Madame Thourot, monsieur Latombe, à ce jour, rendre interopérables les différents systèmes européens – français et anglais d'un côté, allemand, italien et suisse de l'autre – semble fort hypothétique, même si l'Union européenne reste, comme le Gouvernement, extrêmement mobilisée à ce sujet.
Le protocole Désiré, mis sur la table par l'INRIA, qui intéresse énormément nos voisins et qui a fait l'objet d'une réunion communautaire hier, pourrait tracer une troisième voie en ce qu'il permettrait – éventuellement d'ici à la fin juillet – un déploiement simultané au sein de systèmes décentralisés et centralisés. Effectivement, le fait que certains pays se soient vus « contraints » par des choix de grandes entreprises pose la question de la souveraineté numérique. Ce sujet d'inquiétude fait d'ailleurs l'objet d'une tribune que je cosigne avec mes homologues espagnole, italienne, portugaise et allemande.
Au sein de l'application, les données sont effacées au bout de quatorze jours. Aucune incitation ou coercition à son installation ne saurait exister. Si j'ai bien noté la proposition de votre collègue Damien Pichereau, celle-ci restera en effet un acte de libre arbitre.
Je renvoie MM. Paul Molac et Jean-Félix Acquaviva aux dernières projections épidémiologiques, notamment britanniques, qui font consensus : elles estiment utiles et efficaces les applications que quasiment tous les pays européens déploient car elles évitent des contaminations, des malades et des morts dès les premiers téléchargements et s'avèrent plus rapides que les brigades sanitaires. Nous n'agissons donc pas en la matière par coquetterie technologique. Par ailleurs, l'argument tiré des 60 % de la population provient d'une lecture erronée de l'étude des équipes de Christopher Fraser d'Oxford. Les épidémiologistes considèrent en effet que si 56 % de la population d'un bassin de vie téléchargeaient l'application, l'épidémie se trouverait jugulée en l'absence d'autres équipements, de gestes barrière et de confinement. Mais l'effet est d'ores et déjà systémique à partir de 10 % de téléchargement parmi la population.
Il existe des contre-exemples comme Singapour, qui a déployé l'application avant de reconfiner. Cependant, le problème de Singapour ne réside pas dans le déploiement de l'application, mais dans le fait qu'un million de travailleurs immigrés entrent chaque jour sur son territoire ; moins visés par les mesures prophylactiques que la population locale, ils ont massivement réimporté le virus.
S'agissant de la sécurité des données, il n'y a aucune localisation déguisée dans la mesure où le code est public. Il s'agit d'un outil sanitaire ; nous avons donc intérêt à ce qu'il soit transparent, afin que les gens soient rassurés quant à son utilisation.
Nous avons pris toutes les mesures possibles pour sécuriser les données de l'application, en lien avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Il est impossible de garantir l'absence totale de risque, mais, outre que les données en elles-mêmes sont d'un intérêt limité, il s'agit du fichier de santé le plus sécurisé de la République française ; il l'est davantage que ceux des hôpitaux ou de l'assurance-maladie.
Nous estimons, comme la CNIL, que cet outil est adapté au contexte précis dans lequel nous nous trouvons ; il n'existerait pas sans les risques inhérents au covid-19, et ne sera pas déployé au-delà. Se pose néanmoins la question de sa proportionnalité, dont chaque parlementaire doit juger. Est-il préférable de disposer d'un outil permettant d'éviter des malades et des morts supplémentaires, ainsi qu'un reconfinement qui aggraverait encore la situation sanitaire, démocratique et économique, ou vaut-il mieux s'en passer du fait des risques qu'il implique ? Compte tenu des données scientifiques dont nous disposons, nous pensons que ce dispositif viendra compléter utilement ce qui existe, et qu'il doit être déployé.