Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur l'évolution du métier des banques centrales dans cette période agitée. Notre boussole, c'est notre mandat, qui consiste à assurer la confiance dans la monnaie par le biais de la stabilité des prix. Pendant ces années de crise et d'innovations, la confiance dans la monnaie a augmenté : c'est la meilleure reconnaissance que nous puissions espérer recevoir.
La définition précise de la stabilité des prix ne change pas. Ce qui peut changer, en revanche, ce sont les instruments de la politique monétaire et les attentes placées en ces derniers. Dans un contexte mondial de baisse tendancielle des taux d'intérêt, pour des raisons indépendantes de la politique monétaire, l'épargne est supérieure à l'investissement. Aussi, depuis la crise financière de 2012, nous avons été amenés à développer des instruments dits non conventionnels, que nous avons d'ailleurs renforcés lors de la crise du covid. La revue stratégique de la BCE a acté le fait que ces instruments faisaient partie de la boîte à outils : il serait donc plus adéquat de les qualifier de « néoconventionnels », considérant que ces innovations font désormais partie au paysage. En outre, nous faisons face à des attentes inédites de la part de nos concitoyens et à des besoins différents de l'économie. Je pense non seulement au défi climatique mais également au défi technologique, avec l'apparition de nouveaux actifs qui prétendent être des quasi-monnaies – je considère, pour ma part, qu'il s'agit plutôt de crypto-actifs.
Le cap est le même, le métier évolue et la Banque de France, à l'instar de toute banque centrale, s'adapte au monde.
Cependant, il est nécessaire de garder une grande modestie. Nous sommes quelquefois confrontés à des attentes excessives vis-à-vis de la banque centrale ; or nous ne savons ni ne pouvons tout. À propos de la crise climatique, par exemple, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir mais la finance verte n'est pas en mesure de régler la transition climatique à elle seule – rappelez-vous certains sujets délicats comme le prix du carbone.
Monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, vous m'avez tous les deux interpellé au sujet de l'inflation. En quelques semaines, certains commentateurs sont passés de l'euphorie liée à la reprise mondiale à la crainte infondée de la « stagflation ». Les reprises française et européenne restent très fortes, tous les chiffres en témoignent. Des difficultés d'approvisionnement liées à cette reprise persistent, tandis que nous connaissons une crise de l'énergie entraînant une poussée de l'inflation, mais celle-ci devrait être temporaire et redescendre sous la barre des 2 % d'ici la fin de l'an prochain. De manière légitime, nos concitoyens sont sensibles à la hausse des prix de l'énergie, mais en tant que banque centrale, nous sommes soucieux de regarder l'ensemble des prix, l'inflation totale, qui seule permet d'évaluer l'évolution du pouvoir d'achat et de déterminer si l'économie tourne au bon régime. L'énergie est certes un sujet très sensible mais elle ne représente qu'un peu moins de 10 % du panier de consommation ; l'essentiel, ce sont les services, les produits alimentaires et les produits industriels, dont la hausse est inférieure à 2 %. Face à cette poussée momentanée de l'inflation, notre politique monétaire se doit de rester vigilante et patiente. N'ayez aucun doute quant à notre volonté et à notre capacité de maintenir l'inflation autour de 2 % à moyen terme.
Vous avez posé la question, monsieur le rapporteur général, de l'évolution de nos programmes dans ce contexte. Le conseil des gouverneurs se prononcera probablement au mois de décembre. À mon sens, compte tenu des conditions actuelles, il est probable que les achats nets du PEPP prennent fin en mars prochain ; a contrario, il me semble souhaitable que le TLTRO se poursuive sous une forme modifiée, s'agissant notamment de ses conditions de tarification.
Madame la rapporteure, les sérieuses difficultés d'approvisionnement que nous connaissons sont temporaires. Les difficultés de recrutement constituent en revanche le principal frein à la croissance, en France, où nous connaissons une situation singulière, un paradoxe déjà notable avant la crise. En effet, alors même que le taux de chômage reste autour de 8 %, 53 % des entreprises font état de difficultés de recrutement, selon notre enquête mensuelle de conjoncture publiée la semaine dernière. Il n'y a donc pas de réformes plus urgentes que celle visant à réduire l'insuffisance de l'offre de travail disponible pour les entreprises. Se jouera ici notre capacité à passer d'une croissance de 1,25 % environ – ce qui est peu mais correspond au niveau de l'avant-covid – à 2 % en vitesse de croisière, après la reprise. Telle est notre ambition.
