Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Monsieur Laqhila, je transmettrai bien sûr vos remerciements aux magistrats, aux rapporteurs et aux agents de la Cour. Le fait de travailler pour l'Assemblée nationale et plus particulièrement pour la commission des finances est une fierté particulière et une source de motivation. Nous continuerons d'apporter autant de soin à la rédaction de ces rapports. Comme l'a souligné M. le président, il est nécessaire d'en déterminer les sujets en amont afin qu'ils soient pertinents, utiles à la représentation nationale, qu'ils correspondent à notre domaine de compétence et qu'ils nourrissent le débat public. Mais ce n'est qu'un aspect parmi tant d'autres de la relation entre nos deux institutions, qui est très précieuse.

L'AFT est un opérateur de très grande qualité. Lorsque j'étais ministre de l'économie et des finances, j'ai eu l'occasion d'y faire une visite passionnante : elle dispose d'une véritable petite salle des marchés, où travaillent des agents très opérationnels et très bons stratèges. Il ne m'appartient pas de spéculer sur les actions à mener. Plusieurs d'entre vous m'avez posé des questions relatives à mes compétences passées ; au vu de la période dans laquelle nous sommes, je ne ferai pas trop de suggestions s'agissant de la gestion de la dépense publique. Elle peut sans doute être améliorée. Faut-il passer par la création d'agences ? Je ne le sais pas.

La principale question qui m'a été posée a trait aux scénarios d'évolution du champ d'action de l'AFT. J'ai dit assez clairement que nous ne soutenions pas celui du statu quo. Cela peut paraître contradictoire avec notre jugement positif quant au fonctionnement actuel mais, au vu des changements fondamentaux que nous vivons – le retour possible de l'inflation, la sortie des programmes de la Banque centrale européenne, l'émission de nouvelles OAT comme les OAT vertes, l'intervention directe de l'Union européenne –, nous avons indéniablement besoin d'une stratégie plus éclairée.

Vous avez bien compris, monsieur le président, que nous étions plutôt favorables au scénario n° 3, sur lequel nous avons voulu interroger les différents acteurs concernés afin de vous éclairer davantage. L'UNEDIC a mis en avant la spécificité de sa gouvernance paritaire ainsi que le bénéfice apporté par la proximité entre ses équipes financières et les spécialistes du marché du travail ; elle n'en est pas moins proche de l'AFT, du fait du rôle joué par l'Agence dans la garantie apportée par l'État aux émissions de l'UNEDIC. Quant à la Société du Grand Paris, qui a déjà émis 70 % des 35 milliards d'euros qu'était autorisée à émettre, elle a également souligné l'importance de la proximité entre ses équipes financières et techniques. L'AFT elle-même ne s'est pas montrée favorable à une intégration d'autres entités existantes, notamment pour une question d'équilibre entre les coûts d'intégration élevés, en particulier dans le domaine informatique, et les synergies susceptibles d'être dégagées à moyen terme. Nous n'avons donc pas conclu à la nécessité de créer une agence unique. En revanche, l'AFT a accueilli de façon positive la piste du renforcement de la coordination existante proposée par la Cour ; elle est également prête à considérer, dans un deuxième temps, un mode de formalisation plus prononcé de cette coordination. Cependant, elle estime souhaitable de limiter la réflexion sur la mise en place de nouveaux mandats aux seules structures nouvelles afin que les coûts d'intégration dans le domaine informatique soient limités au maximum.

Nous préconisons donc une évolution située entre les scénarios nos 2 et 3, qui permettrait de faire grandir l'AFT, dans une certaine limite, à partir de structures existantes et en préservant plusieurs de ses spécificités.

Nous n'avons pas interrogé les collectivités locales, mais nous ne pensons pas que leur basculement vers l'AFT soit pour demain. Elles ont leur propre mode de fonctionnement, elles ont leur liberté, et nous y sommes tous extrêmement attachés.

Monsieur le rapporteur général, nous n'avons pas fait de comparaison internationale pour voir comment s'articulent les différents émetteurs publics dans les autres pays : ce serait sans doute très intéressant. Cela étant, nous savons déjà que notre mode de fonctionnement est très opérationnel et performant : peut-être pourrions-nous, a contrario, servir de modèle pour nos voisins.

Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur les primes d'émission : c'est une question très importante, puisque ces primes diminuent l'encours de la dette publique de 4,3 points de PIB. Mais leur montant tend à diminuer : les primes ont représenté 15 milliards en 2021, contre 30 milliards en 2020. Surtout, la hausse des taux, qui se profilera un jour, va entraîner une baisse de la demande.

Monsieur le rapporteur général, l'intégration opérationnelle doit effectivement nous permettre de mieux maîtriser les risques. Le scénario d'intégration renforcée proposé par la Cour repose sur la mise en place de conventions de mandat, sur le modèle de ce qui a été fait pour la CADES, et non de reprise de la dette, comme cela a été le cas pour la SNCF. Dans ce scénario, les organismes garderaient leur indépendance financière et seraient maintenus en tant qu'entités juridiques différentes de l'AFT, qui n'a pas de vocation hégémonique. Les signatures, les dates, les programmes de financement demeureraient bien distincts. Dès lors que les programmes de financement demeurent bien séparés, il n'y a pas de raison a priori pour qu'une intégration opérationnelle d'une entité entraîne une baisse des écarts de taux, toutes choses égales par ailleurs. Les gains sont plutôt à rechercher, comme vous l'avez suggéré, du côté des économies opérationnelles, qui résultent de l'intégration des équipes et d'un renforcement de la cohésion des émetteurs publics.

