Intervention de Raphaël Schellenberger

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

En adoptant le texte instaurant l'état d'urgence sanitaire, nous avons conféré au Gouvernement de très larges pouvoirs de restriction des libertés des Français. Ce texte, nous l'avions adopté en cinq jours, dans des conditions de travail particulièrement dégradées, que nous avions acceptées au vu de l'urgence de la situation. Un mois et demi plus tard, il est beaucoup plus désagréable de se retrouver une nouvelle fois dans ces conditions, en découvrant ce projet de loi la veille seulement de son examen, dans une urgence que le contexte ne justifie plus.

Dès lors qu'il s'agit de restreindre la liberté des Français, il faut prendre le temps d'un travail convenable. Nous ne devrions pas être acculés à une date butoir artificiellement déterminée par l'effet d'annonce auquel s'est livré, il y a quelques semaines, le Président de la République, sur un déconfinement qui n'en sera au bout du compte pas vraiment un. Pour lundi, on nous demande d'entériner, dans la précipitation, la création d'outils juridiques nouveaux dont nous n'avons pas saisi tout à fait l'usage. C'est un premier biais qui nous dérange grandement.

Vient ensuite la constitution d'un énorme fichier de traçage des Français et de leur état de santé, sans information ni débat préalables sur la technologie retenue, qui pose des questions considérables sur la sauvegarde des libertés individuelles et collectives, ainsi que sur ce qui reste la pierre angulaire de notre système de santé : le secret médical. Toutes ces questions, nous allons devoir les balayer en très peu de temps alors même que nous aurions pu en débattre au cours des semaines écoulées. L'ébauche des discussions que nous avons eues au sein de la Commission portait sur une application qui n'est plus, aujourd'hui, le sujet : chacun aura bien compris que, techniquement, le Gouvernement n'avait pas été en mesure d'avancer. En conséquence, on nous propose une solution bien pire. Vous avez choisi d'aborder la question à travers le prisme de l'outil au détriment de l'usage qui en sera fait. C'est une mauvaise logique : en tant que parlementaires, notre devoir devrait être de veiller moins à la technique qu'à l'usage qui aboutit à restreindre la liberté des Français.

Autre point inquiétant : la durée de prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Lors de nos débats précédents, nous avions acté le principe d'une instauration pour deux mois à compter du vote de la loi du 23 mars. Il avait également été convenu – ce qui ne figure pas dans la loi, mais on le retrouve dans les débats – qu'au terme de ces deux mois, toute prorogation serait envisagée mois après mois et ferait l'objet d'une discussion au Parlement. Or, le projet de loi prévoit une prolongation de deux mois. Nous nous y opposons. Le Sénat propose un compromis au 10 juillet ; nous maintenons qu'il faut discuter de la durée de cette reconduction.

La question de la responsabilité des décideurs publics est évidemment essentielle. Il n'est pas question pour nous d'accepter la moindre déresponsabilisation. En revanche, il faut débattre du cas des élus locaux amenés à appliquer nombre de décisions dont ils ne sont pas à l'origine. Les maires, auxquels on demande de rouvrir les écoles et à qui on va imposer certaines obligations dans l'organisation des services publics locaux, ne peuvent pas être tenus responsables de choix qui leur sont imposés, pas plus que de certaines modalités de leur mise en œuvre puisque l'État ne leur en donne pas toujours les moyens. Rappeler l'état de la jurisprudence, comme l'a fait le Sénat, nous semble éventuellement une belle solution.

Enfin, nous insistons sur la nécessité de revoir certains délais instaurés dans le cadre de l'état d'urgence, concernant notamment les centres de rétention administrative et les enquêtes publiques en matière d'urbanisme.

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