Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je souhaite tout d'abord souligner la très bonne qualité du dialogue qui s'est noué sur cette enquête avec la direction générale de la police nationale (DGPN). Cela traduit, à mon sens, la conviction partagée que la formation des policiers est un sujet important, pour le ministère, pour les agents, les partenaires sociaux et également pour les citoyens. Le recours à la force publique et l'exercice de missions de police judiciaire nécessitent des policiers bien formés.
Notre enquête intervient à un moment important. Le système de formation des policiers est sous tension depuis la reprise des recrutements en 2015, en particulier avec le plan 10 000 engagé par le président de la République en 2017. Les décisions prises à l'issue du Beauvau de la sécurité, notamment en matière de formation continue, accentueront cette évolution. De plus, dans les années à venir, la démographie et la perspective de nombreux départs à la retraite imposeront de nouvelles modalités de recrutement et de formation. Par conséquent, il est utile d'identifier les défis qui se présentent et les éventuels points de blocage.
J'évoquerai, dans un premier temps, l'organisation et les moyens en termes de formation des policiers. Ensuite, je présenterai la formation initiale. Puis, je décrirai les éléments constitutifs de la formation continue.
L'organisation de la formation des policiers se structure lentement. Elle rencontre deux obstacles. D'une part, l'organisation par corps conduit à une dualité entre la formation des commissaires et des officiers, réalisée en école, et la formation des gardiens, qui a lieu dans des unités sous l'autorité directe de la direction de la formation. D'autre part, l'articulation s'avère parfois difficile entre la direction chargée de la formation et les directions spécialisées, c'est-à-dire les directions métiers, qui réalisent de nombreuses actions de formation. Dans le passé, il existait une direction de la formation au sein de la direction générale de la police nationale. Au début des années 2010, dans le cadre de la réduction d'activité de la DGPN en matière de formation et avec la fermeture de huit centres de formation, cette direction a été supprimée et remplacée par une sous-direction. En 2017, compte tenu de l'ampleur des enjeux en matière de formation, cette direction a été recréée autour de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN). Cette direction a repris, assez tardivement, la tutelle pleine et entière sur l'école qui forme les commissaires et les officiers de police : l'École nationale de sécurité publique (ENSP). Les relations avec les directions métiers s'articulent plus ou moins bien. Certaines directions sont très actives. La préfecture de police a longtemps entretenu des rapports administratifs difficiles avec l'administration centrale en termes de formation. Ces relations se sont récemment améliorées. Cela étant, il existe un souhait d'unifier la fonction de formation au sein de la police. Ces éléments sous-tendent aux réflexions concernant la fondation d'une académie de police.
Nous souhaitons pour notre part souligner que la réussite de la formation dépend d'une meilleure unification de la fonction ressource humaine (RH) au sein de la police, actuellement répartie entre deux directions de la DGPN. C'est ainsi que la définition des corps et du volume de recrutements revient à la direction des ressources et compétences de la police nationale (DRCPN) alors que la DCRFPN assure l'organisation des concours et la formation. Nous pensons que cette organisation fragmentée gêne l'émergence d'une véritable gestion prévisionnelle des objectifs et des compétences. Ainsi, nous recommandons – c'est notre première recommandation – d'unifier la fonction des ressources humaines.
En matière de budget, les documents budgétaires ne rendent pas compte de l'effort de formation de la police nationale de manière suffisamment exacte. Le coût annoncé de la formation est de 32 millions d'euros, mais, au terme du travail de calcul d'un coût complet de la formation au sein de la police nationale auquel nous nous sommes livrés, le coût réel serait plutôt proche de 650 millions d'euros. Notre recommandation, déjà formulée précédemment, demeure : il faut que la police nationale établisse, dans les documents budgétaires et au sein de son bilan social, un état des lieux global de l'ensemble des moyens qu'elle affecte à la formation. C'est d'autant plus important que, dans les années à venir, les différentes décisions prises produiront leurs effets en année pleine. Il est donc nécessaire d'anticiper de futures et importantes augmentations importantes des dépenses en la matière. Par conséquent, nous demandons l'évaluation précise du coût des mesures prises, faute de quoi nous nous exposerons à des déceptions.
La direction a augmenté ses effectifs. Le véritable problème reste d'accroître le nombre de formateurs, ce qui constitue un véritable défi pour la direction générale de la police nationale.
