Je remercie celles et ceux d'entre vous, nombreux, qui ont salué l'action des équipes de la Banque de France sur le terrain, pendant la crise. C'est d'ailleurs une façon de répondre à certains orateurs. J'insiste sur l'idée que notre raison d'être, c'est le service des Français, ce n'est pas nous-mêmes. Le service public n'est pas autocentré.
Monsieur Dufrègne, quand il est question de productivité publique – je comprends que l'expression ait pu vous surprendre –, il ne s'agit pas de ratios financiers, lesquels ne s'appliquent pas à un service public, mais de ce que nous produisons pour nos concitoyens. Je crois que nous avons produit davantage pendant la crise et que notre économie et notre société s'en sont mieux portées. Notre raison d'être, c'est le service des autres.
Monsieur Alauzet, je reprends votre terme de « triangulation ». Il est évidemment compliqué de combiner, à court terme, la gestion de la crise énergétique, et à moyen terme, la transition climatique. C'est au Gouvernement et au Parlement qu'il appartiendra de trouver les meilleures réponses mais je reconnais comme vous la difficulté du problème.
Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction, pour la BCE, à détenir des actifs qui comportent une part carbonée mais qui reflètent aussi la composition de l'économie. La BCE ne privilégie évidemment pas les actifs carbonés ; la composition de ses achats tient compte des risques financiers et reproduit à peu près la photographie de l'économie. Cela changera d'ici 2024 puisque ce sujet est inclus dans les engagements de la revue stratégique de politique monétaire. Cela suppose un important travail méthodologique pour apprécier le bilan carbone des entreprises et, surtout, son évolution. Nous voulons avoir une appréciation dynamique ; il n'y aura pas d'exclusion par secteur, mais la contribution de chaque entreprise à la transition climatique fait partie du risque que nous devrons apprécier.
La Banque de France s'est engagée, depuis début 2019, à exclure de ses investissements non monétaires – fonds propres et caisses de retraite – les actifs de toute entreprise développant de nouveaux projets d'énergies fossiles. Nous avons été pionniers et j'espère que l'ensemble des banques centrales de l'Eurosystème suivront ce mouvement. En tout cas, nous avons obtenu la publication de tous les investissements non monétaires des banques centrales d'ici la fin de l'an prochain.
La revue stratégique dont parlait tout à l'heure M. le rapporteur général n'aborde pas beaucoup les modèles d'anticipation de l'inflation. Pour autant, il conviendrait de réaliser un important travail de recherche et de méthodologie sur ce sujet, qui pourrait s'avérer très fécond. Nous nous préoccupons du climat, non seulement parce qu'il fait partie des causes auxquelles nous croyons et qu'il s'agit d'un de nos objectifs secondaires, mais surtout parce que la stabilité des prix à présent et à plus long terme s'en trouve affectée. J'ai beaucoup parlé de ce sujet la semaine dernière, lors des réunions du Fonds monétaire international (FMI) à Washington : tout le monde se tourne vers la Banque de France, qui est pionnière en la matière au sein du réseau NGFS que j'ai déjà mentionné, mais nous devons aller au bout de notre travail.
En effet, madame Dalloz, la maîtrise de l'inflation se joue maintenant mais elle s'est aussi jouée ces dernières années, alors que la déflation menaçait sérieusement. On oublie facilement que l'inflation dans la zone euro était de moins 0,5 % en décembre 2020 : le choc provoqué par le covid menaçait d'entraîner une déflation, que nous avons réussi à éviter. Notre politique monétaire évitera aussi une inflation durablement excessive – c'est un engagement. Deux erreurs de politique monétaire sont possibles : la première consisterait à surréagir à une poussée temporaire et à casser la reprise, tandis que la seconde serait, au contraire, d'ignorer une tendance durable à l'excès d'inflation. Je le répète : en ce moment, le risque de la première erreur est plus sérieux que celui de la seconde. Nous devons donc maintenir l'équilibre pour éviter ces deux fautes.
S'agissant des collaborateurs de la Banque de France, je n'ai peut-être pas été clair. Lorsque j'ai évoqué une baisse de 22 %, je ne parlais pas de la masse salariale mais des effectifs. La masse salariale s'est réduite mais le salaire par tête a augmenté pendant la même période. Ainsi, en tenant compte des départs à la retraite, la masse salariale a moins diminué que le nombre de collaborateurs. Ceci est donc compatible avec des recrutements significatifs, qui permettront un renouvellement et l'impulsion d'une nouvelle dynamique pour la Banque de France face aux défis du monde dans lequel nous vivons.
