Intervention de Pierre Cordier

Réunion du mercredi 3 juin 2020 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Cordier, rapporteur :

Je souhaite d'abord remercier le président de notre groupe, M. Damien Abad, de m'avoir permis de défendre cette proposition de loi, et tous ceux qui y ont travaillé avec moi.

Durant le confinement, j'ai pu observer, comme vous tous, ce que vivaient les artisans, les commerçants, les dirigeants de petites structures de trois ou quatre salariés, confrontés à des difficultés que les dispositifs étatiques, au demeurant justifiés, n'ont pas suffi à aplanir. J'ai aussi constaté que l'exercice par les départements de leur compétence économique aurait été fort utile si elle ne leur avait été retirée sous la législature socialiste par le biais d'une réforme assortie d'un redécoupage scandaleux. Conseiller général, puis départemental depuis 2004, je sais que les élus de l'échelon départemental travaillent au plus près du terrain et tissent des liens forts avec le monde économique.

La crise sanitaire aura des conséquences durables sur des pans entiers de notre société. Pour atténuer les effets dévastateurs de la chute d'activité économique, qui aboutira à de nombreux dépôts de bilan à l'automne – ils ont déjà commencé : il n'est qu'à voir dans les rues parisiennes ces vitrines blanchies pour cause de cessation d'activité –, il faut démultiplier les capacités d'intervention des collectivités publiques.

Même si elle est encore l'objet de critiques, il ne s'agit pas de remettre en question la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ». Le législateur a souhaité confier à la région la compétence exclusive pour définir les régimes d'aides aux entreprises et au bloc communal la compétence exclusive pour les aides à l'immobilier d'entreprise. Le département ne dispose plus que d'une compétence résiduelle en matière économique : son intervention se limite au financement, en complément de la région, d'aides dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche, d'aides aux salles de cinéma ou, en complément de la commune, d'aides au maintien de certaines activités nécessaires en zone rurale ou en quartier prioritaire de la politique de la ville.

J'ai pris pour modèle la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite loi « Engagement et proximité », proposée par la majorité, qui introduit dans le code général des collectivités territoriales une dérogation aux compétences exclusives de la région et du bloc communal en matière économique pour permettre aux départements de verser des aides aux entreprises dont au moins un établissement est situé dans une commune concernée par un arrêté reconnaissant l'état de catastrophe naturelle et dont l'activité est affectée en raison des dommages importants subis par son outil de production. C'est ce qui s'est produit dans l'Aude, lors des inondations de l'automne 2018, où le conseil départemental a pu ainsi donner un coup de main aux entreprises en difficulté.

Le conseil départemental des Ardennes, où je siège, a adopté à l'unanimité une délibération visant à aider les petites entreprises de moins de trois salariés à reconstituer leur stock et à faire face aux dépenses en matériels de protection sanitaire, liées à la reprise de leur activité. Le préfet, sur instruction, a déféré cette délibération au juge administratif, dont nous attendons la réponse. Les élus du Calvados ont cherché à contourner la difficulté en s'appuyant sur la compétence du département en matière sociale : ils ont proposé une aide aux salariés modestes plongés dans une situation de fragilité liée à l'état d'urgence sanitaire. C'est une forme de contournement, mais cela revient exactement au même. Les conseils départementaux de l'Oise, de l'Essonne ou de Meurthe-et-Moselle réfléchissent à des dispositifs similaires.

Lorsqu'il y a le feu, il faut mobiliser tous les moyens disponibles. Comme le disait M. Pierre Monzani, directeur général de l'Assemblée des départements de France (ADF), lorsque je l'ai entendu sur le sujet, on ne peut pas demander aux collectivités de rester strictement dans leur domaine, l'économie pour les régions, le social pour les départements. Comment séparer l'économie du social ? Si nous n'intervenons pas en amont et que nous ne mettons pas les moyens nécessaires pour soutenir ces structures, tous ces salariés seront licenciés et nous les retrouverons dans les prochains mois à Pôle Emploi et au revenu de solidarité active (RSA). Il n'est pas question de réécrire la loi NOTRe, votée par l'ancienne majorité socialiste, mais seulement d'aider les petits entrepreneurs, commerçants et artisans, comme on le fait d'ores et déjà en situation de catastrophe naturelle.

Le mécanisme est très encadré : la proposition de loi prévoit que les conseils départementaux n'auront la faculté d'accorder ces aides que jusqu'au 31 décembre 2020, seulement s'ils le souhaitent et sont en capacité de le faire, et sous réserve de l'autorisation par le préfet, comme c'est déjà le cas pour les catastrophes naturelles. L'aide sera réservée aux entreprises dont au moins un établissement est situé dans une commune du département où l'état d'urgence a été déclaré et dont l'activité est affectée en raison d'une fermeture totale ou partielle imposée par l'autorité administrative.

Cette aide, dont l'objet est de remettre en état les locaux et les moyens de production, reconstituer un stock ou indemniser une perte de production permettra de soutenir en particulier l'industrie touristique – les départements disposent d'une compétence en matière touristique –, l'alinéa 5 de l'article 1er citant les cafés, restaurants et hôtels, ainsi que les campings, chambres d'hôtes, gîtes et autres hébergements touristiques privés. L'alinéa 7 précise qu'elle pourra être demandée au plus tard six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire : le but n'est pas de remettre en place un dispositif pérenne et d'ouvrir une brèche qui permettrait aux départements de conserver ad vitam æternam cette compétence.

Cette proposition de loi répond à une attente de dizaines de départements, quelle que soit leur sensibilité politique, qui souhaitent seulement donner un coup de main à leurs petits entrepreneurs, qui en ont réellement besoin.

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