Intervention de Dominique David

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique David, rapporteure spéciale (Création ; transmission des savoirs et démocratisation de la culture) :

Enfin, nous y sommes ! Les rideaux de nos théâtres, de nos opéras, se sont levés ; les portes de nos musées et de nos galeries se sont rouvertes. Nous espérons tous que, plus jamais, nous ne serons éloignés aussi longtemps de la culture. Cette réouverture, nous la devons à l'ensemble des professionnels de la culture qui ont su faire preuve de résilience tout au long des années 2020 et 2021, mais nous la devons surtout aux multiples dispositifs d'aide mis en place par l'État. Ce soutien à la culture est sans équivalent en Europe : 5 milliards d'euros d'aides transversales pour le secteur, l'année blanche pour les intermittents du spectacle à hauteur de près d'un milliard d'euros et de multiples aides sectorielles.

Concernant le programme 131, dédié à la création dans le spectacle vivant et les arts visuels, le dépassement de l'enveloppe prévue en loi de finances initiale n'est que de 74 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une sur-exécution de 9 %. Les dispositifs d'aide mis en place n'en ont pas pour autant été moins utiles. Ainsi, le fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle (FUSSAT) a bénéficié à plus de 10 000 artistes et techniciens du spectacle ; 500 théâtres, 370 entrepreneurs de spectacles, 150 compagnies ont été soutenus par l'association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) ; 400 festivals ont été soutenus par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), le fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS) ayant pleinement joué son rôle. En un mot, le monde de la culture a été maintenu à flot. Au regard du caractère inédit de la crise, l'engagement des agents et des opérateurs du ministère de la culture, qui ont su répondre présent, dans des conditions de travail souvent très dégradées, est à saluer.

Cela n'empêche pas de poser des questions. J'ai bien conscience que les différents dispositifs ont été conçus et mis en place au fil de l'eau, dans l'urgence, sans toujours avoir le recul nécessaire pour les optimiser, mais je m'étonne de la multiplication des organismes payeurs. Si le ministère y a gagné en souplesse et en efficacité, il semble y avoir perdu en capacité de pilotage d'ensemble. Ainsi, il arrivait parfois qu'une différence d'un à dix apparaisse entre le calcul des aides de compensation de billetterie de l'ASTP et celui du centre national de la musique (CNM), ce qui a conduit certaines salles à privilégier une esthétique relevant du champ du CNM plutôt qu'une création théâtrale, lors de la reprise.

On s'est également rendu compte que les DRAC ne connaissaient pas toujours très bien le modèle économique des principales scènes qu'elles subventionnent, en particulier leur niveau de charges ou de recettes. La crise ne doit-elle pas nous offrir l'occasion de renforcer ce suivi financier ?

Concernant le programme 224, qui comprend les dépenses de fonctionnement du ministère et les dépenses de l'enseignement supérieur et de l'éducation artistique et culturelle, on constate une légère sous-exécution de 15 millions d'euros en crédits de paiement en 2020, du fait notamment de retard dans les recrutements. Je souhaite, comme l'a rappelé la Cour des comptes, que le ministère soit en mesure de connaître plus précisément le plafond d'emplois de ses opérateurs, notamment les établissements supérieurs de la culture.

Pour ce qui concerne les dépenses de l'éducation artistique et culturelle, le pass culture a été exécuté en 2020 à hauteur de 25 millions d'euros contre 39 millions prévus en loi de finances initiale, ce qui n'a rien d'anormal puisque la crise sanitaire a conduit à reporter en 2021 son élargissement à l'ensemble du territoire. Je m'en réjouis et je salue l'engagement du Président de la République qui en avait fait une promesse de campagne. Je connais les doutes de mes collègues, y compris au sein de cette commission, mais le pass culture est un outil formidable au service de la relance.

D'abord, il permettra de promouvoir l'offre culturelle des territoires. Prenons l'exemple de la métropole bordelaise dont je suis élue. Il n'existe aucune vitrine qui répertorie l'ensemble des spectacles, concerts, expositions. Il faut être initié pour obtenir l'information ! Pour amener vers la culture de nouveaux publics, il convient au moins de les informer de l'ensemble des offres, ce que le portail du pass culture permettra. Il favorisera, ensuite, les échanges, la co-construction de projets et les partenariats avec les acteurs de la culture. Peut-être, un jour, sera-t-il le moyen de réfléchir à l'aménagement culturel du territoire, en prenant en compte tous les acteurs. À la faveur de la crise, les professionnels se sont structurés et regroupés ; ils ont des idées, offrons-leur la possibilité de se parler.

