Les deux rapports que nous vous présentons sont complémentaires et leur instruction a été conduite conjointement. Le premier commente la trajectoire de finances publiques figurant dans le programme de stabilité (PSTAB) adressé à la Commission européenne. Perçue par la Cour comme une marque de confiance, la demande que le Premier ministre lui a adressée d'un rapport sur la stratégie relative à la sortie de crise comportait trois volets : l'un sur les finances publiques, un autre sur les modalités de sortie des dispositifs d'urgence mis en place pendant la crise, un troisième sur les réformes structurelles susceptibles de renforcer tant l'efficience des politiques publiques que la croissance potentielle de notre économie. Afin de conduire ses travaux dans les meilleures conditions et de remettre simultanément ses conclusions sur les trois volets de la demande, la Cour a pu bénéficier d'une prolongation du délai initial de remise du document.
La Cour s'est notamment appuyée sur les travaux d'un autre rapport qu'elle rédige à la demande de votre commission sur l'évolution des dépenses publiques pendant la crise et qu'elle lui remettra la troisième semaine du mois de juillet 2021. La Cour a également mené une quarantaine d'auditions. Elle a entendu des responsables politiques, français et européens, des parlementaires, des économistes de renommée mondiale, les présidents des trois grandes associations de collectivités territoriales, des partenaires sociaux et des représentants du monde économique.
Le premier message de ces deux rapports est que notre pays a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques insuffisamment redressées.
La Cour avait déjà souligné ce constat dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques paru en 2020. Nous confortons en 2021 notre analyse en présentant l'évolution des finances publiques pendant les deux décennies qui ont précédé la crise. Entre 2000 et 2019, non seulement notre pays n'a connu aucun exercice excédentaire, mais quinze exercices se sont clos par un déficit public supérieur à 3 points de produit intérieur brut (PIB). Sous l'effet de ces déficits récurrents, le niveau de la dette publique a augmenté de près de 40 points de PIB, passant d'un peu moins de 60 points en 2000 à 96,7 points en 2019.
Le redressement de nos finances publiques intervenu après la crise de 2008 et 2009 est incontestable mais s'est révélé moins important que chez nos partenaires européens. Le solde public s'est amélioré en France de près de 4 points de PIB entre 2010 et 2019, contre près de 6 points en Allemagne.
En conséquence, alors que le taux d'endettement public de la France était proche de celui de l'Allemagne et de la zone euro avant la crise de 2008, il se situe maintenant 40 points de PIB au-dessus de celui de la première et 15 points au-dessus de celui de la seconde.
Cette trajectoire de déficit et de dette tient pour beaucoup à la dynamique de la dépense publique. Malgré un ralentissement au cours des vingt dernières années, la croissance de la dépense a en moyenne dépassé celle de l'activité économique. Le ratio des dépenses sur PIB a augmenté de près de 4 points. Il place la France à près de 9 points de PIB au-dessus du niveau de ses principaux partenaires de l'Union européenne.
Entre 2000 et 2019, la part consacrée à la protection sociale représente 80 % de l'augmentation des dépenses publiques calculées par habitant.
Dans le même temps, les recettes ont augmenté dans une moindre mesure, mais suivant une dynamique pro-cyclique. Elles montrent un niveau de prélèvements obligatoires supérieur à celui de nos principaux partenaires.
En 2019, seule avec l'Espagne au sein de la zone euro, la France affichait un déficit primaire. Fin 2019, sa dette approchait 100 % du PIB, son déficit public était supérieur à 3 %.
Le deuxième message de la Cour est que la France sortira de la crise avec des niveaux encore accrus de déficit et de dette publics.
En 2020, le déficit a atteint 9,2 points de PIB, son niveau le plus élevé de l'après-guerre. Il résulte d'abord d'une forte contraction des recettes due à la baisse brutale de presque 8 % du PIB. Contrairement à la crise de 2008 et 2009, il provient également d'une augmentation des dépenses, principalement sous l'effet des mesures d'urgence puis, dans une moindre proportion, des premiers décaissements du plan de relance. En conséquence, la dette publique a augmenté de près de 20 points de PIB par rapport à 2019, pour s'établir à un niveau proche de 117 points de PIB.