Madame Roques-Etienne, cette coopération renforcée peut se réaliser immédiatement.

Vous m'interrogez, monsieur Laqhila, sur la proposition de Mario Draghi de créer une Agence européenne pour la gestion de la dette (AEGD) et vous, madame Lemoine, sur les risques d'inflation. Sur ces questions qui relèvent davantage de la spéculation, je ne veux pas me substituer aux spécialistes que sont les économistes de l'AFT.

L'inflation a certainement un caractère temporaire, lié aux goulets d'étranglement provoqués par la crise, mais il faut bien admettre que cette hausse des prix dure plus longtemps que prévu et qu'elle est assez importante. Il ne faut pas s'illusionner sur le métier de la Banque centrale européenne : elle a apporté depuis 2012, puis pendant la crise liée au covid-19, un très grand soutien à l'économie en général, en adoptant une approche globale. Mais le fond de son métier, c'est tout de même la maîtrise de l'inflation. Elle peut modifier ses propres cibles et elle le fait d'ailleurs de manière assez subtile mais, à un moment donné, un ajustement de notre politique monétaire sera nécessaire. Quand ? De combien ? En fonction de quoi ? Ayons en tête, en tout cas, que cela arrivera.

S'agissant de l'Agence européenne pour la gestion de la dette covid, je n'ai pas à me prononcer sur le fond. Mais, dès lors qu'une dette européenne va prendre une place de plus en plus importante sur les marchés, il faudra créer des mécanismes de gestion comparables à ceux qui existent chez nous. En France, il existe un dispositif d'amortissement qui a été créé dans un but, disons, pédagogique. Nous devons, bien sûr, rester vigilants face à l'inflation.

La structure des détenteurs est stable : ce sont 50 % d'étrangers – et 65 % d'étrangers, hors BCE. La France est bien le premier émetteur d'OAT vertes, avec un très léger gain d'émissions, de l'ordre d'un point de base, et une forte demande en la matière.

Monsieur le rapporteur général, nous avons souligné, dans notre rapport, que l'AFT pourrait améliorer sa communication. Elle a déjà commencé à le faire à travers un Trésor-Éco, de janvier 2022. Vous avez évoqué l'action d'Anthony Requin : il est intervenu sur BFM Business. L'AFT est plus présente sur les thèmes d'actualité et son éclairage est tout à fait utile. Je crois aussi que l'AFT pourrait être plus présente dans le débat.

Monsieur Coquerel, gardons-nous de certaines illusions. L'annulation de la dette covid, comme le financement direct des États par la BCE, ne sont pas dans les traités ; ils ne sont pas le prolongement logique de la structure de la BCE. Cessons de croire que d'autres vont faire ce qui nous arrange : ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Une dette doit être bien gérée, elle peut être roulée, on peut en allonger la maturité ; il existe des tas de solutions. L'annulation est une illusion sympathique, mais elle ne se produira pas, à moins que l'inflation n'annule la dette, mais elle aurait aussi bien des effets pervers. Nous avons tous des souvenirs historiques en tête et, dans ces cas-là, il y a toujours des victimes.

Je vous invite à relire le rapport que j'ai remis au Président de la République et au Premier ministre au mois de juin dernier. La stratégie de sortie de crise des finances publiques que nous préconisons n'est pas du tout une stratégie d'austérité. L'austérité, c'est ce qui appauvrit le service public, c'est ce qui l'affaiblit, c'est le rabot qui, en général, d'ailleurs, est d'un rendement médiocre. Ce n'est pas cela que nous suggérons. Nous savons pertinemment, et la Cour le dit, qu'il y a des investissements d'avenir à financer dans notre pays. Ils sont nombreux : la transition écologique, la transition numérique, la recherche, sur laquelle nous sommes en train de décrocher. Ce matin, j'ai présenté devant la commission des affaires sociales du Sénat un rapport sur les EHPAD. À l'évidence, avec le vieillissement de la population, il faudra investir davantage pour l'accompagnement des personnes âgées. Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de dépenses publiques à financer, mais ce n'est pas une raison pour accroître la dette.

La dette est un danger pour notre pays : je ne parle pas seulement de son niveau, mais aussi de sa pente. La dette publique française se finance parfaitement, avec la structure des taux actuelle. Nous avons une signature très forte, mais les marchés financiers préféreront les États qui consentent à faire des efforts pour réduire leur dette à ceux qui y résistent, surtout dans un contexte où, l'inflation aidant, les taux d'intérêt remonteraient. Le coût d'une remontée des taux d'intérêt serait important et immédiat sur notre dette publique, et très considérable à dix ans.

Ne nous faisons pas d'illusion : il faut maîtriser notre dette, tout en finançant des investissements. Cela suppose de maîtriser la dépense publique dans de nombreux secteurs où nous dépensons davantage que nos partenaires européens, avec des performances qui pourraient être améliorées. Pour reprendre l'exemple des EHPAD, je pense qu'il faut dépenser plus d'argent pour la prise en charge des personnes âgées, mais que le modèle des EHPAD présente aussi des lacunes qu'il faut absolument combler : nous l'avons tous constaté comme élus, et parfois comme enfants. C'est un défi majeur.

Madame Peyrol, les OAT vertes ont des limites puisqu'elles doivent financer des dépenses liées à l'environnement – celles-ci représentent 15 milliards d'euros en 2022.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.