Enfin, l'été culturel a été une réussite. Il a bénéficié du redéploiement des crédits du pass culture à hauteur de 20 millions d'euros. Pas moins de 8 000 artistes ont été réunis pour plus d'un million de personnes touchées, notamment dans les quartiers populaires. L'été 2021 sera-t-il à nouveau culturel dans nos quartiers ?

Le soutien public de crise apporté aux opérateurs nationaux du programme 131 constitue la thématique de mon rapport. Les opérateurs nationaux de la création ont subi, comme tout le monde, les fermetures, mais pour la plupart d'entre eux, celles-ci ont permis d'améliorer sensiblement leur niveau de trésorerie et de fonds de roulement. En effet, la subvention pour charges de service public couvre souvent les charges fixes – le théâtre en ordre de marche. Pendant la crise, ces opérateurs, qui n'ont pas engagé de dépenses artistiques, se portent donc plutôt mieux. Certains pourraient, dès lors, s'étonner que des aides supplémentaires, même minimes – 13 millions d'euros en 2020 –, aient été apportées en gestion à certains de ces opérateurs, comme le théâtre national de l'Opéra-comique ou le théâtre national de Chaillot. En réalité, ces aides ont été apportées durant l'été, alors que le deuxième confinement ne pouvait pas être anticipé. Par ailleurs, une part de la trésorerie accumulée est d'ores et déjà fléchée vers des dépenses d'investissement qui n'ont pu être réalisées en 2020, ce qui est vertueux. Enfin, les dépenses artistiques ont été reportées du fait de l'annulation des spectacles et les marge de manœuvre dégagées doivent permettre de relancer l'activité artistique en 2021.

La situation est différente pour les établissements qui dépendent surtout de recettes propres et dont la situation s'est dégradée. C'est le cas pour la Philharmonie, la Comédie-Française et, surtout, l'Opéra national de Paris, dont les finances sont exsangues. L'aide du Plan de relance accordé à l'Opéra en 2021 a seulement permis de combler le déficit de 2020, la perte nette étant estimée à plus de 40 millions. C'est, fort heureusement, le seul opérateur pour lequel l'aide du Plan de relance a servi à solder le déficit de 2020. L'établissement devra donc être à nouveau aidé en 2021, sans doute dès la loi de finances rectificative.

De ce travail de suivi, je tire quatre conclusions. L'exemple de l'opéra Bastille rappelle que le modèle économique de certains opérateurs est de moins en moins viable alors que demain, en sortie de crise, il faudra maîtriser, voire réduire, la dépense publique. Des réformes sans doute difficiles devront être conduites. La crise doit être l'occasion d'amorcer la réflexion. Je suis impatiente de lire les conclusions du rapport de Caroline Sonrier sur l'art lyrique en France et celui de Georges-François Hirsch et Christophe Tardieu sur l'Opéra de Paris.

Le pilotage financier de la direction générale de la création artistique (DGCA) peut être encore renforcé, même si le dialogue avec les autorités budgétaires a été sensiblement amélioré ces derniers mois. La DGCA doit avoir une vision actualisée et la plus précise possible de la situation financière de ses opérateurs.

Enfin, je constate que l'on répond aujourd'hui aux difficultés de trésorerie d'un opérateur par une subvention pour charges de service public. Or la subvention couvre un besoin de financement structurel, pas des difficultés temporaires. On me répondra que le montant des subventions peut être modulé d'une année sur l'autre mais on sait que, dans les faits, ce mécanisme est quasiment irréalisable. L'État devrait pouvoir aider des opérateurs à court terme sans en passer par l'attribution d'une subvention.

Enfin, le ministère de la culture doit se doter d'une loi de programmation pluriannuelle concernant ces investissements. Les projets sont nombreux et nécessiteront des décaissements importants dans les prochaines années. Il est indispensable de les anticiper et de disposer d'une visibilité sur la trajectoire d'investissements.

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