Le confinement a révélé une « justice atomisée à 164 vitesses », soit le nombre de tribunaux judiciaires. L'activité des avocats s'est en effet fortement réduite à la suite de l'arrêt de l'activité juridictionnelle et de la suspension de la quasi-totalité des affaires civiles et d'une bonne part des affaires pénales.
Le déconfinement a, quant à lui, révélé une justice sans visibilité. Il est apparu que ce n'étaient pas les chefs de juridiction qui organisaient l'activité, mais les magistrats en charge des pôles, en fonction des dossiers.
Les avocats sont sinistrés par la période de confinement. En particulier, le sujet des masques les a profondément marqués car ils se sont sentis mis à la marge du monde judiciaire, alors même qu'ils remplissent une mission de service public. L'État ne garantit pas les conditions sanitaires suffisantes pour l'exercice de leur métier. Cette situation laissera une profonde cicatrice.
Nous avons formulé, avec le Conseil supérieur du notariat et la Chambre nationale des commissaires de justice, des demandes communes pour nos professions en difficulté. Nous souhaitons en particulier la mise en place d'un plan de sauvegarde qui intègre l'exonération des charges sociales et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) car beaucoup de nos cabinets sont en péril.
Nous pourrions également constituer une réserve de professionnels du droit, susceptibles d'intervenir dans le cadre de missions judiciaires aux côtés des juges. Nos professionnels disposent du savoir-faire et du savoir-être nécessaires pour mener ces missions à bien, et cette réserve constituerait pour les avocats un moyen d'être plus proches des magistrats et des fonctionnaires de justice.
Le Conseil national des barreaux a également évalué les conséquences de la crise sanitaire sur les avocats à travers un sondage qui a confirmé la gravité de la situation. Plus de 10 000 avocats y ont répondu en trois jours. La quasi-totalité d'entre eux ont vu leur activité touchée par la crise sanitaire et les mesures de confinement : 41 % des avocats individuels ont totalement arrêté leur activité depuis le début du confinement, 80 % ont déclaré que leur chiffre d'affaires s'était réduit de plus de 50 % durant la période, et 61 % ont ou vont solliciter le fonds de solidarité de l'État. 77 % des avocats individuels et des avocats associés ont déclaré qu'ils renonçaient totalement ou partiellement à leur rémunération. Plus de 80 % des avocats considèrent que leurs difficultés sont directement liées à la fermeture partielle ou totale des juridictions et dénoncent une absence de visibilité sur leurs plans de continuité.
Certaines des demandes du Conseil national des barreaux ont été entendues, comme celles relatives au bénéfice des indemnités journalières de l'assurance maladie pour les arrêts de travail pour garde d'enfants et pour les personnes vulnérables au-delà du 30 avril 2020, au report des échéances de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), à la mise en place de l'activité partielle pour les salariés des cabinets, à l'inclusion des cabinets dans le périmètre du fonds de solidarité, à l'éligibilité au report des échéances des loyers et à la mise en place d'un dispositif d'avance, via les caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), pour les avocats qui exercent au titre de l'aide juridictionnelle.
En revanche, d'autres demandes n'ont pas reçu de réponse. Ainsi, de nombreux avocats exercent dans le cadre d'une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI) et rencontrent des difficultés à bénéficier des prêts garantis par l'État. Nous avons demandé que ces structures puissent bénéficier de l'exonération des charges accordées aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME), et qu'une franchise de TVA s'applique à la facturation des rétrocessions d'honoraires. Nous souhaitons également que l'ensemble des prestations rendues par les avocats aux particuliers soit exonéré de TVA.
Voici le constat à l'heure du déconfinement. Trop peu de dossiers ont été traités durant le confinement. En outre, d'importantes disparités ont été observées d'une juridiction à l'autre. Certaines juridictions ont été totalement à l'arrêt, par exemple à Montpellier ou à Toulouse. Nous avons attendu un signal de la ministre, afin que la réponse à la crise soit cohérente, mais nous n'avons pas été rassurés. Les plans de continuation ont été levés depuis le 11 mai mais aucun plan de reprise d'activité homogène sur le territoire n'est réellement déployé et nous ne disposons à ce jour que d'ordonnances de roulement. Le ministère n'entend pas mettre en place un système d'information centralisé qui nous aurait permis de connaître les modalités d'activité de tous les tribunaux de France. Nous savons seulement que la limitation des réunions à dix personnes ne s'applique pas à l'intérieur des palais de justice et des cités judiciaires.
S'agissant des procédures, nous avons compris que les ordonnances sur les procédures seront maintenues jusqu'au 23 août prochain. Par ailleurs, les procédures d'audience sans plaidoirie et les visioaudiences sont à l'ordre du jour de notre prochaine assemblée générale, prévue le 15 mai, qui décidera de la position de la profession. La Chancellerie souhaite les généraliser, mais le sujet fait débat au sein de la profession même si nous admettons qu'elles peuvent être justifiées dans certains cas.
Nous sommes régulièrement intervenus sur les atteintes aux libertés publiques. Nous saluons l'amendement adopté sur la prolongation de la détention provisoire. Nous souhaiterions qu'il en soit de même en matière d'assistance éducative qui peut être, aujourd'hui, prolongée sans débat contradictoire. Nous considérons également que le respect des libertés individuelles doit être inscrit dans le cahier des charges de l'application StopCovid, et nous avons fait part de nos inquiétudes vis-à-vis du décret « DataJust », considérant que tout algorithme, même expérimental, doit respecter les règles d'éthique du Conseil de l'Europe.
Je voudrais souligner deux points d'attention sur le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 actuellement en cours d'examen. La profession s'oppose à l'extension de l'expérimentation des cours criminelles car nous considérons que la commission d'évaluation devrait se prononcer avant que cette extension ne soit effective. En outre, nous sommes opposés à l'article 3 portant sur la centralisation des trésoreries des organismes privés ou publics, qui pourrait constituer une atteinte à l'indépendance de la profession des avocats.
Aujourd'hui, nous demandons la mise en œuvre d'un plan d'envergure pour la justice. Nous sommes prêts à présenter des propositions et nous pensons qu'il faut envisager toutes les options. Nous pouvons être des partenaires dans la poursuite de l'activité judiciaire.
Il nous semble également important d'accélérer l'augmentation de la rétribution des avocats qui interviennent dans le cadre de l'aide juridictionnelle par le doublement de l'unité de valeur et du nombre d'unités de valeur attribuées, de permettre un droit de visite des lieux de privation de liberté pour les bâtonniers, le président du Conseil national des barreaux, le président de la Conférence des bâtonniers et leurs délégués et de garantir un réel débat parlementaire, avec les professionnels, sur le code de la justice pénale des mineurs.
Enfin, la « commission Perben » qui avait été constituée par le Gouvernement pour répondre aux attentes de notre profession ne s'est pas réunie durant le confinement. Cette période n'a donc pas fait évoluer la fracture qui existe entre la profession et le Gouvernement. Alors que nos sujets sont sur la table depuis plus de deux ans, il serait souhaitable que le Parlement puisse s'en saisir.