Intervention de Cédric O

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 12h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Cédric O, secrétaire d'État :

L'INRIA et Orange ont mené des tests sur les cent modèles de téléphones – de dix-sept marques différentes – les plus utilisés par les Français, à des niveaux de batterie différents et avec différentes versions des systèmes d'exploitation iOS et Android. Ils montrent que nous parvenons à capter par Bluetooth entre 75 et 80 % des gens situés à proximité – autour d'un mètre – de la personne infectée ; les derniers tests effectués dans le métro l'ont confirmé, et les Allemands ont obtenu les mêmes résultats. Nous sommes donc confiants quant au fait que l'application fonctionne de manière très satisfaisante sur la plupart des téléphones, et nous estimons que ceux qui recevront une notification seront effectivement des cas contacts justifiant un arrêt de travail et un test. Il y a encore des éléments à améliorer, et nous continuons à travailler sur les algorithmes de classification, mais nous ne sommes pas les moins avancés sur cette question qui se pose dans le monde entier.

Le droit et la réflexion doivent évoluer avec les technologies, et nous aurons encore de nombreux débats sur l'utilisation du numérique et les limitations à lui apporter. Nos vies sont de plus en plus numérisées, définies et formatées par l'informatique ; la loi doit mettre en place les institutions nécessaires pour s'adapter à cette nouvelle donne.

La solution dite décentralisée en vigueur pour l'application, celle d'Apple ou de Google, est en réalité centralisée, puisqu'elle comprend un serveur central avec la liste des personnes infectées. Le débat sur le choix entre une version dite centralisée – chez nous, celle de la direction générale de la santé (DGS) – et une version dite décentralisée ne me semble donc pas pertinent. Je n'avais pas de préférence a priori mais, selon l'évaluation de l'ANSSI et de l'INRIA, les systèmes décentralisés sont significativement plus faciles à hacker, donc plus dangereux pour la vie privée ; par ailleurs, ils donnent beaucoup moins d'indications sur le plan épidémiologique. C'est pour cette raison que nous avons choisi un système centralisé.

Je ne pense pas, et les épidémiologistes non plus, que cette application arrive trop tard. Je n'ai trouvé aucun épidémiologiste qui dise que l'épidémie est terminée et que l'application serait inutile. Il n'y a ni coquetterie technologique, ni intérêt particulier autre que sanitaire à déployer cette application, dont la mise en œuvre soulève d'ailleurs de nombreuses questions légitimes. Nous ne la déployons pas pour nous faire plaisir, mais parce que c'est utile.

L'application n'a pas vraiment de rapport avec le dispositif des MDO ; son intérêt réel réside dans sa rapidité. Même si la maladie était à déclaration obligatoire, le délai entre la déclaration aux brigades sanitaires et l'appel des cas contacts serait de 24 à 48 heures ; avec l'application, nous gagnons ces heures décisives au cours desquelles les personnes asymptomatiques ou qui n'ont pas encore déclaré de symptômes continuent à contaminer autour d'elles.

Le risque existe que le niveau d'inquiétude diminue et que l'application paraisse moins utile aux Français, mais les travaux épidémiologiques montrent qu'il ne faut pas penser ainsi. Nous avons prévu une campagne de communication dédiée, dans le métro et dans la presse quotidienne régionale, en lien avec les collectivités territoriales qui sont très intéressées par le déploiement de l'application – c'est surtout dans les centres urbains que des foyers épidémiques risquent de réapparaître. Avec l'association « Les Interconnectés », nous avons créé un groupe de contact transpartisan, pour travailler de manière apolitique au déploiement de cet outil sanitaire qui viendra s'ajouter aux gestes barrières.

La CNIL avait fait un certain nombre de recommandations que nous avons intégrées. Dans son avis, elle valide l'application de manière non équivoque, mais elle demande des améliorations – l'information des mineurs, la formalisation du rôle des sous-traitants ou l'intégration de certains contextes spécifiques, par exemple en entreprise. Nous les intègrerons dans le projet de décret qui est actuellement examiné par le Conseil d'État et que vous recevrez ce soir ou demain.

Je ne veux pas rentrer dans le débat politique sur les masques et les tests. Seules deux questions méritent d'être posées. La première, à laquelle seuls les épidémiologistes peuvent répondre, est la suivante : l'application est-elle utile pour lutter contre le covid-19 ? La seconde consiste à se demander quels sont les risques inhérents à un tel dispositif, et ce sont les spécialistes du numérique qui peuvent en parler. Il est légitime de nourrir des inquiétudes quant à un éventuel détournement de son usage par l'État, et de poser la question de sa proportionnalité. Mais de tous les projets informatiques mis en œuvre par le Gouvernement, c'est probablement le plus transparent. Le code source est public, et la mise en place d'un comité indépendant, composé de parlementaires et de professionnels de l'éthique et de la santé, a été approuvée par le Parlement pour encadrer sa mise en œuvre. Si vous avez besoin d'une garantie supplémentaire, dites-moi laquelle, et je vous la donnerai ; si vous estimez que cette mesure qui permettrait de sauver des vies n'est pas proportionnée, vous devez expliquer pourquoi, car je n'accepte pas que l'on dise qu'elle est attentatoire aux libertés publiques. Je respecte ceux qui s'expriment contre le confinement ou contre cette application, mais il faut alors assumer de prendre le risque de malades et de morts supplémentaires.

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