglementation en Europe. Les banques ont été invitées à investir plusieurs milliards d'euros dans la mise en place de Bâle II ; ces modèles internes sont en permanence validés ou invalidés par les autorités. Dans le contexte post-2008, Bâle III est la version plus lourde et plus coûteuse de Bâle II, où l'on demande plus de solvabilité et plus de liquidité, mais qui ne remet pas en cause les modèles internes développés depuis les années 2000.
Puis intervient la finalisation de Bâle III. Il ne convient pas de l'appeler Bâle IV car il ne s'agit pas, ni politiquement ni techniquement, de conclure un nouvel accord. L'objectif est d'atteindre un compromis. L'accord final est un accord de méthode pour rendre plus comparables deux systèmes qui sont et qui resteront différents, d'évaluation de la solvabilité, le système américain et le nôtre. Aujourd'hui, nos deux systèmes diffèrent. Un exemple : Bâle III calibre le pilier I, soit un minimum de solvabilité à respecter autour de 7 %, avec des calculs qui sont les mêmes pour tous. Aux États-Unis, à l'exception de quelques stress tests, c'est tout. L'Europe a un pilier II en plus : chaque année, le SSM analyse nos bilans et nous ajoutent des exigences en fonds propres. Nous avons également des stress tests de temps en temps. Non seulement les États-Unis n'ont pas aujourd'hui de pilier II, mais demain ils ne l'auront toujours pas. C'est important de le souligner lorsque l'on compare les deux systèmes.
Depuis le départ, l'objectif est la comparabilité. Les autorités de supervision ont toujours affirmé que le capital dans les banques européennes était suffisant. Trois éléments en attestant, chacun partiellement. D'abord, notre résistance à la crise, même si elle est relative, car ce sont plutôt les États qui prennent en charge les risques sur l'économie aujourd'hui, mais nous avons quand même vu à quel point notre système de risque était resté stable, et à quel point nous avons pu intervenir pour soutenir l'économie. Nos stress tests sont parfaitement respectés. Dans le processus de révision des modèles internes appelé TRIM ( targeted review of internal models ), il a souvent été dit que le mécanisme de supervision unique (SSM, single supervisory mechanism ) a conduit depuis plusieurs années à durcir les modèles internes. Cela a pris la forme d'une hausse de 3 % sur les risques pondérés. Notre superviseur ne rajoute donc que 3 % là où Bâle III rajoute 20 % pour des raisons de comparaison. Les autorités ont dès le départ accepté une finalisation de Bâle III à la condition de ne pas augmenter de façon significative le capital en Europe, car la nature de cet exercice ne justifie en aucun cas d'y consacrer de grandes quantités de fonds propres supplémentaires.
J'en termine avec les préconisations quant à la finalisation de Bâle III. Avec l'accord de compromis, nous acceptons de de limiter les bénéfices des modèles internes. Nous utilisons pour cela le terme anglais d' output floor. Ainsi, si je suis pesé à 100 avec un modèle standard, et que je pèse en réalité 38 avec mon modèle interne, j'aurais droit au mieux à 72. L' output floor, qui rentrera en vigueur progressivement, limite le bénéfice de mon modèle interne.
Cela réinterroge sur les modèles standards appliqués dans le monde. Ces modèles standards, qui deviennent la base de calcul, posent des problèmes de non-compatibilité ou de non-cohérence totale avec les vraies natures du risque en Europe. À titre d'exemple, le modèle standard des crédits immobiliers est calculé sur la base des mortgages américains qui n'existent pas en Europe. Dans sa nature et sa structure juridique, le crédit immobilier français est beaucoup moins risqué que le mortgage américain, qui fonctionne sur une philosophie différente (je prête sur la valeur du gage), et pourtant le taux de 72 % s'applique uniformément. La limitation du bénéfice de nos modèles internes nous est défavorable ; en plus, celle-ci se fait en référence à des modèles standards qui ne sont pas cohérents avec les risques qui découlent de nos types de crédits en Europe.
Les petites et moyennes entreprises (PME) non notées sont rares aux États-Unis, car il y a une tradition de notation généralisée ; elles sont plus nombreuses chez nous. Par définition, le modèle standard international – c'est-à-dire américain – surpondère en risques les petites entreprises non notées. Si nous l'appliquons tel quel, nous allons massacrer l'appréciation du risque chez les PME non notées. Je rappelle que la déclaration de l'accord de finalisation de Bâle III a clairement énoncé plusieurs conditions, dont le fait que la transposition devait d'abord s'accompagner d'une adaptation à la réalité des risques européens.
La finalisation de Bâle III consiste essentiellement en la limitation des bénéfices des modèles internes. Il y a une erreur d'optique : les Américains jouent sur le fait qu'ils seraient plus prudents en appliquant le modèle standard que nous qui appliquons des modèles internes – cela est arithmétiquement faux. Les Américains utilisent massivement les marchés pour titriser leurs crédits ; ainsi, l'application du modèle standard sur des crédits de moins bonne qualité est plus favorable que s'ils devaient appliquer nos modèles internes sur l'ensemble de leurs crédits. Cela est un leurre : dès lors que vous n'appliquez le modèle standard que sur les plus mauvais crédits, le modèle standard est nécessairement plus avantageux pour eux, que pour nous qui appliquons ce modèle sur l'ensemble de nos crédits.
