Comme cela vient de vous être expliqué, ce rapport a été élaboré sous une configuration particulière à travers une délégation réunissant toutes les chambres de la Cour des comptes et des chambres régionales. Nous nous sommes intéressés à la fonction publique d'État, à la fonction publique territoriale et à la fonction publique hospitalière. Cette saisine correspondait tout à fait aux compétences de notre formation, qui s'intéresse à des sujets transversaux tels que la gestion des ressources humaines. Nous espérons avoir traité les deux missions qui nous étaient données : dresser un état des lieux des arrêts maladies au sein de la fonction publique, en volume et en coût ; évaluer l'efficacité de la gestion et notamment de la maîtrise des arrêts maladie.
Les arrêts maladie ont tendance à progresser de manière préoccupante. Nous vous présentons aujourd'hui notre rapport synthétique mais des informations plus complètes figurent en annexe, notamment une analyse des causes d'absentéisme.
Les modalités de gestion des arrêts maladie diffèrent entre les trois fonctions publiques mais nous ne critiquons pas cet état de fait. Les collectivités locales disposent d'une grande marge d'appréciation, notamment pour ce qui concerne le régime indemnitaire. Il en va de même pour les établissements hospitaliers, qui sont autonomes dans leur gestion. Pour autant, nous observons des caractéristiques communes : durée des indemnisations, mode de prise en charge du traitement indiciaire, etc. Certaines de nos critiques s'appliquent aux trois versants de la fonction publique, notamment à propos de l'absence de dématérialisation, de la coexistence de deux catégories de congés de longue durée – nous pensons qu'une harmonisation est possible – et de l'insuffisance des actions de prévention.
Les données que nous vous présentons sont estimatives. Nous avons dû les construire en usant de diverses méthodes sur lesquelles je ne m'étendrai pas ici, mais qui sont expliquées dans le rapport. La rémunération des arrêts maladies se situe entre 11 et 12 milliards d'euros et nous constatons une progression de 21 % en volume entre 2014 et 2019. La durée moyenne des arrêts maladie pour l'ensemble des fonctionnaires passe de dix à douze jours.
Cette somme de 11 à 12 milliards d'euros représente entre 240 000 et 250 000 ETPT, soit autant d'emplois permanents. La presse a mentionné ces montants absolus mais il convient de rappeler que la masse salariale des trois versants de la fonction publique s'élève à 304 milliards d'euros. Le taux est donc inférieur à 4 %. Par ailleurs, la presse n'a pas toujours insisté sur le fait qu'il ne s'agit ici que d'une estimation.
Le montant réel peut être supérieur car nous n'avons pas pris en compte le coût du remplacement des agents absents. Nous n'avons pas été en mesure d'agréger les données de toutes les collectivités locales, de tous les établissements hospitaliers et même de toutes les administrations de l'État. Seuls certains ministères disposent d'une estimation fiable du coût des remplacements car ces derniers sont liés à l'impérativité de continuité du service public. Un agent travaillant dans un bureau en préfecture n'est pas nécessairement remplacé s'il est absent ; en revanche, un professeur des écoles absent est remplacé systématiquement sans délai et un professeur de l'enseignement secondaire au bout de quinze jours d'absence. Nous savons donc que les remplacements coûtent environ deux milliards d'euros par an à l'éducation nationale. Là encore, il convient de rapporter ce montant à la masse salariale chargée, qui est de l'ordre de 70 milliards d'euros.
Nous avons également été susceptibles de surestimer certains montants car nous ne disposions pas d'informations sur les régimes indemnitaires et sur les modulations susceptibles de s'appliquer par rapport au salaire perçu par les agents publics lorsqu'ils sont en inactivité. Nous avons effectué les calculs comme si la rémunération était intégralement maintenue.
Quoi qu'il en soit, cette masse budgétaire est conséquente et en augmentation, et ce sujet doit donc être traité.
Par ailleurs, les arrêts maladie de courte durée, qui sont ceux qui affichent les taux de progression les plus rapides, ont des conséquences immédiates sur la qualité et sur la continuité du service public. En effet, de manière générale, les différentes administrations parviennent à remplacer leurs agents en arrêt de longue durée. En revanche, l'absence d'un interlocuteur à un guichet ou au téléphone peut représenter une gêne dès le premier jour pour les citoyens qui cherchent à accéder à un service public.
Nous constatons par ailleurs une forte hétérogénéité entre d'une part la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, caractérisées par des volumes importants d'arrêts maladie (nettement supérieurs aux entreprises du secteur privé) et par une forte progression du phénomène, et d'autre part la fonction publique d'État. Cette différence s'explique par le fait que les deux premières emploient un nombre assez élevé d'agents de catégorie C, qui sont les plus exposés, et qu'à l'inverse les agents de catégorie A sont plus nombreux au sein des administrations de l'État. En outre, la fonction publique d'État comprend près d'un million d'agents de l'éducation nationale, et les enseignants ne disposent pas du même régime de prise en compte des arrêts maladie. Un enseignant peut être malade en dehors de ses périodes de service. Ne se pose pas pour eux la question de la prise en compte du régime indemnitaire puisque l'on raisonne à partir du régime indiciaire.
