Le programme 175 Patrimoines a connu un curieux taux d'exécution de 114 %. C'est pour partie la conséquence du rattachement du fonds de concours lié à la souscription nationale pour la cathédrale Notre-Dame. Les travaux de sécurisation se terminent. Ils se sont déroulés correctement, avec des marchés de gré à gré, sans mise en concurrence. Nous entrons à présent dans une phase différente, celle de la restauration, qui nécessitera de passer 135 marchés publics. Nous devrons suivre tout particulièrement le déroulement des opérations. Nous devrons être très attentifs à la maîtrise d'ouvrage qu'exerce l'établissement public. Il ne doit pas être contraint, du fait d'une insuffisance d'effectifs éventuelle, à multiplier les contrats externes d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Par ailleurs, nous devrons prendre garde à la relation entre la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'œuvre, qui présente la particularité d'être une maîtrise d'œuvre imposée, composée de trois architectes en chef des monuments historiques. Tout en maintenant l'unicité de la maîtrise d'œuvre, il faudra la doter de compétences qui dépassent celles des chantiers habituels des monuments historiques, par exemple avec des prestations d'ordonnancement, de pilotage et de coordination. Ce chantier est très médiatisé et nous ne pourrons pas nous permettre le moindre déboire.
Je voudrais également faire une observation concernant la restauration des monuments historiques, et la part croissante que les grands projets occupent dans les crédits du programme. Nous avons abondamment parlé du Grand Palais à l'automne dernier. Les deux principales difficultés tiennent au calendrier et aux risques de dépassement budgétaire. À cet égard, j'appelle votre attention sur le projet présidentiel de restauration du château de Villers-Cotterêts. Son coût total a été révisé en hausse de 68 % avec un complément de 100 millions d'euros du Plan de relance en 2021 et 2022. Comme l'an passé, la Cour des comptes s'interroge sur la programmation des grands travaux. Elle relève que les calendriers des schémas directeurs de travaux n'ont pas été réévalués en 2020 malgré la crise sanitaire et estime que certaines échéances apparaissent irréalistes.
Inversement, hors grands projets, la consommation des crédits pour monuments historiques diminue par rapport à la programmation. Comme en 2019, la sous-consommation affecte entièrement les subventions pour les monuments historiques n'appartenant pas à l'État, c'est-à-dire les propriétaires privés et les collectivités locales, qui sont pourtant propriétaires de 97 % des 45 000 immeubles classés ou inscrits en France. Les crédits augmentent mais ils sont sous-consommés, du fait de difficultés structurelles et non pas seulement en raison de la crise sanitaire.
Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel alertait ainsi sur l'insuffisance des budgets opérationnels de programme déconcentrés. Il y a bel et bien un biais budgétaire en défaveur des crédits de titre 6, les subventions déconcentrées dans les DRAC, ce qui occasionne des redéploiements vers les dépenses de titre 5 ou de titre 7, des investissements de l'État dans son propre patrimoine, directement ou par l'intermédiaire des opérateurs. De nombreuses DRAC ont d'autant plus de difficultés à traiter les dossiers que leurs services subissent des vacances de postes importantes et récurrentes. Elles ne peuvent plus, en particulier, délivrer leurs conseils aux petites communes, où se trouvent la moitié des monuments historiques.
Vous avez la chance, dans ce ministère, de disposer de services extérieurs extraordinaires. Avec la quasi-disparition de l'expertise déconcentrée de l'État dans les domaines de l'équipement, ce sont vos services déconcentrés, les DRAC, qui disposent de l'expertise dans le domaine de l'urbanisme, de l'architecture, du traitement de l'espace public, de la qualité du mobilier urbain. Vous êtes une femme de culture, vous savez à quel point ce sont des aspects essentiels à la mise en valeur du patrimoine, et vos services, les DRAC, peuvent dispenser les meilleurs conseils en la matière.