L'immobilier représente l'un des points les plus préoccupants de nos constatations. Il existe 42 sites de formation de la police, dont 55 % sont jugés en bon état, 30 % en état moyen ou mauvais et 15 % en très mauvais état. La direction de la formation n'a pas la main en matière immobilière. Une pluralité d'acteurs au sein de la DGPN et du ministère de l'intérieur intervient : la direction de l'évaluation, de la performance, de l'achat, des finances et d l'immobilier (DEPAFI), la DRCPN, les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) ou encore, en Île-de-France, la préfecture de police. Par conséquent, les processus administratifs s'avèrent particulièrement complexes. Ce n'est que depuis 2018 que des autorisations d'engagement pour la rénovation des écoles ont été sanctuarisées, à hauteur de 12 millions d'euros, soit une faible somme au regard de l'ensemble de l'effort immobilier de la police nationale, qui atteint la somme de 150 millions d'euros. Les crédits de paiement affectés à la rénovation des écoles s'avèrent insuffisants et les travaux avancent très lentement – notre rapport fournit des exemples de situations que nous avons pu constater sur place. Cette programmation est régulièrement perturbée par des urgences dues à la vétusté du parc. La situation en Île-de-France s'avère particulièrement critique, qu'il s'agisse du site de formation de Cannes-Écluse, du centre régional de formation de Vincennes, de celui de Draveil ou encore de l'état des stands de tir et des gymnases. Un élément supplémentaire de complexité s'ajoutera à cette situation avec la relocalisation de la direction de la formation à Montpellier et la création d'une académie de police dans cette même ville, conformément aux annonces récentes et postérieures à la finalisation de notre rapport. Au total, nous pressentons un risque de saturation des capacités d'hébergement des écoles, puisque les projections de la DGPN font apparaître un besoin de 8 500 places en 2030, alors qu'actuellement il n'en existe qu'environ 6 000. Nous recommandons donc d'établir un schéma directeur immobilier des écoles de la police qui permette de combler le retard sur la maintenance, d'augmenter les capacités d'accueil et de prévoir les différentes opérations de déménagement.
La formation initiale est conçue et assurée par des formateurs issus de la police nationale, c'est son principe de base. Ce choix opéré par la police et la gendarmerie française s'observe également à l'étranger, en Espagne et en Belgique. D'autres pays ont en revanche intégré leur parcours de formation au sein de leur formation universitaire, comme au Royaume-Uni ; le parcours est alors plus long.
Les enjeux diffèrent entre les promotions selon le grade, notamment en raison des effectifs. Ainsi, les promotions comprennent moins de 100 personnes par an pour les commissaires ; 400 pour les officiers et 3 000 pour les gardiens.
Pour les commissaires, la formation appelle peu de commentaires. Elle s'étend sur vingt-deux mois et commencer par un apprentissage partagé entre tous les policiers indépendamment de leur grade, que suivent une formation aux différents métiers de la police et un stage d'adaptation à l'emploi après que les commissaires ont choisi leur poste. Cette formation est évaluée « à chaud » et « à froid ». Le supérieur hiérarchique des jeunes commissaires sortis de l'école est également interrogé sur leurs compétences. Le bilan de la formation des commissaires s'avère particulièrement satisfaisant.
S'agissant des officiers, la formation a été rénovée en 2020. Elle dure dix-huit mois. Les taux de satisfaction de la formule antérieure étaient assez bas, tant pour les élèves que pour les formateurs. Bien que ce succès reste à confirmer, il semble que la nouvelle formule soit meilleure. Par ailleurs, nous avons obtenu que la méthode utilisée pour les commissaires, qui consiste à interroger la hiérarchie et était tombée en désuétude pour les officiers, soit rétablie à compter des promotions de l'année 2020. Un sujet demeure quant à l'augmentation de la taille des promotions. En effet, en 2017 et 2018 les effectifs étaient de 70 à 80 élèves contre 400 en 2022. Il s'agit d'un défi inhabituel en matière de formation. Nous nous inquiétons d'une possible dégradation de la qualité de l'enseignement. Ainsi, les enseignements en petit groupe se raréfient.
