Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour de comptes :

Je vous remercie pour vos remarques, qui convergent assez largement avec nos propres analyses. Je ne pourrai certainement pas répondre à toutes les questions car il nous reste encore beaucoup de travail d'analyse à effectuer. La première chambre devrait publier un rapport en mars 2022 sur les PGE. Un travail porte également sur la CVAE. Nous allons procéder à une expertise des mesures fiscales engagées pendant la crise, en analysant les contrôles avec plus de finesse. Je ne réagirai pas aux expressions d'opinion dans la mesure où nous sommes une instance apolitique et impartiale.

La Cour approuve le principe du « quoi qu'il en coûte » car la crise, par son caractère exceptionnel, appelait une réponse d'envergure exceptionnelle. L'État a joué son rôle d'assureur de dernier ressort. Pour autant, l'endettement public a fortement augmenté. Il nous reste à déterminer dans quelle mesure ces efforts ont contribué à sécuriser l'avenir de notre économie.

Je ne me prononcerai pas sur la comparaison avec les crises précédentes. J'invite à une certaine forme de prudence car toutes les crises ne sont pas de même nature et n'appellent donc pas des réponses identiques. Fort heureusement, cette crise ne s'est pas doublée d'une crise financière et le système bancaire y a résisté. Fort heureusement, sous l'impulsion de Mario Draghi, la BCE a permis de mettre en place un système qui permet aux États de recourir à la dette dans des conditions plus favorables qu'en 2008. Par ailleurs, par opposition à la crise de 1929 et à la plupart des crises économiques qui ont suivi, celle-ci n'a duré qu'une seule année.

La Cour des comptes a appelé à plusieurs reprises à la mise en place d'une loi de programmation des finances publiques mais dès que la situation le permettrait. Cela n'a pas été le cas jusqu'à présent compte tenu du contexte économique et sanitaire, qui a perduré bien plus longtemps qu'escompté. Il semble que la situation sanitaire tende à se stabiliser dans le courant de 2022, notamment grâce à la vaccination d'une large partie de la population. Nous retrouverons également davantage de visibilité sur le plan macroéconomique. Alors, nous n'échapperons guère à une loi de programmation des finances publiques. La Cour a très clairement affiché un objectif dans son rapport remis au Premier ministre : inverser la courbe de la dette entre 2023 et 2027. Indépendamment des débats sur la fiscalité, la maîtrise de la dépense publique est indispensable. La différence entre les économies des pays s'établira à travers leur capacité à réduire leur endettement et à maîtriser leurs dépenses, y compris au sein de la zone euro. À ce titre, la comparaison avec les autres pays européens est éclairante. Nous n'échapperons pas à ce rendez-vous incontournable au-delà des présidentielles.

Nous sommes une instance apolitique, et il ne nous appartient donc pas de guider les choix en matière d'économies, mais nous mettons en exergue des différences dans certains secteurs par rapport aux autres pays européens, sans pour autant que ce surcroît de dépenses ne se traduise par une meilleure efficacité. On peut donc envisager des réformes sans pour autant dégrader la justice sociale et tout en améliorant l'efficacité de l'action publique. Dans ce cadre, le contrôle n'est pas une charge mais une nécessité absolue. La Cour des comptes est très attachée à sa mission d'assistance au Parlement et jouera ce rôle aussi souvent que nécessaire.

Je ne me prononcerai pas sur la règle d'or mais la Cour a déjà évoqué à plusieurs reprises le rôle que pouvaient jouer les institutions indépendantes comme le Haut Conseil des finances publiques. Je salue d'ailleurs les propositions du rapporteur général et de votre commission et j'espère que la sagesse saura prévaloir au niveau du Parlement. Le rôle des institutions financières indépendantes se renforce partout car elles joueront un rôle majeur lorsqu'interviendra inévitablement la révision des règles européennes. Il serait tout à fait fâcheux que la France reste avec les institutions indépendantes ayant les mandats et les moyens les plus faibles de l'Union Européenne. Ce ne serait pas un service à rendre aux citoyens ni au Parlement. Je souhaite donc que la démarche que vous avez engagée aboutisse car elle relève de l'intérêt général.

Nous ne pouvons pas piloter les finances publiques sans règles. Je souhaite pour ma part, à titre personnel, que la révision des règles européennes soit concomitante avec la suspension des règles actuelles. Il serait aberrant à mes yeux de rétablir des règles qui se sont avérées dysfonctionnelles à divers égards : elles ont un aspect procyclique, ce qui a pour effet potentiel de freiner la croissance en phase de démarrage. Nous souhaitons que les règles futures soient plus intelligentes. La France aura une occasion de faire prévaloir ses idées lorsqu'elle assumera la présidence de l'Union Européenne.

S'agissant de la hausse des dépenses publiques publiée par l'Insee et traduite en comptabilité nationale, il convient de tenir compte de la suppression du CICE. La hausse des dépenses publiques hors crédit d'impôt est ainsi plus importante, et c'est ainsi que l'on aboutit à une augmentation de 93 milliards d'euros. Afin d'évaluer l'augmentation des dépenses des administrations publiques, nous avons neutralisé des opérations de grande ampleur telles que le transfert d'une dette de 25 milliards d'euros de la SNCF et la contribution exceptionnelle de 4,8 milliards d'euros de l'assurance maladie à Santé Publique France. Nous aboutissons ainsi à un montant de 96,4 milliards d'euros. Nous avons ensuite passé en revue toutes les missions de l'État afin d'évaluer leur contribution à la réponse à la crise. Nous avons procédé à une analyse similaire pour l'Unedic, l'assurance maladie et les collectivités locales. Il n'appartient pas à la Cour de guider les choix budgétaires mais elle propose une méthode : l'introduction d'une loi de programmation des finances publiques.

