En effet, madame la présidente, je propose de faire le point sur la révision des tarifs d'achat de certains contrats photovoltaïques, sujet important de nos débats lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.
L'article 225 de la loi de finances pour 2021 a effectivement autorisé la réduction des tarifs d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatt-crête bénéficiant d'un contrat d'obligation d'achat conclu en application d'arrêtés tarifaires pris en 2006 et 2010. Cette mesure, validée par le Conseil constitutionnel, doit faire l'objet de textes d'application.
J'ai souhaité vous présenter ces projets de textes réglementaires afin, d'une part, d'échanger sur leur contenu et, d'autre part, de vous exposer certains éléments dont j'ai eu connaissance, en ma qualité de rapporteur spécial, après avoir obtenu la communication d'un rapport confidentiel établi par des corps d'inspection.
Tout d'abord, quelques éléments de contexte.
En premier lieu, je rappelle que le soutien apporté par l'État aux énergies renouvelables électriques devrait s'élever à 5,7 milliards d'euros en 2021, près du tiers de cette somme étant dédié au financement des contrats photovoltaïques antérieurs à 2011, qui représentent pourtant moins de 1 % de l'électricité produite en France. Conclus pour 20 ans, ces contrats représentent une charge financière proche de 40 milliards d'euros dont la moitié reste encore à payer. Vous comprenez, chers collègues, qu'il soit important de s'y pencher : ne pourrait-on alléger la note ?
Ensuite, l'architecture de l'article 225 de la loi de finances repose sur un principe de réduction des tarifs d'achat accordés il y a une dizaine d'années dans le but de supprimer ce que l'on appelle les « sur-rentabilités » et d'en revenir à une rémunération raisonnable des capitaux. Ce principe est assorti d'une soupape de sécurité, la clause de sauvegarde : si la révision des tarifs conduit à compromettre la viabilité économique d'un producteur, l'exploitant pourra, sous certaines conditions, présenter une demande de réexamen de son dossier à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui l'instruira avant que les ministres concernés ne tranchent. Cette clause de sauvegarde est une particularité française qui n'existait pas en Italie et en Espagne où les contrats photovoltaïques ont également été révisés – cela s'est d'ailleurs mieux passé en Italie qu'en Espagne. La Commission de régulation de l'énergie s'attend à recevoir environ 400 demandes d'activation de la clause de sauvegarde.
Voilà pour le cadre général.
Lors de la discussion de cet article, j'avais regretté la façon dont le Parlement avait été saisi du sujet. Je vous rappelle la mauvaise manière que nous avait faite le Gouvernement, qui avait déposé son texte par voie d'amendement ; nous avions donc dû légiférer sans connaître certains éléments importants comme le nombre exact de contrats ou la nationalité des sociétés intéressées. Je le dis d'autant plus librement que j'étais moi-même favorable à la proposition du Gouvernement.
Ces informations, je les connais désormais après avoir eu accès à un rapport confidentiel établi par des corps d'inspection.
Le nombre de contrats susceptibles d'être concernés par une révision de leur tarif d'achat s'élève à 1 072, soit moins de 0,5 % des 235 000 contrats photovoltaïques signés avant 2011. Ces 1 072 contrats sont majoritairement détenus par des sociétés de projet, c'est-à-dire des sociétés créées pour ces opérations. Une part non négligeable de ces contrats est détenue par des groupes étrangers. À la demande du ministère, je ne préciserai pas la proportion des contrats concernés, mais sachez qu'elle est significative – c'est donc une proportion inférieure à la moitié mais non marginale ; cela précisé, je vous laisse la liberté de déterminer ce que peut être pour vous une proportion significative. À l'inverse, le nombre d'agriculteurs et de collectivités territoriales directement concernés par la réforme est très faible. Enfin, je précise qu'une grande partie des contrats a changé de main depuis 2011.
Je déplore que nous n'ayons pas eu connaissance de ces éléments plus tôt et que nous nous soyons prononcés sur la base d'éléments incomplets. Sur ce point, j'adresse un carton jaune au Gouvernement.
J'en viens à présent au contenu des textes d'application.
Au mois d'août, deux textes seront publiés : un décret en Conseil d'État pris après avis de la CRE et un arrêté des ministres chargés de l'énergie et du budget.
Ces deux textes ont été mis en consultation le 1er juin pour une durée de deux semaines, portée à trois semaines après que la profession a repéré plusieurs erreurs matérielles. Une fois ces documents publiés, la CRE publiera à son tour un projet de délibération détaillant le fonctionnement de la clause de sauvegarde.
Les textes réglementaires soumis à la concertation reposent sur le principe d'une révision individualisée des tarifs d'achat. Cela veut dire qu'il n'y aura pas de coup de rabot uniforme et, comme le prévoit l'article 225 de la loi de finances pour 2021, la réduction du tarif tiendra notamment compte de l'arrêté tarifaire d'origine, des caractéristiques de l'installation et de ses conditions de fonctionnement. Pour déterminer ce tarif individualisé, les autorités ont établi un modèle normatif dont elles ont évalué les coûts d'investissement et d'exploitation à partir de données de la commission de régulation de l'énergie, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables, d'EDF Obligation d'achat (EDF OA) et d'informations fournies par les producteurs. La construction de ce modèle théorique pose certaines difficultés, sur lesquelles je reviendrai.
Ces textes sont appelés à entrer en vigueur dès le 1er octobre 2021. À compter de cette date, un projet de tarif révisé sera notifié à chaque producteur. Les intéressés disposeront ensuite de quinze jours pour faire part de leurs observations et de trois mois pour solliciter le réexamen éventuel de leur dossier. En cas d'activation de la clause de sauvegarde, le tarif révisé sera suspendu pendant une durée maximale de seize mois, mais, si, au final, la demande est rejetée, le tarif révisé s'appliquera rétroactivement et l'exploitant devra reverser à l'État les sommes perçues durant la période de suspension.