La formation des gardiens a connu différents avatars au cours des dernières années. Ainsi, la durée et la qualité des formations ont rencontré des difficultés à se stabiliser. En 2005, la formation durait douze mois. Elle a été réduite, pour permettre de « faire du chiffre », si j'ose dire, à neuf mois et demi en 2017. En 2020, une nouvelle formule a été mise en place comprenant huit mois en école et seize mois en poste. Cette formule a suscité une vague d'insatisfaction. Il a donc été décidé de revenir à une durée de douze mois de formation en école à compter du mois de mai 2022, mais le Président de la République a annoncé qu'un module de formation en matière de police judiciaire serait systématiquement inclus dans cette formation initiale.
La formation des gardiens nous préoccupe à trois niveaux. Tout d'abord, la sélectivité de ce recrutement, comme nous l'écrivions déjà au mois de novembre dernier dans notre note sur les ressources humaines dans la police, demeure la plus faible des concours de la catégorie B de la fonction publique. Elle a beaucoup baissé et s'établit à un lauréat pour quatre candidats. Par conséquent, il ne s'agit plus d'un véritable concours sélectif. Le délai d'incorporation est un deuxième sujet de préoccupation. Une personne reçue au concours peut attendre seize mois, voire deux ans, avant d'entrer en école. Ce phénomène a pour conséquence un taux d'attrition non négligeable, qui s'élevait à18 % en 2018. Le Président de la République a récemment décidé de fixer ce délai à un maximum de six mois. Nous avons demandé à la DGPN comment elle comptait procéder. Elle a expliqué qu'elle envisageait de prévoir deux concours par an et de prendre des actions sur les causes des retards : les délais en matière de visite médicale et d'enquête de moralité. Le problème est donc en cours de résolution. Le troisième motif d'inquiétude en matière de formation des gardiens est la capacité à gérer les cas d'inaptitude constatés en cours de la scolarité. Nous avons pu relever que moins de 1 % des élèves passent devant un jury d'aptitude professionnelle. Ce taux est particulièrement faible. Or, jusqu'à une date très récente, ces jurys considéraient n'être habilités à prononcer que des redoublements. Les écoles ont récemment changé leur interprétation des règles et sont dorénavant disposées à prononcer des licenciements après la constatation d'inaptitude à l'issue de la scolarité.
Les formations de deux autres catégories ont également retenu notre attention. Tout d'abord, nous nous sommes intéressés aux policiers adjoints, anciens adjoints de sécurité dont la formation a évolué de trois à quatre mois. Leur taux de sélectivité s'avère également très faible. Ensuite, nous appelons votre attention sur la situation des cadets de la République. Leur formation en alternance voit ses effectifs diminuer rapidement depuis 2015. L'une des raisons est que les policiers adjoints perçoivent une rémunération plus élevée. Nous pensons que ce dispositif doit être revu très substantiellement.
La formation continue, tout comme la police nationale dans son ensemble, est soumise aux injonctions opérationnelles et segmentée entre directions et corps. Cette formule résume ce que nous écrivons dans notre rapport. Au sein de la police, la formation continue présente de multiples facettes. Il existe des formations obligatoires, comme les exercices de tir et assimilés qui représentent un tiers de la formation continue, des formations statutaires, pour devenir commissaire divisionnaire ou brigadier-chef, et des formations qualifiantes, par exemple pour devenir officier de police judiciaire. Il existe un plan national de formation, mais il s'agit plus d'un recueil des besoins des directions que d'un véritable exercice de développement des compétences. Il présente de nombreux défauts, notamment celui de présenter des offres de la direction et de l'école nationale de sécurité publique distinctes, mais également d'un trop grand nombre de priorités. Par ailleurs, le système d'information des ressources humaines de la police, Dialogue II, a connu de très graves difficultés empêchant la police d'éditer des bilans de l'effort de formation continue au cours des dernières années.
Le volume global de formation continue est stable, et assez faible : cinq jours de formation annuelle par agent. Les commissaires se forment moins que les officiers, qui eux même se forment moins que les gardiens. La formation est assurée à 35 % par la DCRFPN, le reste étant ventilé dans les formations métiers avec de grandes différences. Ainsi, à la préfecture de police, 90 % de la formation est assurée par les services de celle-ci ; le même constat pourrait être fait à propos des compagnies républicaines de sécurité
Nous avons procédé à trois examens détaillés de formations continues dans trois domaines.
Nous nous sommes intéressés à la police judiciaire. Les commissaires et les officiers deviennent automatiquement officiers de police judiciaire, mais les gardiens peuvent passer un examen s'ils disposent de trois ans d'ancienneté après avoir suivi une formation de quatorze semaines. Nous avons constaté que le nombre de candidats reçus à l'examen demeure stable depuis plusieurs années. Ce point est très problématique, car la police nationale estime connaître un déficit de 5 000 officiers de police judiciaire. Le développement de cet examen qualifiant représente un véritable enjeu.