Les mesures de soutien à l'économie prises en 2020 ont représenté quelque 70 milliards d'euros. Hors mesures de soutien, la dépense publique a tout de même progressé de 1,5 % en valeur, soit un rythme comparable à la situation d'avant crise, malgré le tassement de la dépense locale, la baisse de la charge d'intérêts et les effets induits de la crise sur la baisse mécanique de certaines dépenses.
En 2021, à la faveur du rebond de l'activité économique, la croissance pourrait atteindre 5 %. Pour autant, selon les prévisions du Gouvernement, le déficit restera élevé, de l'ordre de 9,4 % du PIB. Bien qu'en reprise, l'activité économique se maintiendra vraisemblablement à plus de 3 points en dessous de son niveau de 2019. La perte d'activité équivaut en France à celle attendue pour la zone euro. Légèrement plus faible qu'en Espagne ou qu'en Italie, elle dépasse les prévisions qui concernent l'Allemagne.
Ce rebond de l'activité permet un ressaut partiel des recettes, mais approximativement 15 milliards d'euros de baisses des prélèvements obligatoires, dont 10 milliards pour celle des impôts de production prévue dans le plan de relance, en limiteront la portée.
Sous l'effet principal des mesures de soutien et de relance, respectivement pour 70 et 30 milliards d'euros, les dépenses devraient augmenter de 3,6 %. Indépendamment de ces mesures, les dépenses resteront dynamiques en 2021, de l'ordre de + 2,3 % en volume. Elles répercuteront les dispositions de revalorisation salariale, durables, prises dans le cadre du « Ségur de la santé », à hauteur de 8 milliards d'euros.
La Cour estime que, distinct de la conjoncture économique, le déficit structurel se situera autour de 4,5 points de PIB, contre 2,5 points en 2019. Importante, la dégradation découlera de mesures pérennes qui pèseront sur le solde public, parmi lesquelles, outre celles du « Ségur de la santé », la poursuite des baisses de prélèvements. S'y ajouteront les conséquences négatives de la crise sur l'activité et la situation du marché du travail.
Le troisième message de la Cour est que la crise aura une incidence durable sur la trajectoire de nos finances publiques.
Comme l'année dernière, la Cour a envisagé trois scénarios : l'un de rattrapage, l'autre de perte limitée, enfin un scénario de faiblesse persistante. Dans toutes les hypothèses, le retour de la croissance de l'économie française ne permettra pas à lui seul d'infléchir notre trajectoire de dette publique.
Ce constat ressort également de l'analyse que la Cour a adressée à la Commission européenne sur le PSTAB : en cas de rebond marqué de l'activité économique en 2021 et 2022, la dette ne pourrait refluer qu'à partir de 2027, mais sous l'effet d'un ajustement structurel de 0,3 point de PIB chaque année entre 2023 et 2027.
Malgré l'effort d'ajustement que le Gouvernement a prévu, la trajectoire des finances publiques françaises restera en décalage avec celle de nos partenaires européens. En 2024, la France pourrait atteindre le déficit le plus élevé des principaux pays de la zone euro, avec une dette stable à un peu moins de 120 points de PIB, alors que celle de certains de nos voisins est prévue à la baisse.
Le quatrième message de la Cour propose une stratégie à même d'assurer la soutenabilité de nos finances publiques dans le temps. Elle allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public.
Le renforcement de la croissance nous paraît une condition essentielle au rétablissement durable de la situation de nos finances publiques. En ce sens, nous suggérons de poursuivre quatre objectifs complémentaires.
Le premier consiste à concentrer l'effort d'investissement public sur l'innovation et la recherche, l'industrie et les activités à forte valeur ajoutée, ainsi que sur le développement des compétences – comme le soulignait un rapport que nous avons récemment remis à votre commission. Nous recommandons d'accentuer les synergies entre la recherche publique et la recherche privée, de favoriser les innovations de rupture et de soutenir notre industrie.
