Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mercredi 6 mai 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Ce projet de loi est triplement problématique.

Premièrement, pourquoi nous demander de proroger l'état d'urgence dès aujourd'hui, et non le 23 mai ? Le risque, c'est que les dispositions d'urgence entrent dans le droit commun. Rappelons-nous ce qui est arrivé avec la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) ! Ce projet de loi prévoit la prorogation de toutes les ordonnances, y compris des pires, contre l'avis du Conseil d'État qui appelait au réexamen systématique de chaque disposition et à une évaluation au cas par cas. Ce n'est pas parce que le Gouvernement a été incapable de planifier le confinement, puis le déconfinement, qu'il doit maintenant confiner les libertés !

Deuxièmement, le déconfinement n'a pas été planifié et rien, dans ce projet de loi, ne permet de corriger le tir : on n'y trouve ni réquisition d'entreprises, ni nationalisation, ni planification sanitaire. Il nous semblerait normal de fournir des masques gratuitement au moins aux personnes particulièrement exposées dans leur travail ; on en est toujours à 50 000 tests par jour à une semaine du déconfinement, loin des 100 000 tests préconisés par le conseil scientifique. Et que dire des volte-face sur la question de l'école et des transports ! L'État reporte les difficultés sur les collectivités territoriales et les entreprises en leur demandant de se débrouiller, faute d'avoir organisé les choses.

Troisièmement, nous sommes confrontés à une crise mondiale et globale, environnementale, sanitaire, alimentaire et sociale, qui ignore les frontières. Or, rien n'est fait pour résoudre les difficultés des Français. Aucune mesure d'aide alimentaire, pas de blocage des prix, alors que dans le département de Seine-Saint-Denis, 15 000 à 20 000 personnes sont, aux dires du préfet, en situation de malnutrition ! Aucune aide sociale pour le logement ! Le 23 mars, nous avions proposé la gratuité des obsèques, une mesure qui aurait dû être votée par tout le monde. Vous ne demandez aucune contrepartie aux entreprises qui licencient ou qui continuent de distribuer des dividendes – 36 milliards pour les entreprises du CAC 40 en juin. Vous n'imposez pas de taxe exceptionnelle aux entreprises qui profitent de la crise, et il y en a !

Aucune mesure n'est prise en faveur des plus fragiles alors qu'il faudrait fermer les centres de rétention administrative, régulariser les sans-papiers et réquisitionner des logements pour reloger les victimes de violences conjugales. Vous ne prenez aucune des mesures économiques qu'il faudrait prendre pour faire face à la crise : nationalisation d'Air France, fin de l'ouverture à la concurrence de la SNCF au profit d'un pôle public de transport, création d'un pôle public du médicament.

Cette loi est dangereuse pour les libertés avec la création de ce fichier et les mesures relatives à la verbalisation. Surtout, l'idée qu'un malade serait déjà un coupable nous inquiète. Nous sommes favorables à l'amendement du Sénat relatif à la responsabilité des élus locaux. Il faut les protéger. Mais nous ne voulons pas que cette disposition permette l'amnistie de tous ceux qui ont pris des décisions dans ce pays depuis plusieurs mois, et même davantage. Rien, dans ce texte, ne témoigne d'une volonté de rompre avec les erreurs passées. Nous voterons donc contre ce projet de loi, à moins que nos amendements ne soient pris en compte.

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