Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Il y a six ans, fin septembre 2015, votre commission m'a fait confiance pour exercer la responsabilité de gouverneur de la Banque de France. Cela reste, pour moi, un moment fondateur. À présent, le Président de la République me fait l'honneur de vous proposer ma reconduction. Depuis six ans, nous avons heureusement eu l'occasion de nous rencontrer à quatorze reprises, dans le cadre de votre commission, mais l'audition de ce jour est différente en ce qu'elle représente, à mes yeux, une étape démocratique essentielle, qui seule légitime l'indépendance : elle requiert le compte rendu du premier mandat que vous m'avez confié et mon engagement sur le second, dont vous pourriez décider. Comme ce n'est pas une rencontre habituelle, je n'évoquerai que très rapidement, en conclusion de mon propos, les enjeux économiques et monétaires du moment, mais nous pourrons y revenir au cours de la discussion. Par ailleurs, comme l'a indiqué M. le président, votre rapporteure m'a posé des questions, auxquelles j'ai essayé de répondre de la manière la plus exhaustive possible.

Je souhaite d'abord vous parler, au nom des femmes et des hommes de la Banque de France, dont cette proposition de reconduction reconnaît avant tout le travail collectif, d'une conviction parmi les plus fortes qui m'animent, à savoir le service public. Celui-ci, souvent considéré comme un poids lourd et passéiste, peut au contraire être un grand atout pour notre pays, à condition d'être en mouvement et non en conservation, ouvert sur l'économie et la société et non replié derrière ses procédures et ses guichets.

À travers l'expérience de la Banque de France et de ses deux plans stratégiques – Ambitions 2020, déjà réalisé, et Construire ensemble 2024, en cours de réalisation –, nous croyons pouvoir dire sans prétention que le service public réunit quatre vertus : il est innovant dans ses missions, performant dans sa gestion, visible pour nos concitoyens, et attractif pour ses dirigeants et ses agents.

Le service public est innovant et utile. En effet, au cours de six années de fortes turbulences, la Banque de France s'est d'abord attachée à soutenir l'économie et à maintenir la confiance, depuis le Brexit et les tensions internationales qui ont commencé en 2016 et 2017, jusqu'à la crise du covid de 2020 et 2021. Pendant cette période, la confiance des Français dans leur monnaie, l'euro, a augmenté, passant de 67 % en 2015 à 74 % en 2021. Il en est de même de la solidité de nos banques, puisque le ratio de fonds propres durs ( Core Equity Tier 1, CET1) des six premières banques françaises, de 12 % en juin 2015, a atteint 15,4 % en juin 2021. Alors que nous cotions un peu plus de 250 000 entreprises et PME en 2015, nous en coterons environ 310 000 environ cette année.

À ces missions centrales s'ajoutent au moins trois importantes innovations de la Banque de France pour répondre aux attentes de nos concitoyens et de l'économie.

Tout d'abord, la lutte contre le changement climatique, pour laquelle la Banque de France est reconnue comme pionnière en Europe. Nous avons créé le réseau mondial Network for Greening the Financial System (NGFS) en 2017, publié le premier rapport annuel d'investissement responsable en 2019 et conduit, avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), les premiers stress tests climatiques sur les banques et assurances en 2021. D'ici 2024, nous aurons verdi la politique monétaire européenne, conformément à notre revue stratégique conclue en juillet autour de Christine Lagarde. La Banque de France s'engage en outre sur sa propre neutralité carbone en 2030.

La deuxième innovation porte sur la digitalisation des moyens de paiement et des actifs. Tout en veillant à préserver l'égal accès aux espèces, nous avons déjà mené neuf expériences de monnaie numérique de banque centrale (MNBC) et participerons activement au projet de la Banque centrale européenne (BCE) en ce sens d'ici 2023. L'ACPR est désormais l'interlocuteur des fintechs autant que des acteurs préexistants. Dans les prochains mois, nous soutiendrons activement la régulation européenne des crypto-actifs.

Enfin, la Banque de France est, depuis 2016, opérateur national pour l'éducation économique et financière des publics (Educfi). Nous avons ouvert Citéco, la Cité de l'économie et de la monnaie, en 2019, participé au service national universel (SNU) en 2021 et voulons atteindre plus de 6 millions de Français à travers nos sites et portails spécifiques d'ici 2024.

Dans les prochaines années, la Banque de France devra faire face à d'autres changements imprévus : soyez certains que nous serons en mesure de nous adapter, puisque c'est là notre devoir.

J'ai également évoqué un service public performant sur le plan de la gestion – j'entends par là un service public de plus grande qualité rendu au meilleur coût. Depuis six ans, La Banque de France a réduit ses dépenses nettes totales de 13 % – soit une économie d'argent public de 137 millions d'euros courants chaque année –, et elle les gardera stables d'ici 2024.