Le deuxième objectif entend soutenir la transition écologique, au service d'une croissance plus durable. La Cour recommande à cet égard de mieux définir les investissements « verts » prioritaires.
Le troisième objectif tire les enseignements de la crise sanitaire. Il vise l'accélération de la transformation numérique, aussi bien dans les entreprises que dans les administrations. L'enjeu porte spécialement sur les domaines de la santé et de l'éducation.
Le quatrième objectif veut renforcer nos capacités de résilience. Nous subissons et subirons encore des chocs externes à l'économie. Il convient de mieux les anticiper et de mettre en place les dispositifs propres à les traiter.
Orientée vers ces quatre priorités, la stratégie de croissance gagnera à s'accompagner d'une feuille de route. Elle contribuera à réduire progressivement le déficit public et à engager la décrue de la dette au plus tard à compter de 2027.
Selon nous, la consolidation pourrait commencer en 2023. Cela ne signifie pas qu'il ne faille rien faire en 2021 et 2022. Au contraire, il faut continuer à travailler à la résolution de la crise sanitaire, sortir progressivement des dispositifs de soutien à l'économie et préparer les réformes à venir.
Malgré leur coût, les mesures de soutien à l'économie, comme le fonds de solidarité, les allègements de cotisations et contributions sociales ou le soutien à l'activité partielle, étaient indispensables. Elles ont pleinement rempli leurs objectifs, mais leur prolongation générerait des effets pervers.
Nous n'avons pas voulu – et cela a pu nous être reproché – définir précisément les paramètres de ce retour à l'équilibre. Compte tenu des incertitudes, nous avons fixé quelques principes directeurs.
La trajectoire implique d'abord de se projeter à moyen terme. Elle doit s'inscrire dans une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Votée à l'automne 2022 pour une mise en œuvre à compter de 2023, la loi porterait sur l'ensemble de la prochaine législature.
La réduction du déficit public portera ensuite de façon privilégiée sur la dépense publique. Ce principe se fonde sur l'expérience des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cet effort devrait être d'autant plus ambitieux que la croissance serait faible. Il ne saurait néanmoins handicaper cette croissance.
La Cour présente dans la dernière partie de son rapport d'audit une boîte à outils pour maîtriser la dépense publique. Notre niveau de dépenses publiques s'avère l'un des plus élevés au monde. Alors qu'il atteignait 55,6 % du PIB avant la crise, il dépasse allègrement les 60 % aujourd'hui.
Nous proposons d'engager dès 2022 des revues de dépenses systématiques.
Nous invitons à prendre en considération le fait qu'une part importante des dépenses a trait au domaine social. Nous avons ainsi identifié cinq chantiers importants : le système des retraites – sans faire de recommandation, nous relevons les effets de l'âge d'ouverture des droits et de celui du taux plein –, la santé – l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ne joue plus son rôle de régulation et il faut améliorer l'efficience des soins, ainsi que la coordination de la médecine de ville avec l'hôpital, de sorte qu'une stabilisation des dépenses rapportées au PIB nous paraisse raisonnable –, la politique de l'emploi, les minima sociaux – il s'agit de renforcer l'incitation à l'activité –, et enfin la politique du logement.
La Cour des comptes avance aussi des propositions destinées à améliorer l'efficience des politiques publiques et de nos administrations. Elles se traduisent par la mise en place d'une revue des missions des acteurs publics – notamment en renonçant à celles que l'État ne doit plus assurer ou en évitant les doublons –, par une démarche de contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens avec les opérateurs de l'État, voire les collectivités territoriales, par la simplification des organisations publiques, des procédures administratives et des normes, enfin par un double renforcement de l'évaluation des politiques publiques et de la lutte contre la fraude.
Ces mesures laissent une impression de déjà dit et de déjà-vu. Le problème, c'est qu'elles n'éveillent guère un sentiment de déjà fait.