Nous constatons que la gestion des arrêts maladie est extrêmement complexe, avec une grande hétérogénéité. Cela peut se justifier par la diversité des employeurs et de leurs missions. Il n'en demeure pas moins que les taux de remplacement des salaires sont très hétérogènes entre les catégories d'agents. Les agents contractuels, qui sont très nombreux dans la fonction publique, sont soumis au régime général, avec le versement d'indemnités journalières de sécurité sociale. Quant aux agents titulaires, qui travaillent souvent dans les mêmes services, le régime indiciaire est uniforme mais le régime indemnitaire ne l'est absolument pas. Les fonctions publiques territoriales et hospitalières disposent là d'une autonomie de gestion et le niveau de couverture de la rémunération pendant les arrêts maladie dépend des accords sociaux locaux.
Cette hétérogénéité est moins importante pour les arrêts de longue durée. Le régime indiciaire est maintenu plus longtemps et il est plus uniforme mais il existe deux régimes différents d'arrêts de longue durée, ce qui est une importante source de complexité.
Cette complexité serait certainement moindre avec une gestion dématérialisée, prévoyant par exemple des échanges de données informatisées avec les médecins et les CPAM. La superposition des comités médicaux au sein de la fonction publique et des CPAM est un facteur de complexité complémentaire. L'absence de dématérialisation ne constitue pas seulement un défaut pour l'administration et pour le recueil des données mais elle a aussi des conséquences pour les agents publics, qui se heurtent à une certaine opacité et reçoivent des demandes de remboursement lorsqu'ils changent de situation. Ces demandes sont forcément transmises avec un certain retard, là encore à cause du défaut de dématérialisation.
Nos recommandations peuvent être regroupées autour de trois idées : mieux connaître les arrêts maladie, simplifier leur gestion et maîtriser les arrêts de courte durée.
Dans le premier domaine, diverses administrations procèdent à une refonte de leurs bases de données sociales et nous recommandons la production d'indicateurs harmonisés qui seraient utilisés par les trois versants de la fonction publique. Cela permettrait d'avoir accès à des informations impossibles à obtenir actuellement.
Pour simplifier la gestion des arrêts maladie, nous recommandons d'unifier les deux régimes qui s'appliquent aux congés maladie de longue durée – avec naturellement des modalités d'application pertinentes pour chaque catégorie d'agents. Cela permettrait d'éviter les changements de statut et leurs conséquences assez dommageables pour les agents, tout en allégeant la gestion.
Nous recommandons également qu'un avis unique qualifie l'arrêt maladie et le taux d'incapacité. Le comité médical de l'employeur et les instances propres aux CPAM examinent les dossiers individuels séparément, ce qui génère deux avis médicaux distincts. Mais, me demanderez-vous, lequel choisir ? La Cour pense que le comité médical de l'employeur devrait prévaloir, sachant que les agents publics ne relèvent pas nécessairement de la CPAM. C'est à l'État de conduire une expertise sur le sujet afin de prendre une décision.
Nous émettons également plusieurs recommandations dans le domaine de la dématérialisation, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail. Actuellement, il n'existe aucune obligation de transmission d'informations dématérialisées par les médecins comme c'est le cas pour le secteur privé. Cette évolution nous semblerait normale et efficace. De même, les données relatives aux arrêts des agents publics ne sont pas collectées par les CPAM et nous pensons que cette consolidation permettrait de nourrir des plans de prévention au sein de la fonction publique. L'employeur public peut toujours assurer cette consolidation lui-même mais le fait que l'assurance maladie s'en charge serait un élément facilitateur.
J'en arrive à deux recommandations relatives à la maîtrise des arrêts maladie, qui ont été fortement relayées dans la presse. Nous considérons que l'employeur public doit moduler son régime indemnitaire lorsqu'il s'agit d'arrêts de courte durée répétitifs et résultant manifestement d'un comportement anormal de certaines populations. Nous affichons une certaine prudence dans l'expression de ce point de vue. Nous adoptons un discours équilibré : nous distinguons en effet les comportements individuels des phénomènes collectifs. Nous notons que si l'on constate une explosion des arrêts maladie de courte durée dans un service donné, cela peut être la conséquence d'un défaut managérial, comme la mauvaise gestion d'une situation de harcèlement. Il ne s'agit donc pas d'adopter un discours simpliste visant à sanctionner mécaniquement les arrêts maladie trop fréquents. Notre discours est donc bien plus modéré que ce qui a été relayé dans la presse. Nous en appelons d'ailleurs à la responsabilité managériale sur ce sujet.
La dernière recommandation concerne l'efficacité des professionnels de santé. Nous pensons que le conseil médical – qui sera réformé le 1er février 2022 – travaillerait plus efficacement en ne se saisissant que des dossiers résultant d'une divergence d'appréciation entre l'agent et son employeur. Nous estimons par ailleurs que la pratique des centres de gestion mutualisés entre les fonctions publiques territoriales pourrait être généralisée. Cela permettrait d'ailleurs de faire face au déclin de la démographie médicale, au-delà du partage des expériences.
J'ai fait en sorte d'être le plus bref possible pour avoir le temps de répondre à vos questions.