Intervention de Stéphane Noël

Réunion du mercredi 13 mai 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris :

Merci de nous accueillir aujourd'hui devant votre commission.

Notre juridiction n'a connu que peu de cas de covid-19. Une centaine de membres du personnel ont été concernés et nous n'avons eu à déplorer aucune hospitalisation en réanimation. Cela a permis de maintenir la cohésion et l'ambiance de notre juridiction pendant cette période.

Nous avons déployé un plan de continuation d'activité une dizaine de jours avant le début du confinement, en y associant tous les services, afin de maintenir l'activité dans ces conditions particulières. Cela nous a permis de ne pas être désorganisés au moment où le confinement a été décidé. Nous avons continué à traiter les contentieux principaux, essentiels ou urgents et veillé à ce que les personnels soient confinés autant que faire se pouvait. Nous avons cherché à préserver la santé du personnel, tout en garantissant l'activité. Ainsi, tous les services du tribunal de Paris ont assuré une activité minimale ainsi que l'accueil des justiciables ; les avocats ont toujours pu continuer à accéder au tribunal.

Nous avons bien sûr été attentifs à préserver le traitement de tous les contentieux urgents, qu'il s'agisse d'urgence civile ou pénale, des référés ou encore concernant les affaires familiales ou les contentieux liés aux tutelles ; la permanence du juge des tutelles a été assurée quasi continument pendant toute cette période.

Dès le début du confinement, deux activités majeures ont mobilisé la juridiction de Paris : le contentieux relatif à la libération des détenus en fin de peine ou aux aménagements destinés notamment aux personnes en semi-liberté, et le contentieux lié aux demandes de mise en liberté. Le service d'application des peines a ainsi été particulièrement mobilisé au début de la période de confinement. En deux mois, les juges des libertés et de la détention (JLD) ont été saisis de 1 014 demandes de mise en liberté, l'équivalent d'un an d'activité. Pour autant, les services ont fait preuve d'une grande réactivité et ont traité les contentieux dans les délais requis.

Par ailleurs, l'ordonnance relative à la prolongation de la détention provisoire a suscité un certain débat. Durant la période, les JLD ont rendu 137 décisions donnant lieu à une prolongation de la détention provisoire. Je tiens à préciser que la juridiction de Paris – la plus grande de France et qui est confrontée au nombre le plus important de détentions provisoires – n'était pas demandeuse d'un dispositif spécifique sur ce point. Nous avions toujours considéré que le contentieux de la détention provisoire devait être traité en priorité, aussi bien par les juges d'instruction que par les services du greffe ou les services des JLD.

Des critiques ont pu être émises sur l'arrêt apparent de l'activité judiciaire. Pourtant, durant la période, les juges ont été en télétravail et les seuls juges civilistes ont rendu 5 610 décisions. Au 11 mai 2020, la quasi-totalité des décisions en délibéré étaient prêtes. En outre, les juges d'instruction ont rendu, ou sont sur le point de rendre, 484 ordonnances de règlement. Ces missions représentent un travail très important qui a été réalisé pendant cette période et ce malgré des circonstances très particulières.

La réelle difficulté que nous avons rencontrée est que les greffiers, qui étaient confinés, ne disposaient pas d'ordinateur portable, et que les applications informatiques « métiers » de l'institution judiciaire ne sont pas consultables à distance. Par conséquent, nous nous retrouvons dans une situation de tension : les juges ont rendu une grande production intellectuelle et judiciaire, mais il s'agit aujourd'hui pour les greffiers de résorber le stock des décisions rendues.

Durant la période, nous avons souhaité être particulièrement attentifs aux situations liées à la vulnérabilité, en particulier les violences conjugales, l'enfance maltraitée et les personnes sous tutelle. S'agissant des premières, nous n'avons pas constaté un afflux massif de saisies en matière d'ordonnances de protection – en moyenne, cinq ont été rendues par semaine, ce qui correspond à une activité ordinaire. Cela ne signifie pas que nous n'avons pas eu d'augmentation des cas de violences conjugales, mais, à ce jour, nous n'avons pas été saisis de situations particulièrement urgentes ou critiques. Cela pourrait toutefois tout à fait apparaître pendant cette période de reprise d'activité et nous restons, bien sûr, très mobilisés, sur ce sujet.

Le constat est identique en ce qui concerne la protection de l'enfance. Nous n'avons pas été confrontés à une augmentation de cas urgents et difficiles. La permanence assurée au tribunal nous a permis de répondre aux enjeux auxquels nous avons pu être ponctuellement confrontés. Enfin, les juges des tutelles ont été fortement mobilisés, et ont été en contact aussi bien avec les tuteurs que les mandataires, afin de répondre rapidement aux sollicitations des familles, des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), des maisons de retraite, etc. Le niveau de leur activité a été maintenu à hauteur de 20 à 25 % de l'activité normale.

Au regard de ces éléments, nous estimons que l'institution judiciaire a été à la hauteur de ses responsabilités durant le confinement.

Le plan de reprise de l'activité a été anticipé de trois semaines, en lien avec tous les services, ainsi qu'en matière civile, avec le barreau, monsieur le bâtonnier et les membres du Conseil de l'ordre en charge des affaires civiles. Aujourd'hui, l'activité a repris à hauteur de 45 à 50 % en matière pénale. En matière civile, nous avons privilégié les procédures avec représentation obligatoire ou dépôt de dossier. Cela est opérationnel depuis une dizaine de jours. Pour autant, la semaine dernière, nous n'avons reçu que 240 dossiers de contentieux général et 60 dossiers relevant des affaires familiales. Nous espérons que les avocats, reprenant également leur activité, sauront saisir l'opportunité qui leur est offerte de déposer des dossiers dans les procédures qui le justifient. Les avocats pourront plaider, éventuellement via une téléaudience ou une visioaudience, dans la limite de nos capacités bien sûr. Ils ont donc la possibilité de faire juger, le plus rapidement possible, les affaires qui n'ont pas pu l'être, sachant que 6 000 procédures civiles n'ont pas pu être traitées durant la période de confinement. Les coordonnateurs de tous les services sont disponibles pour que les avocats apprécient avec eux les modalités de reprise de l'activité.

Nous avons également réactivé le service des référés. À compter de juin, nous doublerons son activité, afin que les affaires qui n'ont pas été traitées pendant le confinement soient rappelées sur une période d'un mois. L'objectif est ainsi de permettre d'être à jour d'ici au début de l'été.

De plus, 50 % des effectifs des greffes ont repris leur activité. Nous souhaitons nous mettre à jour du courrier et des messages du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) et que la mise en état puisse fonctionner à nouveau.

S'agissant du contentieux de proximité, nous sommes également mobilisés pour faire repartir l'activité, tant en matière civile qu'en matière d'injonction de payer ou encore de surendettement. Nous retarderons certains contentieux, comme celui des saisies sur salaire. L'activité du juge aux affaires familiales a également repris à travers les dépôts de dossier et nous espérons que les procédures orales repartiront au mois de juin. Le juge des enfants, tant en matière civile que pénale, reprend lui aussi son activité dès le mois de mai. Dans l'ensemble, la communauté des magistrats du siège et du greffe du tribunal de Paris s'inscrit volontairement et raisonnablement dans une reprise progressive de l'activité.

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