Intervention de Marie Guévenoux

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Guévenoux, rapporteure :

Notre Commission se trouve à nouveau réunie, près d'un mois et demi après l'adoption de la loi du 23 mars 2020, pour proroger l'état d'urgence sanitaire et en compléter les dispositions.

Il y a six semaines, la France était confrontée à la plus grande épidémie de son histoire récente. Afin de répondre à ce contexte exceptionnel, la loi du 23 mars a créé un nouveau régime défini aux articles L. 3131‑12 à L. 3131‑20 du code de la santé publique. Cet état d'urgence sanitaire a été déclaré par le Parlement pour une première durée de deux mois ; il prendra donc fin le 23 mai à minuit.

Si la situation s'est heureusement améliorée ces derniers jours, en particulier grâce aux effets positifs du confinement de la population qui a permis d'enrayer la propagation du virus et de prévenir une saturation de nos hôpitaux, elle reste préoccupante – vous connaissez les chiffres. Dans ces conditions, il nous revient de prendre nos responsabilités et de faire en sorte que les efforts consentis après cinquante jours de confinement ne soient pas gâchés par une seconde vague.

Le Parlement, lors de l'examen de la loi du 23 mars, avait prévu l'avis du Conseil scientifique si une prorogation de l'état d'urgence sanitaire était envisagée. Le Conseil a rendu son avis le 28 avril. Il a rappelé l'efficacité des mesures prises ainsi que la nécessité d'une sortie progressive et contrôlée du confinement. À l'unanimité, il a considéré qu'au vu de la situation, l'ensemble des dispositifs de lutte contre l'épidémie de Covid-19 restait nécessaire, dont ceux prévus par la loi du 23 mars.

Le déconfinement doit être organisé et accompagné par un certain nombre de mesures de régulation dont les fermetures imposées par le confinement nous dispensaient jusqu'à présent : ainsi la réglementation de l'accès aux transports publics – Air France vient d'ailleurs d'imposer le port du masque sur tous ses vols, dès le lundi 11 mai.

L'article 1er du projet de loi prévoyait initialement une prorogation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 23 juillet. Le Sénat a avancé cette date au 10 juillet. Les deux options me conviennent et je vous proposerai donc d'agréer celle retenue par les sénateurs.

L'article 2 précise les dispositions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique relatives aux mesures générales relevant du Premier ministre. Ces ajustements permettent la réglementation des déplacements et des transports ainsi que l'ouverture des écoles et magasins. Nous sortons de la logique binaire interdiction-autorisation d'ouverture qui prévalait jusqu'à présent ; cela paraît pertinent.

La loi n'entre pas dans le détail de ces réglementations. On doit envisager, en effet, de mettre en œuvre des mesures différenciées selon les départements et les territoires, pour l'accès aux transports publics comme pour le port du masque. Le déconfinement progressera plus ou moins rapidement selon l'exposition de chaque territoire au virus. Nous donnons les moyens au Gouvernement de déterminer finement cette progression, non seulement par territoire, mais aussi selon le degré de danger qui prévaut dans les différents secteurs d'activité.

La quarantaine et l'isolement relèveront de la responsabilité de chacun, en dehors de la situation particulière des voyageurs entrant sur le territoire ou se rendant en Corse ou en outre-mer, pour qui des sanctions demeurent prévues afin d'éviter les contaminations importées. Les territoires d'outre-mer sont globalement parvenus à se préserver de l'épidémie jusqu'à présent : il ne faut pas remettre en cause ce succès.

L'édiction de ces mesures réglementaires relève du Premier ministre, celle des mesures individuelles du préfet.

Le Sénat a beaucoup modifié ces dispositions. Il a refusé d'assujettir les voyageurs venus de Corse et d'outre-mer sur le territoire métropolitain à un dispositif plus strict que celui applicable à ceux venus d'Europe, puisque le Président de la République a indiqué que l'espace Schengen demeurerait un espace de liberté.

Il a également prévu une mesure utile, évitant que les victimes de violences conjugales puissent être mises en quarantaine ou placées en isolement dans le même domicile que l'auteur de ces violences.

