S'agissant des questions relatives à l'équipement informatique du greffe, le tribunal de Paris emploie environ 1 000 fonctionnaires, parmi lesquels tous n'ont pas vocation à être dotés d'ultraportables pour travailler à domicile. Pour autant, cette période de crise a bien montré que si le greffe avait été en mesure de traiter en direct les 5 610 décisions rendues par les juges durant le confinement, nous aurions été bien plus opérationnels et les avocats auraient été destinataires presque en temps réel de celles-ci.
Toutefois, au-delà de la question du matériel, la difficulté majeure à laquelle est confronté le ministère de la Justice, et ce depuis plusieurs années, est que les applications informatiques « métiers » ne sont pas, pour la plupart, accessibles à distance, et sont très complexes et peu fonctionnelles. S'agissant de la chaîne pénale par exemple, il est essentiel de progresser sur l'application Cassiopée, pour laquelle les utilisateurs – magistrats et greffiers – demandent depuis sa création des évolutions techniques pour la rendre plus fonctionnelle et d'un maniement plus pratique. En outre, nous ne disposons toujours pas de la signature électronique, alors que celle-ci est discutée au sein de la Chancellerie depuis treize ans : nous sommes ainsi en retard sur des sujets qui ne sont finalement pas si compliqués.
Par ailleurs, les réformes législatives et réglementaires se succèdent depuis des années à un rythme extrêmement soutenu, sans que les études d'impact soient toujours réalisées et sans que les applications informatiques soient parfaitement corrélées à leurs enjeux. Ainsi, la crise sanitaire renvoie à une crise de fonctionnement de l'administration. Nous devons résolument mettre en œuvre les objectifs de modernisation de la justice. Vous avez voté la loi de programmation, qui prévoit des moyens importants en matière de modernisation informatique, et son application doit être une priorité.
Les réformes comme celles du divorce ou de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante doivent être reportées, car nous ne serons pas en mesure de gérer tout à la fois les stocks traditionnels que nous avions déjà à gérer, les retards liés à la crise que nous venons de traverser pendant deux mois et ces réformes majeures. Concernant l'ordonnance de 1945, je veux être clair : nous avons un stock d'une année à prendre en compte et la première juridiction de France n'est actuellement pas en capacité de faire face à une telle réforme, quand bien même celle-ci serait reportée au 1er mars 2021.
La mise en œuvre effective des réformes législatives ou réglementaires doit prendre en compte les échéances informatiques, ce qui n'est, trop souvent, pas le cas pour le moment. Par exemple, dans le cadre de la réforme de la procédure civile, l'assignation avec prise de date devait entrer en application le 1er janvier 2020 mais a été reportée à une date ultérieure au cours de l'année parce que l'application informatique n'était pas prête. L'assignation avec prise de date est certainement une évolution informatique et de procédure importante, mais ce dispositif doit d'abord être testé dans les juridictions afin d'en mesurer la faisabilité et l'applicabilité. À Paris par exemple, on compte 60 000 à 70 000 assignations par an et il n'est pas envisageable de modifier du jour au lendemain ces procédures civiles et applications informatiques sans les avoir préalablement testées.
Un autre exemple que je tiens à mentionner est celui de la réforme du contentieux de l'injonction de payer avec la mise en place d'une juridiction unique. Reflétant un choix de centraliser ce contentieux sur un seul site de juridiction, cette réforme nécessite là aussi un dispositif de traitement informatique adapté, en lien étroit avec les huissiers. Or, un report de cette réforme, qui devait entrer en application le 1er janvier 2021, est d'ores et déjà prévu. Là encore, nous ne sommes pas au rendez-vous des échéances informatiques qui doivent accompagner la mise en œuvre des réformes législatives ou réglementaires. C'est pour moi un enjeu absolument essentiel.
Concernant la question relative aux inégalités territoriales, cela constitue une réalité. Sur le ressort de la cour d'appel de Paris, un dialogue a été ouvert entre les chefs de juridiction d'Île-de-France pour identifier les priorités pendant les périodes de confinement et de reprise de l'activité. Au final, dans toutes les juridictions, priorité a été donnée, au-delà du contentieux pénal d'urgence, au contentieux familial, aux référés et au droit des personnes. Le cœur du droit des personnes est ainsi resté au centre de l'activité des juridictions.
Vous avez insisté sur la nécessité de co-construire avec les auxiliaires de justice – le barreau en particulier – la politique de juridiction. Si nous voulons être crédibles sur un ressort judiciaire, nous devons travailler en proximité avec tous les professionnels du droit, et en particulier les avocats et les huissiers. Toutefois, si la mise en place d'instances de concertation est possible dans les juridictions de petite taille, la juridiction de Paris compte 36 000 avocats et la co-construction y est donc plus complexe. Par conséquent, j'ai demandé au bâtonnier d'identifier, auprès du Conseil de l'ordre, des avocats référents avec lesquels nous pourrons travailler étroitement, en particulier dans le cadre de la reprise de l'activité. La reprise de l'activité civile a été formalisée sous forme fiches, envoyées au barreau et disponibles sur le site de la juridiction, afin que les avocats en soient informés et qu'un échange puisse exister s'il fallait approfondir certains sujets.