Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du mercredi 13 mai 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-François Humbert, président du Conseil supérieur du notariat :

Le notariat regroupe 70 000 professionnels – 55 000 salariés et 15 000 notaires – répartis dans 6 200 études sur le territoire français. Conformément aux instructions qui ont été données, l'ensemble des études a fermé l'accueil physique au public dès le 17 mars 2020 et les personnels ont été redéployés en télétravail de telle sorte que, trois à quatre jours plus tard, 70 % des postes susceptibles de fonctionner en télétravail étaient en service, ce qui représente plus de 30 000 stations. Le public a continué à être accueilli par téléphone, mail ou visioconférence, ce qui n'a pas empêché une diminution de 80 % du nombre d'actes établis par les notaires. Pour autant, la mission de conseil de la profession a été poursuivie, avec notamment la mise en place d'un numéro d'appel « 3620 Notaires » afin d'informer les citoyens. 1 700 notaires ont participé à cette action et entre 10 000 et 15 000 appels ont été reçus à des fins de consultation.

Pour établir des actes tout en ne recevant plus de public, la première des solutions qui s'est imposée a été la procuration assortie de garantie quant à la sécurité des signataires. Mais les actes solennels – c'est-à-dire ceux nécessitant une comparution devant le notaire – ne pouvaient être établis par voie de procuration. Aussi, je tiens à saluer la réactivité des services de la Chancellerie, qui ont accéléré la parution, le 4 avril dernier, du décret du 3 avril 2020 autorisant l'acte notarié à distance pendant la période de l'état d'urgence sanitaire. Ces comparutions à distance ont notamment permis de réaliser des ventes sur plan, ce qui était important pour la trésorerie des promoteurs immobiliers, ou des opérations de donation ou d'affectation hypothécaire.

Pour permettre l'établissement d'un acte par comparution à distance, il faut un certain nombre de prérequis : un système de visioconférence sécurisé, des actes sous format électronique – c'est le cas de 90 % des actes – et un outil de signature qualifié tel que défini par le règlement européen eIDAS portant sur l'identification numérique et les services de confiance dans le cadre des transactions électroniques. Si les notaires ont ce niveau de signature, il n'en va pas de même de la population. Nous nous sommes heurtés à l'Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) qui s'est fait un devoir de compliquer la mise en œuvre de ce texte européen en confiant à une société américaine le monopole de fait de la délivrance aux Français de l'identité numérique nécessaire à la signature des actes traités en comparution à distance. Cette société n'est pas en mesure, dans la moitié des cas, de fournir le service attendu et réalise ses prestations dans le cadre du droit américain. Par conséquent, par application du Cloud Act, les autorités administratives américaines sont en droit de demander communication de toutes les données qui transitent par cette société, y compris les actes notariaux, sans qu'un juge judiciaire français puisse s'y opposer.

A l'inverse, les services de la Chancellerie ont été à l'écoute de nos demandes. Prenant en compte le fait que les deux tiers des offices notariaux sont aujourd'hui déficitaires, le ministère de la Justice a accepté de reporter au 1er janvier 2021 l'application de la baisse des tarifs des professions réglementées.

Par manque d'équipement et de moyens, la plupart des administrations n'ont pas pu assurer la continuité des services publics. Par exemple, les magistrats n'ont pas rendu d'ordonnances durant le confinement, ou bien celles-ci n'ont pas été transcrites, ce qui a bloqué nombre de successions et des ventes immobilières qui pourtant n'imposaient pas d'audience. En outre, beaucoup d'administrations municipales n'ont pas instruit les dossiers de demande d'autorisation administrative et de permis de construire, paralysant le marché immobilier. Enfin, les services fiscaux n'ont pratiquement plus procédé à l'enregistrement des conventions, parfois nécessaire pour souscrire un emprunt.

De plus, la crise a révélé l'ampleur de la fracture numérique. De nombreux territoires ne sont pas suffisamment équipés en téléphonie mobile et en réseau internet pour permettre les comparutions à distance ou la visioconférence.

Un besoin d'identité numérique se fait également constater. La délivrance de l'état civil constitue une prérogative de souveraineté, et les identités numériques devraient être délivrées par des autorités soumises aux pouvoirs publics français et non par une société régie par un droit étranger.

Enfin, différents reports de fiscalité ont été permis mais beaucoup de Français s'étonnent que des délais comparables n'aient pas été accordés, par exemple, pour le dépôt des déclarations de succession ou l'acquittement des droits de succession dès lors par exemple que les ventes immobilières pour régler une succession était devenue impossible. Nous partageons l'idée de la Chancellerie que les différents délais ne doivent pas conduire à un ralentissement de la reprise de l'activité. Il est encore prématuré de dire quelles seront toutes les conséquences de la crise sur notre profession.

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