Intervention de Julien Aubert

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 16h45
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, rapporteur spécial (Énergie, climat et après-mines ; Service public de l'énergie ; Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ; Transition énergétique) :

Je vous présenterai quelques éléments sur l'exécution budgétaire 2020 des crédits de l'énergie, avant de vous rendre compte des résultats de l'évaluation que j'ai menée sur la politique publique d'élimination des équipements au fioul.

Les crédits en question sont ceux du programme 174 Énergie, climat et après-mines, du programme 345 Service public de l'énergie et des comptes d'affectation spéciale Transition énergétique et Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale.

En 2020, l'exécution de ces postes budgétaires s'est établie à 12,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 12,8 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des montants supérieurs de 7 % et 9 % aux crédits ouverts par la loi de finances initiale. Cette sur-exécution s'explique largement, mais pas uniquement, par les effets de la crise sanitaire : si la plupart des dépenses supplémentaires engagées sont imputables au contexte, d'autres n'y sont pas rattachées. L'exécution 2020 de ces crédits de l'énergie est sincère.

J'en viens à l'évaluation des résultats de la politique d'élimination des équipements au fioul.

Le 14 novembre 2018, le Premier ministre a fixé un objectif d'élimination du chauffage au fioul individuel en France sous dix ans, c'est-à-dire d'ici 2029. L'orientation proposée fait consensus puisqu'elle permettrait de réels gains de CO2, réduirait la facture énergétique de certains de nos concitoyens et limiterait nos importations pétrolières. Je partage cet objectif et rappelle qu'en novembre 2018, j'avais signé une tribune dans la presse appelant à la création d'une « prime à la casse des vieilles chaudières ».

Le fioul constitue la troisième énergie de chauffage en France. Cette énergie, polluante mais confortable, chauffe encore 3,5 millions de logements, dont 3 millions de maisons individuelles très largement situées dans les territoires ruraux. On se chauffe plus au fioul dans le Vaucluse ou dans la Somme qu'à Paris.

Un décret en cours de publication devrait déterminer un nouveau cadre juridique interdisant l'installation de chaudières excédant un certain seuil d'émissions de CO2 dans les bâtiments neufs, à compter du 1er juillet 2021, et dans les bâtiments existants, à compter du 1er janvier 2022. En pratique, ce seuil concerne les chaudières au fioul 100 % fossile et les rares appareils au charbon encore en fonctionnement. Après cette date, il sera toujours possible de faire réparer une chaudière existante, mais on ne pourra plus la remplacer par une autre chaudière au fioul neuve.

L'objectif initial de « zéro fioul » d'ici à 2029 a par ailleurs été atténué. Le projet de décret précité prévoit deux exceptions permettant à nos concitoyens d'installer une chaudière au fioul neuve dans un bâtiment existant après 2022. Par ailleurs, le projet de décret ne ferme pas la porte à la commercialisation d'un biofioul qui ne serait pas 100 % fossile.

La politique engagée par le Gouvernement repose sur des instruments budgétaires et non budgétaires. Dans le budget de l'État, MaPrimeRénov', le programme Habiter mieux sérénité et le taux de TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation soutiennent la politique d'élimination des équipements au fioul, mais pour un montant malheureusement non connu avec précision.

Hors du budget de l'État, les certificats d'économies d'énergie (CEE) sont également sollicités et figurent au premier rang de la politique engagée au moyen de la prime Coup de pouce chauffage. Ces différentes aides sont cumulables et substantielles et peuvent représenter jusqu'à 90 % du coût d'installation d'une pompe à chaleur ou d'une chaudière biomasse. Elles sont nécessaires puisqu'il en coûte près de 12 000 euros pour faire déposer une chaudière au fioul et installer une pompe à chaleur et environ 18 000 euros pour une chaudière biomasse.

Le coût de ces aides ne peut pas être déterminé avec précision. Cependant, en retenant un taux d'aide moyen de 50 %, la dépense totale peut être évaluée à 1,65 milliard d'euros d'ici 2029. L'essentiel de cette dépense reposerait sur le dispositif des certificats d'économies d'énergie.

La politique engagée a donné de premiers résultats. Nous sommes passés de 75 000 à 150 000 chaudières au fioul retirées par an. Cependant, pour atteindre l'objectif en 2029, il faudrait passer au rythme de 300 000 retraits par an. Pour accélérer la cadence, le Gouvernement a prévu de muscler son dispositif.