Pour ce qui est des PGE, d'après le programme de stabilité 2021-2027, le coût pour l'État avait été évalué à 5,3 milliards mais d'après les informations disponibles à ce jour, les défaillances seraient moins fréquentes que dans les prévisions initiales. On peut donc espérer que le montant annoncé soit revu à la baisse. Il reste néanmoins assez difficile d'analyser l'évolution du contexte macroéconomique en 2022 et dans les années futures. La Banque de France s'intéresse à la situation des entreprises et il ressort de ses analyses que 14 % des entreprises ont vu leur trésorerie baisser et leur dette augmenter pendant la crise.

Le rapporteur général m'a interrogé sur la manière de vérifier les déclarations de perte d'activité des professionnels de santé. Dans un premier temps, l'assurance maladie a versé des provisions sur la base des montants déclarés par les professionnels, soit un total de 1,15 milliard d'euros en 2020. Elle s'est engagée à calculer le montant définitif des aides en fonction des données dont disposent les diverses administrations publiques. Cette démarche n'appelle aucune critique de notre part, bien au contraire. Nous estimons que l'exercice de la solidarité nationale appelle la mise en œuvre d'un contrôle efficace afin de garantir le paiement de la somme adéquate, quel que soit l'objet de la dépense. Dans le cadre de sa mission de certification des comptes de l'assurance maladie, la Cour s'est assurée de l'exhaustivité des engagements ainsi que de la constatation des indus.

Concernant le calendrier de sortie de crise, les recommandations de la Cour en la matière dans son rapport sur la trajectoire des finances publiques ont été suivies par le Gouvernement. D'ailleurs, à l'époque, le rapport avait suscité des critiques, mais, en fin de compte, la posture prudente de la Cour s'est avérée pertinente compte tenu des incertitudes. Nous approuvons notamment la date de disparition du fonds de solidarité et du dispositif d'activité partielle.

Lors des échanges avec la Cour, la direction du budget a fait valoir que les fonds de concours étaient réguliers et que le financement direct par l'assurance maladie par l'intermédiaire de dépenses à caractère sanitaire permettait de donner à ces dépenses un caractère de financement unique. Ces arguments n'ont pas entièrement convaincu la Cour. Il me semble par ailleurs que la création d'un programme intitulé Matériels sanitaires pour faire face à la crise de la covid 2019, doté de 430 millions d'euros, permettant de financer des achats de masse et l'acquisition de matériel, est un argument supplémentaire pour justifier la suppression des fonds de concours.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la situation des ménages. Les revenus des ménages ont été globalement préservés durant la crise mais avec une certaine hétérogénéité de situation. La crise a frappé plus durement les personnes qui travaillent dans les secteurs les plus affectés. Les jeunes, notamment les étudiants isolés, ont vécu une dégradation significative de leur situation. Inversement, le patrimoine des ménages les plus aisés s'est fortement accru. Et je ne parle pas de ceux, beaucoup plus aisés que d'autres, dont le patrimoine a explosé. L'Insee prévoit cependant que la généralisation de la vaccination permettrait un redémarrage de la consommation au quatrième trimestre, notamment pour les secteurs soumis au passe sanitaire. Le rebond serait de 4,5 % en 2021 après une chute de 7,2 % en 2020. Par ailleurs, les organismes sociaux versant des prestations sociales ont été invités, à travers la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, à travailler davantage sur la question du non-recours aux droits de la part des personnes remplissant les critères d'exigibilité.

S'agissant des effets d'aubaine, des contrôles et des divergences de points de vue qui ont été exprimées, il n'existe pas à proprement parler de divergences massives. Nous partageons la plupart des constats du comité en charge de l'évaluation des mesures de soutien aux entreprises. Nous estimons cependant, à la différence de ce dernier, que la complexité des dispositifs de solidarité était un élément qui favorisait le développement des effets d'aubaine. Nous constatons notamment un effet d'aubaine significatif lié à l'activité partielle : des entreprises qui auraient pu poursuivre leur activité ont préféré y recourir. Si le recours croisé aux aides est relativement peu fréquent de manière générale, il est nettement plus élevé pour les entreprises du secteur de l'hôtellerie et de la restauration, et c'est précisément pour ces entreprises que nous identifions de potentielles surcompensations. Je pense qu'un outil visant à contrôler le montant total des aides perçues par chaque entreprise aurait été judicieux.

Concernant les fraudes, je vous renvoie au rapport de la Cour des comptes sur la situation des entreprises. La dette nette apparaît en légère diminution, de manière plus marquée que chez nos voisins, mais la dernière publication de la Banque de France fait état d'une augmentation de 1 % de la dette nette des sociétés non financières. Quelles que soient les révisions qui seront apportées à ces chiffres, nous soulignons que ces données agrégées recouvrent des situations hétérogènes.

La Cour souligne effectivement que la baisse des coûts est intervenue après un certain délai. L'objectif était d'assurer un très large accès aux tests, y compris auprès de laboratoires indépendants. Avec le recours massif à la vaccination, cette exception française doit connaître une forme d'extinction.

Si vous estimez ne pas avoir eu de réponse suffisamment détaillée à certaines de vos questions, nous pourrons y répondre par écrit. Comme je vous l'ai expliqué, la Cour n'a pas terminé son travail d'analyse. Elle sera toujours disponible pour vous répondre avec diligence. Nous avons toujours plaisir à échanger avec vous.

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