Je ne dispose pas de la liste des cinq académies concernées par le passeport financier mais nous vous la transmettrons très rapidement.
Monsieur Mattei, je suis assez prudent à propos de l'adaptation des modalités de sortie du PGE. La situation de la grande majorité des entreprises françaises ne me paraît pas justifier un allongement général de la durée de ces prêts. En revanche, avec le ministre de l'économie, nous avons insisté sur la possibilité, pour les banques, de faire du cas par cas, si nécessaire.
Je constate comme vous que les prêts participatifs ne rencontrent pas un franc succès. C'est en partie une bonne nouvelle : cela signifie que la situation des entreprises est sans doute meilleure que ce que nous pouvions craindre. Cette faible demande s'explique aussi – et j'apporte ici une réponse au rapporteur général – par le fait que les prêts participatifs ne sont pas vraiment des fonds propres, mais des prêts ! C'est une dette, la plus longue et junior qui soit. Souhaitons-nous aller davantage vers des produits de fonds propres ou de quasi-fonds propres, vers des actions à dividende prioritaire sans droit de vote ? La réflexion reste ouverte. Je rappelle que, globalement, les entreprises françaises ne manquent pas de crédits mais de fonds propres – c'est d'ailleurs la faiblesse de l'ensemble des économies européennes, comparativement avec les États-Unis. Cela explique en partie notre retard en matière d'innovation, car une entreprise qui a plus de fonds propres prend davantage de risques pour innover.
Les SPAC relèvent plutôt de la compétence de l'Autorité des marchés financiers (AMF). À titre personnel, je ne suis pas très loin de votre prudence, M. Mattei.
Le secteur financier chinois est un sujet de grande actualité. Je ne prétends pas, devant votre commission, avoir une connaissance parfaite de ce qui se joue à l'intérieur de l'économie et de la finance chinoises. C'est l'un de nos défis. La situation d'Evergrande est avant tout un problème chinois, qui aura peu de répercussions systémiques transfrontières. Le secteur immobilier jouant un rôle très important – voire trop important – dans la croissance chinoise, la conséquence la plus probable des difficultés d'Evergrande est un ralentissement économique pour la Chine plutôt que des contrecoups financiers en pyramide. D'après des chiffres très récents, ce ralentissement a déjà commencé.
Monsieur Bricout, vous affirmez que nos prévisions économiques sont plus favorables que celles du Gouvernement. Elles sont surtout indépendantes – je me permets de souligner cette notion d'indépendance parce que M. Coquerel a évoqué l'alignement supposé de mes positions sur celles du Gouvernement, ou l'inverse, ce qui me fait beaucoup d'honneur. Avant de prendre position, la Banque de France n'appelle pas le Gouvernement pour savoir ce qu'il en pense ! Je m'engage devant vous, avec beaucoup de force, à servir en toute indépendance, quels que soient les gouvernements et les majorités parlementaires. Je continuerai de dire ce que la Banque de France voit et ce qu'elle croit, comme je l'ai fait depuis six ans. Lorsque j'ai affirmé devant votre commission que je servirai en homme libre et en homme droit, ce principe était valable vis-à-vis de toutes les corporations, mais aussi du Gouvernement. Je n'énumérerai pas ici la liste de mes désaccords avec ce dernier – il y en a eu, et je les ai exprimés. Dans un certain nombre de cas, en revanche, il se trouve que nos convictions rejoignent celles du Gouvernement ; ce n'est pas une raison pour les cacher.
Notre prévision de croissance, indépendante et publiée avant celle du Gouvernement, s'établit à 6,3 % pour cette année – ce qui correspond à peu près au chiffre avancé par Bercy – et à 3,7 % pour 2022 – ce qui est légèrement inférieur aux 4 % prévus par le Gouvernement, mais je ne pense pas que cela représente un réel écart budgétaire.
La prévision d'inflation de la BCE est actuellement de 1,5 % pour 2023. Je ne peux évidemment pas m'engager sur ce chiffre à la décimale près mais vous pouvez constater que nous risquons davantage d'être en dessous de notre cible d'inflation de 2 % que d'être au-dessus, ce qui justifie le maintien d'une politique monétaire indépendante.