Cependant, je crains que l'objectif fixé soit hors d'atteinte. La politique engagée présente effectivement des faiblesses importantes, de sorte que le « grand soir » du fioul ne sera pas pour 2029. Sur le papier, tout fonctionne, mais en pratique, la réalité peut être rude, comme je l'ai bien vu lors d'une journée d'auditions et d'un sondage électronique organisés dans ma circonscription avec des usagers et des entreprises concernés par cette évolution.

Curieusement, le ministère m'a ainsi indiqué ne pas avoir étudié le profil sociologique des propriétaires de chaudières au fioul. Il aurait pourtant dû le faire, puisqu'il aurait appris, comme me l'a indiqué l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), que plus d'un quart des propriétaires de chaudières au fioul sont âgés de plus de 75 ans. Or au-delà cet âge, on ne remplace le plus souvent sa chaudière que si elle tombe définitivement en panne.

Deuxième faiblesse, la composition du parc : plus de 500 000 chaudières neuves ont été installées ces dix dernières années, et la durée de vie d'une chaudière fioul est au minimum de vingt-cinq ans.

Dans ces conditions, une partie importante de la population ne remplacera pas sa chaudière. Pourquoi le faire si vous êtes âgé, que votre chaudière fonctionne bien et que, comme c'est le cas depuis deux ans, le prix du fioul baisse ?

La politique engagée comporte d'autres faiblesses. Par exemple, le périmètre de MaPrimeRénov' ne coïncide pas avec celui des certificats d'économies d'énergie. Un senior qui a préparé sa succession dans le cadre d'une société civile immobilière peut prétendre aux certificats d'économies d'énergie mais pas à MaPrimeRénov', ce qui n'est pas logique.

Au regard de ces différents éléments, l'objectif de 2029 me paraît hors d'atteinte. Il serait donc sage de reporter cette échéance d'au moins cinq ans.

Par ailleurs, à mon sens, la politique engagée est mal perçue. En janvier 2021, le magazine Que choisir a publié une enquête sur l'interdiction des équipements au fioul qui a suscité « une déferlante de messages » critiques. Les résultats du sondage que j'ai effectué dans mon département confirment cette impression. En effet, 228 personnes ont répondu en dix jours. Plus des trois quarts des répondants n'étaient pas satisfaits des annonces du Gouvernement et, parmi les répondants possédant une chaudière, plus de huit sur dix ont indiqué vouloir garder ce matériel aussi longtemps qu'il fonctionnerait.

Un autre élément d'insatisfaction concerne l'absence d'attention suffisante portée à la question industrielle. On est en train de refaire pour le fioul ce qu'on a fait avec les éoliennes terrestres, c'est-à-dire subventionner l'importation d'équipements étrangers sans créer d'industrie en France. Il n'existe que très peu de sites français de production de chaudières ou de poêles à bois. J'appelle donc le Gouvernement à se saisir pleinement de cet enjeu. J'appelle également le Parlement à se saisir enfin de la question des certificats d'économies d'énergie. Une fois encore, je rappelle qu'il s'agit d'un dispositif non budgétaire, sur lequel le Parlement n'a pas la main, ce qui n'est pas acceptable.

Sur la base de ces constats, je formule onze propositions destinées à modifier la politique engagée. Les principales visent à reporter d'au moins cinq ans l'échéance de 2029 et à financer la chaudière à 1 euro pour tous en redéployant en faveur du remplacement des chaudières au fioul les moyens soutenant les énergies renouvelables électriques intermittentes. Une chaudière au fioul en moins, c'est bon pour le climat. Des éoliennes pour remplacer Fessenheim, cela ne réduit pas d'un gramme les émissions de CO2.

Je recommande également de s'appuyer sur la présence de La Poste dans les territoires pour améliorer le recensement des équipements et l'information de nos concitoyens.

Je crois aussi que la filière fioul doit être accompagnée et non condamnée. Il faut lui donner de la visibilité en ce qui concerne le biofioul.

J'invite enfin le Parlement à reprendre le contrôle des certificats d'économies d'énergie.

Madame la ministre de la transition écologique, nous allons vous entendre sur ces sujets. Je vous invite à nous faire part de vos intentions sur la question des certificats. En tant que commissaires aux finances, nous sommes toujours désireux de savoir si le Parlement est condamné à regarder éternellement passer les trains sans réagir.

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