En loi de finances initiale, la dotation de la mission Écologie, développement et mobilité durables progressait d'environ 1,8 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 2,2 milliards d'euros en crédits de paiement, pour atteindre 15,6 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 15,8 milliards d'euros en crédits de paiement. Le rapporteur spécial que je suis aurait pu y trouver un motif de satisfaction. Hélas, ce constat appelle immédiatement plusieurs objections qui en réduisent considérablement la portée.
Tout d'abord, cette hausse procède de mesures de périmètre et de transfert. Au terme des retraitements auxquels elle a procédé pour permettre des comparaisons, la Cour des comptes estime plutôt que la dotation de la mission, à périmètre constant, a régressé de 2,1 % en autorisations d'engagement et de 0,79 % en crédits de paiement.
Ensuite, alors qu'ils s'inscrivent en théorie au cœur même des politiques de préservation de l'environnement, les programmes dont je suis le rapporteur spécial ont, pour leur part, vu leur dotation régresser de 69,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 62,5 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse de 1,5 % en autorisations d'engagement et de 1,4 % en crédits de paiement. Ainsi, exception faite du seul programme 113 Paysage, eau et biodiversité, pour des raisons bien spécifiques liées au versement d'une subvention pour charge de service public à l'Office français de la biodiversité le 1er janvier 2020, tous les programmes – dont l'intitulé suffit à souligner l'importance – ont vu leur dotation initiale se réduire : le programme 181 Prévention des risques, le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie et le programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables.
En fait de hausse de la dotation, il convient donc plutôt de parler d'une évolution en trompe-l'œil.
En revanche, la sous-consommation est bien réelle. Les crédits exécutés des quatre programmes dont je suis le rapporteur spécial sont ainsi inférieurs de 12,6 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 13,4 millions d'euros en crédits de paiement à leur dotation initiale globale.
Avant d'aborder mon thème d'évaluation – les moyens de la prévention des risques naturels et technologiques –, je dirai un mot d'une exécution, une fois de plus, malthusienne.
Le reliquat de crédits non consommés du programme 113 Paysage, eau et biodiversité s'élève ainsi à plus de 20 millions d'euros, soit 10 % des crédits prévus.
Le programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables se caractérise, au contraire, par une exécution quasi-intégrale des crédits programmés mais, si l'on peut reconnaître la qualité de la prévision, j'appelle votre attention sur le fait qu'il soutient les emplois de pas moins de trois ministères : celui de la transition écologique, celui de la cohésion des territoires et celui de la mer. La mutualisation des moyens s'opère ainsi – je le répète depuis quatre ans – au détriment de la lisibilité, et l'information est dispersée dans le rapport annuel de performances, de telle sorte que le lecteur ne peut absolument pas parvenir à une vision consolidée du coût des politiques publiques qui sont l'objet des différents programmes.
J'appelle également votre attention sur les emplois des opérateurs. Au cours des dernières années, le plafond d'emplois rémunérés par les opérateurs de la mission n'a cessé de baisser, passant de 20 474 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2016 à 19 312 en 2020. Pire, ce plafond a systématiquement été sous-exécuté. En 2020, la consommation est ainsi inférieure de 288 ETPT à la prévision, pour s'établir à 19 024. Si nous considérons également les emplois hors plafond des opérateurs, nous parvenons à une exécution totale de 20 358 ETPT, inférieure de 355 unités à la prévision, qui était de 20 713.
Ce sont essentiellement les opérateurs des programmes dont je suis le rapporteur qui en font les frais. Comme le relève la Cour des comptes, cette année, la sous-exécution s'explique essentiellement par les effectifs de l'Office français de la biodiversité, avec 2 741 emplois exécutés, pour 2 809 emplois autorisés, soit une sous-exécution de 2,6 %, et du Centre d'étude et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) : 2 589 emplois exécutés, pour 2 644 emplois autorisés, soit une sous-exécution de 55 emplois, ou 2,1 %. La crise a certes retardé des recrutements, et il conviendra de rattraper tous ceux qui n'ont pas eu lieu, mais n'oublions pas la saignée subie tout au long des dernières années par le CEREMA.