La question de la dimension territoriale de notre note de conjoncture nous est souvent posée. L'élaboration de notes sur le plan départemental nous ferait perdre en fiabilité méthodologique, le nombre d'entreprises concernées n'étant pas suffisant. Cependant, pour aller dans le sens de votre question, monsieur Bricout, nous intégrons désormais dans nos notes régionales une déclinaison départementale de nos analyses.
Je suis d'accord avec vous sur un point : proximité rime avec performance et efficacité. Nous partageons entièrement votre souhait et votre conviction, comme nous avons eu l'occasion de le montrer.
Le climat social à la Banque de France est « vivant » – il l'est plus ou moins selon les moments –, mais le dialogue est productif. En 2019, nous avons signé à l'unanimité un accord relatif à l'intéressement aux économies sur les frais généraux. En pleine crise du covid, ce mouvement s'est poursuivi puisque nous avons conclu à l'unanimité, fin 2020, un accord sur le télétravail, et tout récemment, deux accords sur la prévoyance collective et la gestion prévisionnelle des carrières. L'unanimité n'est pas une fin en soi mais elle témoigne de la vitalité et de la fécondité de notre dialogue social.
Je vous parlerai de l'âge de départ à la retraite si vous me réinvitez et je m'exprimerai là encore en toute indépendance.
Madame Lemoine, la régulation des crypto-actifs est nécessaire. La proposition de règlement européen en la matière, appelée Markets in Crypto-Assets (MICA), est un peu ancienne, puisqu'elle date de septembre 2020, mais elle constitue une très bonne base de travail. Il faudra non seulement en accélérer l'adoption – j'espère que cela se fera lors de la présidence française de l'Union européenne –, mais également en renforcer le contenu. En effet, dans le domaine de la finance décentralisée sont apparus de nouveaux acteurs et de nouveaux algorithmes qui échappent peu ou prou aux écrans radars : il faudra les intégrer dans le dispositif. Il ne s'agit pas d'être contre la technologie et l'innovation mais de se rappeler que la régulation est une condition de la confiance dans l'innovation.
Monsieur de Courson, les banques centrales peuvent jouer un rôle dans la régulation des crypto-actifs. Nous pouvons en tout cas faire cette proposition aux autorités exécutives et législatives, à qui appartient la décision.
Nous n'émettrons pas de crypto-actifs mais probablement une monnaie numérique de banque centrale. Il s'agira d'une vraie monnaie, stable, avec toutes les caractéristiques qui s'y attachent.
Je ne vous surprendrai pas en vous disant qu'il ne m'appartient pas de fixer le niveau d'une éventuelle norme de progression maximale annuelle des dépenses. Je suis très ferme sur ce point : cette décision relève d'un débat démocratique. Je formule simplement un souhait, que nous partageons tous, me semble-t-il : une fois que nous aurons adopté une norme de dépense, il faudra que nous la respections. Notre bilan en matière de respect de nos engagements n'est hélas pas particulièrement convaincant… Je ne vise aucun gouvernement en particulier – voyez dans ce propos une nouvelle preuve de mon indépendance. C'est d'ailleurs l'un de nos problèmes dans nos échanges avec nos partenaires européens, notamment dans le cadre de la renégociation du pacte de stabilité.
Si je vous dis un jour que les banques sont totalement préparées aux cyberattaques, vous devrez immédiatement voter la défiance. Un superviseur se doit d'être vigilant. Je note simplement que les banques n'ont cessé d'accroître leur mobilisation dans ce domaine ; nous veillons à ce qu'il en soit de même du côté des assurances. Je ne peux que rappeler que le risque de cyberattaques est très grand et qu'il a augmenté en raison de la digitalisation consécutive à la crise du covid.
Je suis d'accord avec vous, monsieur de Courson, s'agissant de la fragmentation du secteur bancaire européen. La situation n'est pas satisfaisante. Les cinq premières banques américaines représentent désormais plus de 40 % du marché américain, tandis que les cinq premières banques européennes représentent à peine plus de 20 % du marché européen. Nous devons donc nous diriger vers l'union bancaire et favoriser la constitution d'acteurs bancaires paneuropéens, tant pour consolider l'Union économique et monétaire que pour renforcer les acteurs bancaires. La digitalisation nécessite en effet des investissements très importants : dans les petites structures, la préparation au défi technologique est moins bonne, comme nous pouvons malheureusement le constater en ce moment.