Le modèle standard des États-Unis n'est pas le modèle standard européen : il est 30 % moins coûteux en risques pour deux raisons. En matière d'évaluation de la solvabilité d'abord, les Américains n'ont pas l'équivalent des fonds propres à mettre en œuvre pour le risque opérationnel. Ensuite, ils n'ont pas le risque CVA ( credit value adjustment ) que nous rajoutons en Europe sur les contreparties sur les opérations de marché. Les Américains jouent donc les plus raisonnables en appliquant le modèle standard, mais ils l'appliquent sur les plus mauvais crédits d'une part, et ils ne l'appliquent pas sur les risques opérationnels ni sur les CVA d'autre part. Toutes choses égales par ailleurs, le modèle standard aux États-Unis fait donc 70 quand il fait 100 en Europe.
Nous estimons aujourd'hui que l'application la plus directe de Bâle III créerait au moins 20 % de risques pondérés supplémentaires pour les banques françaises, ce qui représente 70 milliards d'euros de fonds propres qui devront être mobilisés, alors que leurs fonds propres s'élèvent à 400 milliards d'euros aujourd'hui. Ces fonds propres supplémentaires correspondent, avec un rapport de 1 à 15, à 1 000 milliards d'euros de crédits à l'économie en encours qui ne pourront pas être produits par le système bancaire français – cela équivaut à l'encours bancaire actuel des crédits aux entreprises en France. C'est un écart considérable. Au niveau européen, sur 1 600 milliards de fonds propres des banques européennes, c'est un impact de 320 milliards d'euros supplémentaires. Cet impact de + 20 % est de -0,3 % aux États-Unis. À mes yeux, l'argument selon lequel les Européens ne devraient appliquer Bâle III que si les Américains le font est un marché de dupes. La finalisation de Bâle III ne cause aucune gêne ni aucun impact aux Américains.
Ces chiffres ne sont pas consensuels. L'autorité bancaire européenne (ABE) a communiqué sur le manque de fonds propres à l'application de Bâle III : il s'élèverait à 30 ou 40 milliards d'euros, car l'ABE ne parle que des fonds propres qui manqueraient vraiment, en-deçà des minima réglementaires, après la finalisation de Bâle III. Si l'on considère les impacts de consommation des fonds propres, ces chiffres sont multipliés par dix et équivalent à environ 300 milliards d'euros. La vraie évaluation, honnête intellectuellement, de la finalisation Bâle III est l'impact en consommation de fonds propres. Cela constitue le premier biais qui cache l'impact global de Bâle III.
Le deuxième biais réside dans le piège du calendrier : comme toutes ces mesures peuvent être mises en œuvre progressivement jusqu'à 2028, le poison paraît plus acceptable à avaler. Mais les marchés ne se trompent jamais : même si nous avons 7 ans pour mettre en œuvre l'accord, les marchés nous demanderont demain l'assimilation sur 2028, et si nous ne pouvons pas prouver que nous sommes à l'aise, nous nous ferons immédiatement sanctionner.
Pour conclure, nous formulons quatre préconisations. Celles-ci sont en ligne avec les positions du gouverneur et avec la méthode proposée par le gouvernement.
Nous préconisons tout d'abord que vous commandiez une réévaluation des impacts. Il n'y a pas d'urgence à prendre de tels risques face à une échéance fixée en 2028. De plus, la crise apportera sûrement un regard nouveau sur les vrais risques dans l'économie post-COVID. Demander une réévaluation d'impact est nécessaire et légitime.
La deuxième préconisation est de suivre le compromis franco-allemand qui invite à l'application de Bâle III sous la forme du parallel stack. Le parallel stack constitue la bonne et logique façon d'appliquer la finalisation de Bâle III dans un esprit de comparabilité et non pas d'alignement imbécile sur les Américains. Appliquer l' output floor sur les deux piliers, c'est la double peine. Le parallel stack consiste au contraire à appliquer les modèles internes sur les piliers I et II et à demander aux banques supervisées de calculer en parallèle ce que donneraient leurs piliers I selon la méthode de Bâle III et l' output floor ; si ce pilier I auquel a été appliqué l' output floor apporte davantage d'exigence que nos piliers I et II européens, alors il convient d'ajouter des fonds propres. Si tel n'est pas le cas, nous n'ajoutons rien. Cela n'est pas un compromis. Au contraire, c'est la logique même de la commande : les systèmes sont différents et ils vont le rester, il faut donc rendre les choses comparables et non pas s'aligner.
À ce sujet, nous sommes en désaccord total avec les propos du SSM et de certains commissaires européens selon lesquels la conformité totale à Bâle III revient à appliquer telles quelles toutes les définitions de l'accord. Cela constitue une double pleine inutile pour les systèmes européens et français.
La troisième préconisation est que l' output floor soit calculé pour les groupes bancaires au niveau le plus consolidé. Si tel n'était pas le cas, cela créerait un biais terrible, à l'intérieur de la France, entre les banques globales, qui devront le calculer une seule fois, et les groupes bancaires, souvent coopératifs et mutualistes, qui devront le calculer plusieurs fois, à toutes les couches de leurs organisations. Il serait d'ailleurs souhaitable que ce calcul soit consolidé au niveau de la zone euro, même si ce combat semble perdu d'avance
Il faut enfin, comme le gouverneur l'a souhaité et comme la Commission européenne semblait s'y être engagée, adapter les modèles standards à la réalité des risques : pour le crédit immobilier dans sa version européenne, mais aussi pour les financements d'actifs et pour les entreprises non notées, non pas parce qu'elles sont plus faibles chez nous, mais parce que l'absence de cotation ne signifie pas la même chose en Europe qu'aux États-Unis. S'agissant de la FRTB, l'application de Bâle III sur les risques de marché, les choses sont comparables entre les Américains et nous ; mais nous sommes très inquiets quant à la capacité fédérale américaine à retirer la FRTB si celle-ci leur est trop coûteuse. Le système européen ne permet pas une telle chose une fois les directives mises en place et transposées.