Intervention de Julien Aubert

Réunion du jeudi 24 février 2022 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Aubert, rapporteur spécial des crédits relatifs à l'énergie de la mission Écologie, développement et mobilité durables :

Je vous rends compte en effet d'un contrôle que j'ai effectué récemment sur le fonctionnement de l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH. Ce sujet est, vous le savez, au cœur du débat sur la protection du pouvoir d'achat des Français et l'avenir d'EDF.

Ce dispositif en vigueur depuis 2011 et devant expirer à la fin de l'année 2025 contraint EDF à mettre une part importante de sa production électrique d'origine nucléaire à la disposition des fournisseurs alternatifs d'électricité, principalement dans le but de favoriser le développement de la concurrence.

Jusqu'à une date récente, les volumes d'ARENH mis à disposition par EDF représentaient au maximum 100 térawattheures par an, soit habituellement environ un quart de sa production totale. EDF est tenue de vendre cette électricité nucléaire au prix de 42 euros par mégawattheure, et ce quel que soit le prix de marché. Or ce prix de 42 euros par mégawattheure est inchangé depuis dix ans et est très éloigné des prix actuels de marché : ces derniers se situent aux environs de 200 euros par mégawattheure, soit cinq fois plus.

Récemment, pour compléter le « bouclier tarifaire » et contenir la croissance des tarifs réglementés de vente de l'électricité à 4 %, le Gouvernement a décidé de relever le volume d'électricité vendu par EDF à ses concurrents. Le projet d'arrêté prévoit, à compter du 1er avril 2022, et pour une durée d'un an, l'augmentation du volume d'ARENH, qui passerait de 100 à 120 térawattheures, et, simultanément, le relèvement de la rémunération de ce volume complémentaire de 20 térawattheures, rémunération qui passerait de 42 à 46,20 euros par mégawattheure.

Ce relèvement du volume de l'ARENH a constitué une surprise, même si la Commission de régulation de l'énergie (CRE) l'avait appelé de ses vœux. Le 22 septembre 2021, au Sénat, le Gouvernement avait en effet explicitement écarté cette hypothèse en déclarant qu'un relèvement de l'ARENH présenterait « des risques juridiques trop importants à court terme ». Cependant, la vérité de septembre n'est pas celle de janvier et le Gouvernement a finalement choisi de relever le volume de l'ARENH…

Je souligne tout d'abord que, juridiquement, cette décision est risquée. Voici par exemple ce qu'écrivait au mois d'octobre 2020 notre collègue Marie-Noëlle Battistel, dans son avis budgétaire rendu au nom de la commission des affaires économiques : « la direction générale de la concurrence européenne a confirmé (…) que la modification du plafond au-delà de 100 térawattheures ainsi que du prix actuel de 42 euros par mégawattheure requiert un accord de la Commission européenne. Ces paramètres sont encadrés par la décision de la Commission européenne du 12 juin 2012. »

Le Gouvernement s'est donc affranchi de ces risques et a décidé de se passer de l'accord préalable de la Commission européenne. En cela, il suppose que le relèvement de l'ARENH est compatible avec la « boîte à outils » énergétique présentée par la Commission européenne le 13 octobre 2021. Ce postulat n'a cependant rien d'évident, et il appartiendra au Conseil d'État de se prononcer puisqu'il devrait être saisi du prochain arrêté par des syndicats d'EDF. Une ombre plane donc sur la légalité de la décision de relever l'ARENH.

Incertaine juridiquement, cette décision intervient surtout dans un contexte défavorable pour EDF. Nous savons tous qu'EDF rencontre des difficultés de production électrique imputables à l'indisponibilité, parfois inattendue, de plusieurs réacteurs. EDF a ainsi révisé récemment sa perspective de production électrique d'origine nucléaire à la baisse, et l'a fixée à un niveau se situant entre 295 et 315 térawattheures, le plus faible depuis 1991.

En 2022, la fourniture de 120 térawattheures au titre de l'ARENH devrait donc conduire EDF à vendre jusqu'à 40 % – j'y insiste – de son électricité nucléaire à ses concurrents à un prix discount. Les conséquences de cette décision sur les finances d'EDF ont suscité une controverse.

L'ensemble de ces éléments m'ont conduit, en tant que rapporteur spécial, à effectuer un contrôle auprès de la CRE et à échanger avec EDF. Les éléments rassemblés me permettent de répondre aux deux questions suivantes : qui bénéficie de l'ARENH et quelles sont les conséquences attendues du relèvement de l'ARENH sur les finances d'EDF ?

Pour ce qui est des bénéficiaires de l'ARENH, en décembre 2021, 81 fournisseurs alternatifs avaient signé un contrat-cadre avec EDF leur ouvrant droit à l'ARENH. Cette liste est publiée sur le site de la CRE. Parmi ces 81 fournisseurs, quelques-uns n'utiliseront pas leur « droit de tirage », soit parce qu'ils y ont renoncé, soit parce qu'ils ont cessé leur activité ces dernières semaines ; 81 fournisseurs, c'est 8 de plus qu'en 2020 et 51 de plus qu'en 2017. Naturellement, plus les prix de l'électricité sont élevés, plus il y a de fournisseurs désireux d'acheter de l'électricité à prix discount auprès d'EDF. Pour les fournisseurs alternatifs d'électricité, grâce l'ARENH, c'est en effet tous les jours Noël !

La liste de ces fournisseurs comprend des entités très différentes. On trouve bien sûr des énergéticiens comme TotalEnergies ou Engie, mais aussi des sociétés comme Auchan Énergies appartenant à des groupes dont l'énergie n'est pas le cœur de métier. On trouve également des entreprises locales de distribution comme Électricité de Grenoble ou la régie municipale Électricité de La Bresse, entreprise locale de distribution d'une commune vosgienne de 4 500 habitants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.