Monsieur Coquerel, je n'irai pas jusqu'à vous remercier de votre vote défavorable mais je vous sais gré d'avoir précisé qu'il n'était pas lié à ma personne. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit avec beaucoup de force au sujet de mon indépendance. Ce n'est pas la première fois que nous discutons ensemble de la notion de service public : si nous y sommes tous les deux très attachés, nous n'en avons sans doute pas tout à fait la même conception. J'ai insisté sur le fait qu'il pouvait être performant et innovant : il ne doit pas être conservateur ni autocentré, mais au service des autres.
Nous sommes tout à fait engagés en faveur du projet « Refondation », qui consiste à créer une nouvelle usine de fabrication des billets. Il s'agit d'un investissement très important, de plus de 200 millions d'euros d'argent public. Il est prévu que le conseil général qui administre la Banque de France se prononce définitivement sur ce projet mi-2022. Je n'ai pas de raison de penser aujourd'hui que cet investissement n'aura pas lieu.
Vous m'avez interpellé au sujet des transporteurs de fonds et de l'adaptation de la filière fiduciaire. Nous n'allons pas obliger les Français à utiliser les billets plus qu'ils ne le font. C'est au service public de s'adapter aux attentes des Français, et non l'inverse – pardon de répéter ce principe, mais il me faut le rappeler de temps en temps à certaines organisations syndicales que vous connaissez. Il aurait été infiniment plus facile pour moi et pour les équipes de la Banque de France de ne pas avoir à fermer des caisses ; il se trouve cependant que la circulation fiduciaire diminue sensiblement. Nous verrons mi-2022 si ce mouvement se poursuit, mais nous tenons à maintenir ouvertes vingt-trois caisses. Nous tenons aussi à l'association entre les banques, les transporteurs de fonds et la Banque de France. Nous sommes obligés de faire des économies sur notre réseau de caisses mais les transporteurs de fonds doivent garder leur place au sein de la filière. S'ils s'engagent, avec les banques, à une certaine autolimitation de leur propre tri, nous les autoriserons à ouvrir des stocks auxiliaires de billets plus proches des lieux de distribution, ne serait-ce que pour des raisons écologiques. Je n'ai pas encore de chiffres précis s'agissant de la rémunération associée, mais elle se comptera sur les doigts d'une seule main – en tout cas, elle sera très inférieure aux économies que la Banque de France réalisera au service des contribuables.
Monsieur Dufrègne, vous avez dit que j'« écumais les médias ». Si je l'ai fait, en toute indépendance, c'est simplement parce que l'on m'a invité à expliquer la situation économique.
Je vous rejoins sur un point : l'une des façons de répondre aux difficultés de recrutement dans certains secteurs peut résider dans l'augmentation des salaires, mais c'est à la négociation par entreprise ou par branche d'en décider. Dans d'autres secteurs, ces difficultés s'expliquent avant tout par un manque de qualifications ou de compétences : dans ce cas, la réponse passe par la formation ou l'apprentissage. Il existe donc divers instruments dans la boîte à outils pour répondre aux difficultés de recrutement. Nous devons les utiliser ensemble. Je souhaite que le débat additionne les solutions plutôt que de les opposer.
S'agissant de la productivité des services publics, je citerai l'exemple du surendettement, où les améliorations se mesurent, y compris sur le plan qualitatif. À ce sujet, je salue le rapport que M. le député Chassaing a remis hier au Gouvernement ; il propose un certain nombre de progrès à effectuer sur lesquels nous travaillerons.
Monsieur Laqhila, nous commençons à examiner les critères extrafinanciers, y compris d'ordre climatique, dans le cadre de notre cotation. Nous devons cependant faire preuve d'une certaine prudence car nous sommes soucieux de la fiabilité du thermomètre. Il ne faudrait pas que ces convictions, que je partage entièrement, introduisent une dimension émotionnelle dans la cotation des entreprises : cette dernière doit rester factuelle.
Madame Park, nous aurons sans doute l'occasion de reparler de la stratégie de révision du cadre budgétaire : c'est un grand débat qui est devant nous et qui ne sera pas tranché immédiatement. Je crois à la norme de dépense mais ce n'est pas à moi d'en fixer le niveau. Il sera nécessaire de tenir compte de la qualité des dépenses publiques : les investissements pourront donc évidemment être privilégiés, bien que ces dépenses soient aussi génératrices d'endettement.