Beaucoup de postes sont vacants alors qu'il faudrait les renforcer. Je peux donner en exemple une demande de permis de construire à proximité d'un monument classé. L'architecte des bâtiments de France (ABF), en congé maladie, n'ayant pas été remplacé, la DRAC n'a pas donné d'avis, lequel a été réputé favorable ! Quelles sont vos marges de manœuvre pour renforcer ces services extérieurs, dont le travail est d'une importance exceptionnelle ?
S'agissant des dépenses fiscales rattachées au programme, les documents budgétaires présentent, depuis l'automne dernier, une forte révision à la baisse du chiffrage des deux principaux dispositifs pour les propriétaires privés : l'imputation des déficits fonciers sur le revenu global, sans limitation de montant, et la déduction des charges foncières, dont le coût total passerait de 102 à 45 millions. Pour quelle raison ? Je suggère d'identifier spécifiquement les charges foncières liées aux monuments historiques dans les formulaires de déclaration d'impôt sur le revenu.
J'en viens aux grands établissements muséaux et patrimoniaux, dont la fréquentation a chuté de 71 % en 2020 ! C'est particulièrement dramatique pour des établissements comme Versailles ou le musée du Louvre, essentiellement visités par des touristes étrangers. Les pertes budgétaires totales s'élèvent à 300 millions d'euros en 2020, ces établissements n'ayant réalisé que de faibles économies puisqu'ils n'étaient pas éligibles au régime de l'activité partielle.
Ce premier choc budgétaire a été absorbé grâce à un soutien d'urgence de 40 millions, en 2020, mais surtout par les fonds de roulement des établissements. Or ces fonds sont surtout prévus pour programmer des travaux ultérieurs. C'est particulièrement vrai pour le musée du Louvre ou de Versailles. Pour 2021, plus de 300 millions d'euros du Plan de relance devaient permettre de reconstituer des marges de manœuvre, mais cela est annihilé par le deuxième confinement qui a représenté six mois de fermeture supplémentaire et conduira, quoi qu'il advienne dans les prochains mois, à une baisse de la fréquentation supérieure en 2021 à celle de 2020. Avez-vous prévu d'ouvrir des crédits à ce titre dès la prochaine loi de finances rectificative ?
Je dirai un dernier mot sur le pilotage de ces grands établissements, la gouvernance et le financement. Heureusement, il n'y a plus d'intérim au Louvre puisque le successeur vient d'être nommé. Au château de Versailles, Catherine Pégard arrive au terme de son mandat. Un appel à candidature a été lancé au Centre Pompidou. J'avoue ne pas comprendre : certaines nominations, comme au Louvre, se font de gré à gré, comme s'il s'agissait du fait du prince ; d'autres se font après un appel à candidatures, comme pour le Centre Pompidou. Y aura-t-il un appel à candidature pour assurer la succession de Laurence des Cars, à Orsay ? Il serait souhaitable de définir clairement les modalités de désignation.
Par ailleurs, ces établissements, encouragés par le ministère, ont développé des ressources propres, grâce à la billetterie mais aussi au mécénat. Laurence des Cars, tout comme son prédécesseur, ont réalisé un travail formidable à Orsay, qui a permis d'attirer des mécènes américains. À Versailles, le mécénat d'une fondation suisse a permis de restaurer la chapelle royale. L'accord international avec les Émirats arabes unis pour le Louvre Abou Dhabi apporte près d'un milliard d'euros sur la durée du partenariat. Hélas, ces financements trouvent leur limite dans certaines circonstances, comme la crise sanitaire qui nous frappe. Il faut soutenir, au moins temporairement, ces grands établissements, sinon nous devrons compenser par des crédits budgétaires leurs dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement, destinées à financer la restauration ou l'acquisition d'œuvres d'art seront reportées, ce que nous devons éviter. Je vous propose, une fois encore, d'autoriser ces grands établissements patrimoniaux, à emprunter. L'exemple de l'hôtel de la Marine montre que cette solution peut se révéler efficace.
Enfin, je tiens à remercier vos services, en particulier la direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA), et son nouveau directeur.