En six ans, la diminution des effectifs de 22 %, pour atteindre 9 373 équivalents temps pleins fin 2021 – et un peu moins de 8 800 prévus fin 2024 –, s'est faite à mesure des départs à la retraite, tout en effectuant des recrutements importants et en ajoutant certains services. Cette forte augmentation de notre productivité – je n'ai pas peur d'employer ce mot s'agissant du service public –, qui résulte d'un effort important de réorganisation de notre réseau, d'investissements significatifs, notamment en informatique, ainsi que d'un fort engagement professionnel des cadres et des agents, peut être un motif de fierté collective. Les résultats de la Banque de France peuvent constituer – je le dis sans prétention – un enseignement utile pour d'autres services publics : des économies publiques sont possibles. Il faut notamment combiner deux paramètres : la durée, avec des objectifs pluriannuels clairs – ici 2020 puis 2024 –, d'une part, et une meilleure autonomie des dirigeants, responsabilisés sur des enveloppes de moyens globalisés par direction générale, d'autre part.

Le troisième espoir du service public concerne sa visibilité pour nos concitoyens. La Banque de France est d'abord soucieuse de maintenir sa présence dans tous les territoires, en conservant durablement au moins une succursale par département. Cela est compatible avec notre performance, dès lors que le traitement des dossiers, le back-office, a été partagé dans des centres interdépartementaux. Je crois profondément à notre ancrage auprès des entrepreneurs et des particuliers et à la proximité que permet notre réseau. Aussi, je me suis déjà rendu dans quarante-huit succursales au cours de mon premier mandat et je m'efforcerai de visiter les autres durant le second.

La relation avec nos concitoyens passe aussi par une communication plus active, plus accessible d'un point de vue numérique, et plus jeune, à travers les réseaux sociaux. En 2021, la Banque de France s'est attachée à casser l'image, ou plutôt le cliché, de la « tour d'ivoire » en organisant quinze rencontres nationales et régionales à propos de la politique monétaire, parallèlement à un dialogue spécifique avec votre commission. Dépassant de loin nos espérances, plus de 300 000 Français nous ont rejoints pour un « moment en ligne », qui deviendra une rencontre annuelle à partir de 2022. Nous voulons enfin accroître le degré de satisfaction de nos usagers concernant onze services essentiels. Actuellement, 86 % d'entre eux, en moyenne, se déclarent satisfaits ou très satisfaits ; nous espérons dépasser les 90 % d'ici 2024. Vous, représentants de la nation, contribuez grâce à nos échanges à améliorer nos services aux Français, et je veillerai à ce que la Banque de France reste à votre disposition, avec un souci de proximité.

Enfin, le service public se doit d'être attractif pour celles et ceux qui y concourent. La Banque de France continue à recruter massivement de nouveaux talents – 2 700 au total entre 2015 et 2024 – à travers des modes désormais diversifiés, combinant concours et recrutements contractuels, pour s'adapter à un marché compétitif et aux attentes nouvelles des jeunes. Elle poursuivra parallèlement une forte action de promotion interne, pour laquelle nous avons pris des engagements chiffrés.

Plus largement, conserver notre attractivité repose, bien plus que sur des protections statutaires légitimes, sur l'intérêt de nos missions et sur deux ambitions.

D'une part, nous nous efforçons d'intéresser les agents aux gains de performance, comme nous l'avons fait en 2019, en associant l'intéressement aux économies sur les frais généraux. Nous poursuivons la rénovation de notre pacte social en remplaçant certaines pratiques anciennes – comme Gescco, dont la mission était d'assurer la gestion des comptes internes du personnel, auquel nous avons mis un terme – par des avancées sociales attractives telle que la mise en place d'une prévoyance collective résultant du dialogue social. Celui-ci a, par ailleurs, récemment abouti à la signature d'accords novateurs concernant le télétravail ou la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels.

D'autre part, nous ambitionnons de nous montrer plus attentifs aux conditions pratiques de travail. Sur l'immobilier et le développement durable, sur les outils informatiques et sur la simplification des procédures internes et externes, la Banque de France se doit d'être un employeur du XXIe siècle, à la pointe. Je rappelle que les femmes et les hommes de la Banque de France ne sont pas des privilégiés : à la mesure de leur performance accrue et de notre maîtrise des coûts, le pacte social est mieux justifié et sera régulièrement modernisé.

Si vous m'accordez votre confiance pour un nouveau mandat, voilà ce à quoi je crois, ce à quoi nous croyons pour la Banque de France dans les années qui viennent.

Si vous le voulez bien, j'aborderai lors des questions et réponses les considérations relatives à la croissance, à l'inflation, à la réglementation bancaire et aux assurances.

Je conclurai en évoquant plus globalement l'enjeu européen. L'Europe, dans l'ensemble, a bien géré la crise du covid et ses effets économiques, mais une fois l'urgence passée, il faut plus que jamais renforcer son architecture. La Banque de France joue un rôle très actif, et même central, dans les discussions de politique monétaire à Francfort, où vous pouvez être sûrs que nous défendons des vues françaises. Cependant, la zone euro doit encore compléter son union monétaire, qui a prouvé sa résilience, par une union économique autour d'un stabilisateur public – une capacité budgétaire commune – et privé – l'union bancaire et l'union des marchés de capitaux afin de mieux utiliser l'épargne privée abondante. Sur ce dernier point, nous avons une marge de progrès très significative. Je crois, plus largement, à l'impératif d'une souveraineté économique européenne si nous voulons réussir deux transformations décisives mais exigeantes : la transformation numérique, où l'Europe est en retard, et la transformation écologique, où elle a une chance de conserver son avance.

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