Voilà pour les principes. À présent, quelques observations sur la méthode suivie, sur les contrats concernés, sur l'ampleur des baisses de rémunération et sur le montant des économies attendues.
Le moins que l'on puisse dire est que la méthode suivie ne fait pas consensus. La profession et l'Union française de l'électricité la contestent fortement, et, manifestement, les différentes parties ne se comprennent pas. Lors des auditions, la filière a qualifié la concertation de « dialogue de sourds » alors que l'administration l'a qualifiée de « très riche ».
La filière dénonce principalement la méthodologie retenue qui aboutit, selon elle, à sous-évaluer fortement les dépenses d'investissement et d'exploitation. Certains arguments avancés sont pertinents. L'administration a ainsi construit un modèle normatif reposant notamment sur des données produites par l'Agence internationale pour les énergies renouvelables au niveau international, mais les données mondiales retenues présentent des faiblesses. D'une zone économique à l'autre, la monnaie, la fiscalité ou la maturité du marché solaire sont différents. Le choix de cette méthode peut, c'est certain, alimenter des contentieux.
Le nombre de contrats affectés par la révision des tarifs devrait finalement être plus limité que prévu : plutôt de 700 à 750 des 1 072 contrats. Une part importante des contrats conclus dans les zones non interconnectées va échapper à la réforme. C'est une bonne chose puisque, à l'automne dernier, j'avais, avec plusieurs collègues, souligné les spécificités, notamment climatiques, des territoires ultramarins.
Les baisses de rémunération devraient être très fortes. L'Union française de l'électricité les évalue à 55 % et la filière jusqu'à 70 %. Sur ce point, je crois que nous devons être vigilants. L'esprit de la réforme, c'est de mettre un terme à des sur-rentabilités réelles, pas de tuer la filière.
Je souhaite d'ailleurs insister sur la nécessité de traiter différemment les exploitations qui ont changé de main depuis 2011 et celles qui ont conservé le même propriétaire. Pour les exploitations qui ont conservé le même propriétaire, la question est simple : une rente s'est constituée et la sur-rentabilité doit être supprimée. En revanche, pour les exploitations qui ont changé de main, notamment depuis peu de temps, les choses sont différentes. Certes, la clause de sauvegarde doit permettre de traiter des cas particuliers, mais, vu le nombre très important de contrats cédés depuis 2011, la loi aurait pu prévoir de plafonner le montant de la révision du tarif d'achat – d'autant que quelqu'un a pu acheter très cher quelque chose qui sera révisé. Je crois d'ailleurs que si, au moment de l'examen du projet de loi de finances, nous avions eu connaissance du nombre élevé de contrats cédés, nous aurions probablement pris des précautions supplémentaires. Je souhaite donc que les textes publiés au mois d'août soient plus souples que les textes soumis le mois dernier à la concertation.
Concernant le montant des économies attendues, je ne dispose malheureusement pas d'éléments permettant de confirmer ou d'infirmer le chiffre de 350 à 400 millions d'euros d'économies annuelles évoqué au mois de novembre 2020 par le ministère de la transition écologique. D'ici 2030 et l'arrivée à échéance des derniers contrats photovoltaïques concernés, l'économie attendue représenterait donc au maximum entre 3,5 et 4 milliards d'euros.
Cette économie ne sera cependant pas immédiate. Comme je l'ai dit, les premiers tarifs révisés seront notifiés cet automne, et il est probable que les exploitants sollicitent massivement le réexamen de leur dossier. Cela gèlera pendant plusieurs mois l'application de la révision.
Cette économie ne sera également probablement pas aussi importante qu'escomptée. Une menace pèse effectivement sur l'intérêt financier de la réforme : la charte de l'énergie, un traité de protection des investissements entré en vigueur en 1998, qui permet notamment de porter des litiges devant des juridictions arbitrales internationales. La France entend dénoncer ce traité pour différents motifs mais il s'appliquera aux contrats révisés. Le risque existe que l'État soit condamné à la demande de groupes qui auraient pris des participations dans des sociétés de projet.
Je conclurai en soulignant trois points.
Première observation, la révision des tarifs d'achat photovoltaïque est une bonne chose mais cette décision souffre d'un sérieux problème de méthode : le Parlement a été saisi sans être suffisamment informé ; les corps d'inspection ont travaillé après et non avant l'adoption de la loi ; la concertation sur les textes réglementaires repose sur des données contestables. Si je soutiens le principe de cette révision, j'assortis donc ce soutien de fortes réserves sur la méthode suivie.
Deuxième observation, en 2019, l'État a renégocié les premiers contrats conclus dans l'éolien offshore, et, en 2021, l'État révise les tarifs d'achat octroyés en matière photovoltaïque. Manifestement, le financement des énergies renouvelables n'est pas stabilisé.
Troisième et dernière observation, je ne sais si d'autres énergies renouvelables que l'éolien offshore et le solaire sont affectées par des sur-rentabilités. Notre commission aurait probablement intérêt à solliciter une étude de la CRE. L'article R. 134-6 du code de l'énergie permet à la commission des finances de saisir la Commission de régulation de l'énergie de « toute question entrant dans le champ de ses compétences ». Pourrions-nous donc, en l'espèce, le faire ?
Quoi qu'il en soit, le financement des énergies renouvelables, notamment photovoltaïques, soulève encore bien des questions. À défaut d'avoir été bien informée par le Gouvernement au moment de la préparation de cette réforme, notre commission devra suivre attentivement sa mise en œuvre.