Vous m'avez également interrogé à propos de la BCE, de l'adaptation de la politique monétaire aux nécessités budgétaires des États et du surcoût budgétaire de l'inflation. Vous comprendrez que notre politique monétaire ne peut pas être conduite en fonction d'objectifs budgétaires. Il se trouve simplement que, pendant la crise du covid, les politiques budgétaire et monétaire ont agi dans le même sens, se soutenant mutuellement. Cet heureux parallélisme s'est produit, mais notre boussole, c'est l'inflation. Ainsi, la meilleure aide que nous puissions apporter à l'État, face aux surcoûts budgétaires évoqués, consiste à garantir l'ancrage de l'inflation, dans la durée, autour de 2 %.
La Banque de France a maintenu sa méthode de cotation des entreprises pendant la crise – c'était important en termes de crédibilité. Cependant, nous n'avons jamais appliqué automatiquement une analyse des bilans ni dégradé une entreprise simplement parce que ses ratios financiers avaient été temporairement affectés par la crise. À chaque fois, nous avons dialogué avec les chefs d'entreprise. Une application pragmatique, mesurée et raisonnable de notre méthode de cotation a tout d'abord permis d'éviter, en 2020, davantage de dégradations, même si nous avons procédé à un peu moins de rehaussements. Aussi la situation financière des entreprises s'est-elle trouvée meilleure que ce que nous pouvions craindre. En 2021, il y a eu un peu plus de rehaussements de cote que de dégradations, ce qui nous a surpris car ce n'était pas forcément le résultat que nous attendions. La cotation est donc restée crédible – la fiabilité du thermomètre est évidemment notre premier devoir –, mais elle n'a pas gêné l'accès au crédit, resté largement ouvert aux entreprises françaises de toutes tailles.
Je vous remercie, madame la rapporteure, de vos propos concernant les conditions inédites de mon mandat, mais notre premier devoir est de nous adapter au monde qui nous entoure.
Je vous ai transmis des chiffres satisfaisants au sujet des frais d'incidents bancaires et de l'offre spécifique. La baisse de 18 % de ces frais constitue un réel progrès pour nos concitoyens en difficulté. Je m'étais engagé envers votre commission, en 2015, à servir en homme droit et libre vis-à-vis de l'ensemble des secteurs privés ; j'espère l'avoir montré dans ce dossier et quelques autres.
Pouvons-nous aller plus loin dans cette offre spécifique « clientèle fragile » ? C'est souhaitable mais, pour répondre à votre question, nous n'avons pas actuellement d'objectif chiffré. Nous en avions à l'époque où l'offre spécifique bénéficiait à 300 000 personnes seulement ; nous visions alors une augmentation de 50 %, et nous avons à présent atteint presque le double. Il serait opportun d'aller plus loin mais nous n'avons pas d'objectif supplémentaire. En effet, même si nous insistons auprès des banques afin qu'elles continuent à promouvoir cette offre, l'adhésion à cette aide dépend principalement de la liberté des personnes concernées de l'accepter ou de la refuser.
À propos de Bâle III, vous avez évoqué la lettre des superviseurs. Je ne l'ai pas signée, non pas pour des raisons de fond, mais parce qu'il me semblait qu'en termes de calendrier et de procédure, cette démarche, qui n'avait pas beaucoup de précédents, était assez inopportune. Nous attendons la proposition de la Commission européenne, qui devrait d'ailleurs arriver la semaine prochaine. S'exprimer à l'avance pour simplement rappeler un soutien aux accords de Bâle III peut être considéré comme un peu excessif, voire comme une motion de défiance.
Sur le fond, cependant, je souscris à l'esprit de cette lettre. La transposition raisonnable de Bâle III est nécessaire, tant pour assurer la stabilité financière que pour respecter l'engagement multilatéral de la France. Elle ne menacera en rien le bon financement de l'économie française, pas même pour l'immobilier ni pour les PME, comme j'ai eu l'occasion de l'expliquer devant votre commission au printemps. Les messages de certains acteurs de la profession à ce propos sont infondés : pas un euro de crédit ne sera retiré à l'économie française à cause de Bâle III. Le crédit est d'ailleurs resté dynamique depuis dix ans, malgré le renforcement des réglementations financières, conformément à ce que nous avions dit et contrairement à ce qu'avaient imaginé certains acteurs bancaires.
À propos des assurances, je confirme que la récente proposition de la Commission européenne, à savoir une actualisation de la directive Solvabilité II, nous paraît aller dans le bon sens et constituer une très bonne base.
À l'inverse de certains commentateurs, je ne crois pas que les accords de Bâle III fragiliseront les banques – au contraire. La solidité des banques françaises et leur capacité d'adaptation, pendant ces années de turbulence, sont une force pour l'économie de notre pays. Contrairement à ce qu'elles prétendent régulièrement lorsqu'elles évoquent les accords Bâle III, le problème des banques françaises n'est pas la solvabilité mais la rentabilité par rapport à d'autres acteurs internationaux. Il s'agit même d'un enjeu clé pour la banque de détail, présente au plus proche des PME et de nos concitoyens.