Je suis très heureux de vous présenter le rapport final de notre mission d'information commune, qui marque l'aboutissement d'un travail très étroit mené avec l'ensemble des membres de la mission ainsi qu'avec son président et ses rapporteurs thématiques, Caroline Janvier et Ludovic Mendes. Je tiens à saluer à mon tour Emmanuelle Fontaine-Domeizel, qui a beaucoup travaillé sur le volet consacré au cannabis thérapeutique, que je vais vous présenter dans un instant, et François-Michel Lambert, qui a également été très assidu à nos auditions.
Au cours des dix-huit mois qu'ont duré nos travaux, nous avons mené, cela a été dit, 75 auditions qui nous ont permis d'entendre plus de 226 personnes. Les membres de la mission, issus de tous les groupes politiques, ont travaillé collectivement à appréhender le cannabis de la manière la plus pragmatique et la plus dépassionnée possible, loin des postures idéologiques et dogmatiques, afin de réfléchir à une évolution réglementaire qui tienne compte des enjeux sociaux et économiques, de santé et de sécurité publique liés à l'usage de cette substance.
Notre constat global est que la France est à la traîne dans ce domaine et qu'elle s'en tient même, s'agissant de certains usages, à des positions totalement anachroniques.
L'expérimentation du cannabis thérapeutique a été lancée pendant les travaux de notre mission d'information. Elle a en effet débuté le 26 mars, avec l'admission du premier patient au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, sous la responsabilité du professeur Authier, qui a été pour beaucoup dans l'élaboration du protocole d'expérimentation. Actuellement, les patients sont répartis, en fonction de leur pathologie, en cinq groupes : le premier compte 750 patients souffrant de douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies ; le deuxième regroupe 500 patients atteints de certaines formes d'épilepsie pharmaco-résistantes ; le troisième compte 500 patients présentant certains symptômes rebelles liés à des cancers ou à des traitements anticancéreux ; le quatrième regroupe 500 patients en soins palliatifs ; enfin, le cinquième rassemble 750 patients suivant des traitements contre la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques et souffrant d'autres pathologies du système nerveux central. Le ministre de la santé, avec qui nous avons pu en discuter, envisage, compte tenu de la demande des patients et de médecins, d'étendre très rapidement l'expérimentation à d'autres pathologies et d'augmenter sensiblement le nombre des patients concernés, avant une éventuelle généralisation si le cannabis s'avère utile dans le traitement de ces pathologies.
Dans un deuxième temps, nous nous sommes efforcés d'appréhender de manière pragmatique, scientifique et médicale, grâce à de multiples auditions, la question du cannabidiol (CBD) – l'un des cannabinoïdes extraits du chanvre. Celui-ci n'a pas forcément un effet thérapeutique avéré, mais il peut soulager les patients souffrant de certaines pathologies : c'est ce que l'on appelle le chanvre bien-être. En la matière, les derniers rebondissements jurisprudentiels nous obligent à avancer sur le volet de la réglementation. Cependant, la question est particulièrement ardue, tant le CBD est perçu par une grande partie de notre classe politique et dirigeante comme une drogue. Cette posture, à défaut d'être politique, est erronée et infondée.
En effet, dans un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne rendu en novembre 2020, la jurisprudence européenne estime que le CBD est dénué de caractère psychotrope. Du reste, il n'est plus considéré comme une drogue par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). De fait, il ne présente aucun risque pour la santé publique ; il a pour seul effet une relaxation musculaire. Combien de temps allons-nous donc continuer à en faire la victime collatérale du cannabis récréatif ? Nombreux sont les consommateurs qui vantent les bienfaits de cette molécule qui contribue à apaiser leur stress et leur anxiété ou à soulager leurs douleurs articulaires. Pourtant, la France s'oppose toujours à la production et à la fabrication sur son territoire de produits à base de CBD, ce qui semble pour le moins anachronique. Du reste, il ressort d'un arrêt de la Cour de cassation rendu la semaine dernière que la France devrait autoriser la fabrication et la commercialisation de tels produits, y compris des fleurs de chanvre – Ludovic Mendes y reviendra plus en détail.
Nos voisins européens produisent déjà du CBD, que la France importe de manière légale en grande quantité. Mais nos producteurs ne peuvent pas en produire et nos industriels ne peuvent pas l'extraire de la fleur de chanvre. La situation est totalement ubuesque ! L'arrêté de 1990 qui classe cette molécule en tant que stupéfiant doit donc être modifié ; nous espérons qu'il le sera le plus rapidement possible.
Enfin, Caroline Janvier était chargée du volet consacré au cannabis récréatif, que nous avons voulu traiter en dernier car nous nous doutions que son retentissement médiatique phagocyterait les autres thématiques – ce qui n'a pas manqué de se produire, qui plus est à un moment où l'actualité n'était pas favorable. Au début de nos travaux, nous n'avions pas d'idée préconçue ; désormais, beaucoup d'entre nous sont convaincus qu'il faut évoluer également dans ce domaine.
Quoi qu'il en soit, nous sommes actuellement dans une impasse : la France est à la fois le pays d'Europe le plus répressif en la matière et le plus gros consommateur de cannabis. On peut toujours persévérer dans cette voie et affecter toujours davantage de policiers à la lutte contre la consommation et le trafic de cannabis. Certes, il s'agit d'une drogue, dangereuse pour la santé publique, notamment pour les plus jeunes, mais force est de constater que nous sommes en situation d'échec puisque 1 million de Français reconnaissent fumer quotidiennement du cannabis ! Soit on continue à fermer les yeux, à se boucher les oreilles et à faire semblant de lutter contre le trafic, soit on essaie d'adopter une réglementation enfin efficace. La plupart des pays évoluent dans ce domaine. Aux États-Unis, par exemple, une loi fédérale visant à légaliser le cannabis est sur le point d'être adoptée.
Légaliser, ce n'est pas autoriser tout et n'importe quoi ; c'est encadrer, permettre à l'État de jouer son rôle de régulateur, interdire la consommation aux mineurs et traquer les trafiquants. Ceux-ci ne disparaîtront évidemment pas, mais si on ne lutte plus que contre 40 % du trafic actuel, on peut être plus efficace.
En conclusion, je remercie l'ensemble des membres de la mission d'information commune, son président, Robin Reda, ainsi que les présidents des commissions permanentes, qui ont permis sa création. Nous avons bien bossé, en mettant de côté les idées reçues, pour réaliser une étude objective et ainsi permettre une discussion rationnelle. C'est pourquoi nous sommes un peu agacés lorsqu'on nous oppose une prétendue sagesse populaire qui ne repose sur aucun argument scientifique ni aucune réflexion et qui ne correspond pas à la réalité.