Un retour en arrière me semble nécessaire pour resituer le débat.
En 2017, l'épargne brute – l'écart entre les recettes et les dépenses de fonctionnement – des collectivités locales se chiffrait à 29,7 milliards d'euros. Nous sommes ensuite passés à une dynamique différente, puisque durant les deux années suivantes, la dotation globale de fonctionnement (DGF) était stable, le dynamisme des impôts locaux était important et l'association des collectivités de grande taille avait la maîtrise des dépenses avec les contrats de Cahors. Deux ans après, l'écart était en augmentation, à 34,7 milliards d'euros.
Sur deux ans, les résultats de la politique publique étaient donc visibles, avec une consolidation de 5 milliards des finances locales. Je rappelle aussi que, depuis 2011, l'épargne brute des collectivités locales n'avait jamais dépassé 30 milliards d'euros.
La crise est venue entamer cette dynamique sans la casser complètement, et l'année 2020 n'a pas été l' annus horribilis que nous avions tous annoncée – même l'excellent Jean-René Cazeneuve. Si je reprends les notes de conjoncture dont nous disposions au milieu de l'année dernière, toutes estimaient que l'impact financier de la crise serait massif. Le rapport de Jean-René Cazeneuve évaluait les conséquences à 5 milliards en recettes et à 2,2 milliards en dépenses, soit une diminution de 7,2 milliards de l'épargne brute des collectivités. Ces hypothèses étaient fondées sur des projections prudentes, et largement partagées, concernant notamment les DMTO, dont nous pensions qu'ils diminueraient de 25 % par rapport à 2019.
En tenant compte de la dynamique des dépenses ordinaires, l'épargne brute des collectivités aurait dû diminuer de près de 26 % entre 2019 et 2020. Or, au 30 avril 2021, elle a diminué de 3,9 milliards d'euros, soit 11,4 %. C'est donc deux fois mieux que ce que nous escomptions, puisque le montant de cette épargne est de 30,6 milliards d'euros. Certes, cette dégradation n'est pas anodine, mais elle apparaît comme modérée si nous la comparons au repli de 8,3 % de l'économie ou au creusement de 159 milliards d'euros des déficits de l'État et de la sécurité sociale.
Il y a des différences entre les différentes catégories de collectivités locales. Le bloc communal a le mieux résisté, avec une épargne brute en recul de 6,5 %. La tendance est bien marquée dans les intercommunalités, où nous enregistrons une diminution de 4,1 % de la capacité d'autofinancement. Les communes de moins de 3 500 habitants voient leur épargne brute augmenter de 2,4 %. Ce phénomène s'explique par des économies de fonctionnement et par le fait que les recettes de ces communes sont quasi intégralement composées de fiscalité locale et de dotations, qui étaient bien évidemment imperméables à la crise.
Les départements ont constaté pour leur part une dégradation plus nette de l'épargne brute, de 15 %, sous l'effet de l'alourdissement de leurs charges sociales. Les régions perdent quant à elles 21,6 % d'épargne brute, du fait d'une progression assez significative de leurs dépenses d'intervention, alors que leurs recettes ont été relativement bien préservées grâce aux garanties de l'État.
Ces résultats, qui sont bien meilleurs que ceux qui étaient escomptés, ont été obtenus grâce à des mesures inédites que nous avons prises pour protéger les budgets locaux, en traitant tous les points de fragilité. À l'occasion de la LFR de juillet 2020, nous avons instauré sur les recettes fiscales et domaniales la clause de sauvegarde, qui garantit à chaque commune et syndicat intercommunal des transports de percevoir une aide si les montants des recettes fiscales en 2020 tombaient en-deçà de la moyenne 2017-2019.
Compte tenu de la baisse du produit des DMTO que nous pensions raisonnable de prévoir – 25 % –, pour les départements, nous avions inscrit une somme très importante au titre des avances, comme l'avait demandé l'Assemblée des départements de France (ADF). Or la baisse n'a été que de 1,6 %.
Concernant le milliard d'euros ouvert en DSIL au cours de l'exercice et les 50 millions manquants, je veux vous rassurer : ces 50 millions ont été transférés au ministère des outre-mer pour renforcer les investissements et les capacités d'ingénierie : 20 millions ont renforcé les contrats de convergence et de transformation, que nous appelons CPER ultramarins, et 30 millions ont abondé les crédits de l'Agence française développement (AFD).
La DSIL est un très bon outil de relance. Un euro de DSIL lève en moyenne 4 euros d'investissement local. Passer par une dotation déconcentrée est un gage de rapidité, puisque nous avons exécuté en quatre mois 574 millions d'euros de DSIL, soit autant que la DSIL classique en un an.
Parallèlement, nous avons ouvert des facilités comptables qui ont permis d'étaler les charges liées à la crise sur les cinq budgets. Nous avons financé les achats de masques pour 212 millions d'euros… Bref, nous avons pris des mesures massives.
La loi de finances 2021 a fait la part belle aux collectivités locales, notamment grâce à l'apport du débat parlementaire, avec en particulier la reconduite du filet de sécurité pour le bloc communal, pour les départements, la mesure relative aux DMTO perçus par plus de 20 000 petites communes et l'ouverture d'un fonds de stabilisation de 200 millions qui s'ajoutent aux 115 millions de 2020.
Les moyens du fonds sont déjà budgétisés à hauteur de 85 millions et seront complétés de 115 millions dans le collectif budgétaire de fin d'année.