La formation appliquée par les compagnies républicaines de sécurité (CRS) constitue en revanche un modèle du genre. Il s'agit d'une bonne pratique. En effet, la formation est assurée par des policiers des équipes et est intégrée dans les cycles de travail des policiers, c'est la clé de son succès. Néanmoins, la coopération avec la gendarmerie ne semble pas optimale. Ainsi, les formations demeurent séparées, alors qu'il existe un schéma national de maintien de l'ordre depuis 2020 et des actions communes sur le terrain. Nous renouvelons notre recommandation, formulée dans un rapport pour le Sénat en 2021, de formations communes en matière de maintien de l'ordre entre la police et la gendarmerie.
Les formations aux techniques et à la sécurité en intervention (TSI) comprennent les exercices de tir et les pratiques professionnelles en intervention, par exemple la neutralisation d'un individu dangereux sur le terrain. C'est un volet extrêmement important de la formation des policiers, un tiers du volume en termes d'heure. Or nos constatations à cet égard s'avèrent particulièrement sévères. Il existe une obligation de douze heures par an de formation de trois séances avec une séance de tir, mais 62 % seulement du personnel réalise les exercices de tir. Ce pourcentage baisse à 33 % pour les commissaires et à 54 % pour les officiers. Les procédures de suivi figurant sur les fiches d'évaluation ne sont pas respectées en cas de mauvais résultats aux exercices de tir. Pareillement, il n'existe aucune activation des sanctions disciplinaires lorsque les exercices de tir ne sont pas réalisés. S'agissant des pratiques professionnelles en intervention (PPI), le taux global de réalisation des heures réglementaires est de 24 %. Ce taux atteint 14 % à la préfecture de police, ce qui est particulièrement préoccupant, car ses policiers sont plus jeunes et davantage exposés à des situations dangereuses. Dans ces conditions, nous nous interrogeons sur les modalités d'apprentissage de nouvelles techniques.
La situation en Île-de-France est particulièrement critique, avec un manque de formateurs et une pénurie d'infrastructures – certaines armes ne peuvent pas être utilisées dans certains stands –, tandis que la gestion des places de formation n'est pas optimale. Ainsi, de nombreuses places offertes ne trouvent pas preneur. Dans ces conditions, nous avons formulé une recommandation adressée à la préfecture de police pour qu'un plan d'action d'urgence soit engagé en matière de TSI.
Pour terminer, nous identifions plusieurs défis en matière de formation continue. Il nous semble indispensable de les aborder et notamment dans la perspective de l'engagement pris par le président de la République d'augmenter de 50 % le volume de formation continue des policiers. Il existe un enjeu en matière de statut et de nombre de formateurs. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains du nombre identifié – il y en aurait 2 800 – et nous recommandons qu'une cartographie plus précise soit établie. Le nombre de ces formateurs influe sur le déroulement de leur carrière. En effet, le risque existe de rester formateur toute sa carrière : 28 % des formateurs de la direction de la formation ont plus de huit ans d'ancienneté. Un second enjeu est celui des formateurs en matière de TSI : il faudra recruter des formateurs. Nous recommandons également de faire appel à des formateurs extérieurs en matière de secourisme ou de sport, qui ne représentent pas le cœur de métier de la police. Cette procédure permettrait d'alléger les forces de travail de la police. Nous recommandons de déplacer les formateurs dans les unités pour éviter les ruptures. Nous suggérons aussi de développer les formations communes entre la police et la gendarmerie.
Nous recommandons de développer la culture de la formation et de lui donner la priorité par rapport à l'opérationnelle afin de diminuer la pression de l'urgence que nous avons constatée. D'une part, il s'agira de fixer par arrêté un nombre minimum de jours de formation par an et, d'autre part, d'intégrer dans les procédures de formation la question du respect des obligations réglementaires pour l'agent évalué et sa hiérarchie.
Enfin, nous pensons que la police, dont la formation est particulièrement endogamique, doit développer sa capacité d'anticipation. Afin d'éviter la gestion de situations de déficits ou de carences avérées comme nous le constatons aujourd'hui, se pose la question de savoir quels sont les métiers du futur et de disposer d'un temps d'avance en matière de formation.