C'est également une véritable saignée qu'a subie Météo-France, qui a encore perdu plus de 94 ETPT en 2020. Il est essentiel de mettre un terme à ce mouvement de réduction des effectifs, d'autant que l'établissement est confronté à la nécessité de remplacer une partie de son personnel technique. Alors que l'opérateur connaît environ 80 départs à la retraite par an, ce nombre pourrait passer à plus de 105 par an en 2025, 2026 et 2027. C'est ainsi une perte d'expérience et de capital humain irremplaçables.
J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport aux moyens de la politique de prévention des risques naturels et technologiques. Faut-il rappeler que le dérèglement climatique et l'essor des nouvelles technologies renouvellent les termes du problème et appellent des moyens ambitieux ? Ces derniers ne sont pourtant pas au rendez-vous.
Risques naturels et risques technologiques peuvent d'ailleurs se trouver liés. Ainsi, l'évolution climatique doit être prise en compte dans la démonstration de sûreté des installations nucléaires. Ce sujet fait régulièrement l'objet d'instructions et d'inspections de la part de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les canicules sont effectivement susceptibles d'avoir des conséquences sur le fonctionnement des systèmes de sûreté, sur le refroidissement du réacteur et la gestion des effluents en cas de sécheresse et d'étiage et sur la maîtrise des rejets thermiques. C'est vrai aussi du risque de vague de type tsunami, comme celle connue il y a quelques années au centre nucléaire du Blayais.
Par ailleurs, il n'est pas nécessaire, après l'accident de Lubrizol et l'explosion dévastatrice d'un stock de nitrate d'ammonium à Beyrouth, de rappeler l'omniprésence des risques industriels.
Face à cette réalité, les moyens, je le dis chaque année et je me vois obligé de le répéter cette année encore, ne semblent pas au rendez-vous.
Dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2021, l'Autorité de sûreté nucléaire avait ainsi exprimé, au terme d'une analyse fine de sa charge de travail, un besoin de huit ETP supplémentaires pour la période 2021-2023 – un seul lui fut accordé dans la LFI pour 2021. Il convient de doter au plus vite cette agence, dont chacun, quel que soit son point de vue sur le nucléaire, ne peut que reconnaître l'importance, des sept autres emplois demandés.
Il conviendrait, en outre, de doter l'ASN d'un budget d'intervention dans le domaine de la recherche et du développement. Elle pourrait ainsi organiser des expertises collectives sur des sujets d'importance pour elle, financer des recherches pour obtenir, à court terme, des résultats nécessaires à son action, étudier des problématiques émergentes.
Un autre exemple nous est fourni par l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), qu'une partie du grand public a découvert à la suite de la catastrophe de Lubrizol. Son plafond d'emplois, après avoir baissé de plus de 2 % par an depuis plusieurs années et encore de treize ETPT en 2021, soit moins 2,6 %, rend plus complexe l'atteinte des objectifs fixés à cet établissement, dont les dirigeants nous disent qu'ils ne pourront pas continuer à « faire autant avec moins ». L'enjeu pour les années à venir sera de préserver ses moyens d'action et ses effectifs. Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur le note très justement : l'enjeu majeur pour l'INERIS « est maintenant de continuer à répondre aux sollicitations des pouvoirs publics et aux préoccupations de la société, malgré la réduction régulière du plafond d'emplois qui se traduit par la perte de près d'un cinquième des emplois sur dix ans ». Il est temps d'en finir avec ces coupes sombres qui se dissimulent derrière l'euphémisme du « schéma d'emploi ».
À l'heure où les périls se multiplient sous l'effet du dérèglement climatique et des nouvelles technologies, il est temps de substituer à la logique comptable de l'équilibre budgétaire une politique dont le financement est fondé sur une évaluation des risques et des besoins. Nous avons vu ce qu'une telle politique nous a coûté lors de l'arrivée des malades du covid-19 dans les hôpitaux publics. À défaut de rétablir rapidement la situation, je crains fort que nous payions cette politique lors de catastrophes environnementales malheureusement prévisibles.
Je ne crois cependant guère à un tel changement de doctrine du Gouvernement. Cela voudrait dire qu'il comprend l'importance d'un investissement public dans la transition écologique. En revanche, doter la politique de prévention des risques de moyens à la hauteur des enjeux pourra être l'ambition d'une autre majorité. Madame la ministre, rien ne vous empêche cependant de me convaincre de l'inverse et de montrer, d'ici au projet de loi de finances pour 2023, ce que devraient être une politique du ministère de la transition écologique et des opérateurs à la hauteur des enjeux climatique du XXIe siècle.