D'un point de vue juridictionnel, le Sénat a créé un bloc de compétence judiciaire pour le contentieux de l'isolement et de la quarantaine. C'est un gage de simplicité pour le justiciable et de bonne administration de la justice ; je serai d'avis, là encore, de préserver cette évolution.

L'article 6 du projet de loi porte sur le renforcement des systèmes d'information pour un suivi effectif de l'épidémie. La lutte contre le Covid-19 repose, depuis le début de sa propagation sur le territoire national, sur l'identification des personnes contaminées et de celles avec lesquelles elles ont été en contact. Les personnels de santé et les brigades sanitaires se chargent actuellement de ce suivi. Toutefois, l'outillage numérique actuel des autorités sanitaires ne permet pas de disposer d'un dispositif complètement effectif.

Par conséquent, l'article prévoit, en premier lieu, la possibilité de déroger au secret médical pour permettre aux personnels de santé et aux autorités sanitaires de partager les données de santé de ces personnes, pour une durée strictement nécessaire à la lutte contre l'épidémie et dans la limite d'un an à compter de la publication de la loi.

Ce partage de données reposerait, d'une part, sur le service intégré de dépistage et de prévention (SIDEP), qui doit permettre de centraliser au niveau national les informations relatives aux tests de dépistage et, d'autre part, sur l'adaptation des systèmes d'information existants pour permettre, via le portail Contact Covid, le suivi des personnes contaminées et des cas contacts, la surveillance épidémiologique et la recherche du virus.

Je salue le travail du Sénat. Il a apporté des précisions utiles quant aux garanties concernant les personnes, au champ des données collectées et au contrôle de la nécessité et de la proportionnalité du dispositif, notamment par l'introduction d'un comité de suivi sociétal auquel le Parlement est associé.

Je vous proposerai toutefois de revenir sur certaines modifications problématiques, comme la durée de mise en œuvre du dispositif.

Je ne peux conclure sans évoquer deux initiatives prises par le Sénat en matière pénale et qui sont au cœur des préoccupations de la commission des Lois.

En premier lieu, le Sénat a souhaité modifier le régime de responsabilité pénale des décideurs publics et privés dans le contexte exceptionnel de la crise sanitaire.

Je rappelle brièvement le droit en vigueur. En l'absence d'intentionnalité, si le lien entre le manquement constaté et le dommage est direct, la responsabilité pénale de son auteur n'est engagée qu'en cas de négligence, d'imprudence ou d'absence de mise en œuvre des diligences normales au regard des moyens dont il est disposé et dans le contexte donné. Si le lien est indirect entre le manquement et le dommage, alors la responsabilité ne peut être recherchée qu'en cas de violation manifeste d'une obligation de prudence ou de sécurité, ou en cas de faute caractérisée.

Ce régime gradué de responsabilité est déjà très protecteur, comme l'ont rappelé le Premier ministre et la garde des Sceaux au Sénat. Toutefois, les sénateurs ont souhaité répondre à l'inquiétude légitime de certains décideurs, publics ou privés, de se voir reprocher dans l'avenir les décisions prises, notamment dans le cadre du déconfinement.

Cette initiative répond à un besoin de clarification. Toutefois, le dispositif retenu par le Sénat pose plusieurs problèmes de rédaction auxquels il conviendra de remédier. C'est la raison pour laquelle la majorité a travaillé à un dispositif à même de résoudre ces difficultés, tout en assurant la prise en considération par le juge des conditions exceptionnelles dans lesquelles il faut agir depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

En second lieu, le Sénat a décidé que, dès le 24 mai, les règles dérogatoires de prorogation des détentions provisoires, prévues par ordonnance, n'auront plus cours. Il l'a fait dans une forme juridique sur laquelle mieux vaudrait sans doute revenir : il est peu courant de modifier une habilitation dont l'ordonnance a déjà été régulièrement publiée. Quoi qu'il en soit, je crois pouvoir dire que la commission des Lois approuve cette initiative sur le fond : nos travaux de suivi de l'action du Gouvernement ont montré toutes les réticences inspirées par une prolongation de plein droit et sans débat contradictoire. Tout au plus faudra-t-il gérer une période transitoire qui me semble nécessiter quelques précisions ; un amendement vous sera proposé en ce sens.

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