Pour les régions, nous avons fait d'une pierre deux coups en supprimant leur CVAE pour épauler les entreprises, et en la remplaçant par une fraction de TVA, ce qui les a protégées des effets de la crise et de la baisse des CVAE attendue en 2021. Nous avons, par ailleurs ouvert 1,5 milliard d'euros de dotations d'investissement de relance supplémentaires, dotation qui s'ajoute à d'autres aides spécifiques.
Nous ne sommes pas au bout de la crise, bien évidemment, mais les efforts doivent être guidés par plusieurs principes. D'abord, il faut suivre en continu la situation financière des collectivités locales et en rendre compte au Parlement ; c'est une recommandation du président de la délégation aux collectivités que nous avons largement suivie. Les services que nous dirigeons avec Jacqueline Gourault et les services d'Olivier Dussopt sont mobilisés en permanence sur ce sujet.
Un groupe de travail spécifique a été constitué avec les associations représentant le bloc communal, pour partager les données au fur et à mesure qu'il se réunit – toutes les six semaines –, et les comptes rendus de réunion sont transmis aux commissions des finances des deux assemblées.
Un autre principe est de rassurer, les perspectives pour 2021 étant loin d'être sombres puisque les recettes des collectivités devraient augmenter. À notre connaissance, les seuls produits fiscaux qui devraient diminuer sont la CVAE, la taxe d'aménagement et la taxe sur les remontées mécaniques. Ce n'est pas rien, mais c'est plutôt rassurant, car cela signifie que l'immense majorité des recettes sont à l'abri.
Les premières données de 2021 nous indiquent que la CVAE ne devrait diminuer que de 1,1 %. Le versement mobilité a progressé de 3,8 % au premier trimestre et les DMTO encaissés augmentent de 10 % par rapport au premier trimestre 2020.
Il convient de rester très vigilant sur un certain nombre de sujets. Le PLFR a ouvert un fonds de 200 millions d'euros pour aider les collectivités confrontées à des pertes de recettes tarifaires ayant entraîné des difficultés budgétaires. J'insiste sur ce point, car c'est un combat que nous avons mené. Cette aide va concerner aussi bien les services publics industriels et commerciaux que les services publics administratifs, pour couvrir le plus grand nombre de situations.
Nous avons dressé début mai un premier état des lieux de l'exécution de France relance et des dotations d'investissement en général. À cette date, 80 % des dotations d'investissement sont ouvertes dans le plan de relance.
Pour répondre à Christophe Jerretie, la trajectoire des restes à payer en CP suit mécaniquement celle des AE qui a massivement augmenté depuis plusieurs années. La première façon de les réduire consiste à payer les factures qui arrivent dans les préfectures. Elles le sont au fur et à mesure ; il n'y a pas de facture dans les tiroirs au titre de la mission RCT.
La seconde façon de les diminuer consiste à réduire les délais d'achèvement des opérations et sur ce point la direction générale des collectivités locales (DGCL) conduit régulièrement des exercices de toilettage en demandant aux préfectures de clôturer les opérations dont les délais ont expiré et de se rapprocher des collectivités qui tardent à achever leurs opérations.
S'agissant de l'évaluation socioéconomique, je partage l'avis du rapporteur. Il existe une obligation pour l'État de les financer, lorsque le montant est supérieur à 20 millions d'euros, ce qui reste assez rare, voire inédit s'agissant de la DETR ou de la DSIL.
En ce qui concerne les projets locaux, il est important que ce soit le porteur de projet qui soit responsable de cette démarche d'évaluation – c'est le cas depuis la loi portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Les modalités pourraient être adaptées, mais nous devons faire attention de ne pas alourdir les procédures à l'excès, un équilibre étant nécessaire entre la nécessité de l'évaluation et l'exigence de rapidité dans la relance.
Les cofinancements DETR-DSIL sont bien sûr identifiés, mais ce n'est pas forcément la règle. En 2019, sur 4 136 projets financés par la DSIL, seulement 182 avaient également bénéficié d'un cofinancement de la DETR. Cette situation ne me semble pas problématique dès lors que la participation de l'État est limitée à 80 % et que le cumul concerne un nombre limité de projets qui peuvent le justifier par leur pertinence, leur ampleur financière ou les capacités d'investissement du porteur de projet.
Nous allons regarder de près ce qu'il en est des cofinancements avec les autres ministères.
Vous avez également soulevé la question importante de la mise en réserve. Vous le savez, une partie des crédits votés chaque année en loi de finances est mise en réserve pour parer à d'éventuels imprévus en cours d'année.
Pour 2017, ce gel portait sur 8 % des AE et des CP de chaque programme. En 2018 et en 2019, il a été fixé à 3 %. Il est fixé à 4 % depuis 2020, compte tenu du contexte budgétaire. Mais il existe une petite spécificité de la mission RCT qui tient au fait qu'une partie du programme 119, qui porte les dotations d'investissement, comporte pour environ 40 % de son volume les dotations de compensation de transferts de compétences. Aujourd'hui, le quantum de mise en réserve est calculé sur ces deux blocs, alors même qu'il est impossible de redéployer des crédits associés à des compensations dont le principe est protégé par la Constitution.
J'entends que certains d'entre vous proposent, comme la Cour des comptes, de rendre plus cohérent le périmètre de calcul du gel en excluant de l'assiette ces fameuses DGD. Je serai franc : il s'agit d'une proposition extrêmement intéressante, dont nous devons discuter avec le ministre des comptes publics en vue d'une application en 2022.
Le Gouvernement est vraiment mobilisé dans l'exécution des mesures en faveur des collectivités locales. L'institutionnalisation d'un débat dédié me paraît une très bonne initiative pour valoriser l'ensemble de ces aspects et je souscris largement à cette proposition.